Les banques ne sont pas des policiers climatiques

Anne Barrat

2 minutes de lecture

Selon l’ASB, la place financière suisse peut financer 91% de la transition vers le net zéro. Mais pas 100% de la réussite.

©Keystone

L’étude publiée le 19 août par l’Association suisse des banquiers en collaboration avec le Boston Consulting Group (BCG) est rassurante à bien des titres. Ainsi, non seulement l’économie helvétique a largement les moyens de financer les investissements nécessaires pour atteindre le net zéro d’ici à 2050, lesquels sont d’autant moins élevés que la Suisse émet peu de gaz à effet de serre (GES) relativement à bien d’autres pays, mais encore a-t-elle le soutien d’une place financière prête à se mobiliser pour accompagner et financer ces investissements. Encore faut-il que tout le monde joue le jeu, les acteurs économiques d’une part, entreprises et particuliers, les politiques d’autre part, qui doivent assurer des conditions cadres incitatives.

La part de la Suisse dans le volume d’investissement mondial dans la transition sera de 0,2%, soit le double de sa part dans les émissions mondiales de CO2.
12,9 milliards de francs par an

Le montant d’investissements nécessaires pour que la Suisse atteigne le net zéro en 2050, selon l’engagement qu’a pris la Confédération en signant l’accord de Paris sur le climat en octobre 2017, est largement dans ses moyens. Les quelque 387,2 milliards de francs qu’elle doit mobiliser d’ici à 2050, sur trois décennies donc, représentent la moitié du produit intérieur brut annuel de la Suisse (727 milliards de francs en 2019). Annualisées, ces dépenses seront de l’ordre de 12,9 milliards de francs, soit environ 2% du PIB et le double du budget militaire annuel. A titre de comparaison, au niveau global, atteindre le net zéro en 2050 coûtera 110% du PIB mondial. La part de la Suisse dans le volume d’investissement mondial dans la transition sera de 0,2%, soit quasiment le double de sa part dans les émissions mondiales de CO2.

Une économie suisse peu polluante

Car il faut rappeler, c’est la 2e bonne nouvelle, que la structure de l’économie suisse est peu polluante. Ainsi, les émissions totales de la Suisse s’élevaient à 46,2 Mt en 2019, soit 0,1% des émissions mondiales et 1% des émissions européennes. Les émissions mondiales de GES s’établissaient en effet alors à 53’000 Mt (en équivalent CO2), dont 5 000 Mt en Europe. Les émissions sont par ailleurs plus concentrées en Suisse, où les dix principaux secteurs polluants représentent 87 % du volume total de GES, soit 40,4 Mt, contre 75% à l’échelle mondiale. La concentration ne s’arrête pas là, puisque trois secteurs – transport routier (14,6 dont 11,2% pour les véhicules de tourisme et 3,4% pour les poids lourds), bâtiment (11,3%) et agriculture (6,5%) pèsent à eux seuls pour près du tiers des émissions. Autre particularité suisse, le secteur de l’énergie occupe une place modeste des émissions totales (7% contre 26% en Europe, où il est le 1er secteur contributeur), qui s’explique par une politique énergétique fondée sur des énergies renouvelables – 57% de l’électricité consommée en Suisse proviennent de centrales hydroélectriques. 

Les crédits bancaires classiques aux acteurs économiques seront la clé des financements.
Des investissements dégressifs

La transformation en profondeur des secteurs que suppose la transition vers une économie décarbonée requerra environ 58% d’investissements de substitution et 42% d’investissements nouveaux. Le rythme de ces investissements sera dégressif, les deux premières décennies concentrant l’essentiel des besoins. Ainsi, les volumes annuels moyens nécessaires dans la décennie en cours s’élèveront à 16,6 milliards de francs, puis à 13,2 milliards de francs entre 2030 et 2040 pour finir à 8,8 milliards entre 2040 et 2049. 

Importance de la banque conseil

La place financière suisse, en première ligne de laquelle les banques, joueront un rôle fondamental dans le financement de ces investissements. Concrètement, ces dernières assumeraient 87% de l’enveloppe annuelle, les marchés de capitaux 4%, les dépenses publiques couvrant moins de 10% du total. Autrement dit, les crédits bancaires classiques aux acteurs économiques seront la clé des financements. Qu’il s’agisse de particuliers empruntant pour rénover ou construire une maison répondant aux normes de haute efficacité climatique, ou d’entreprises remplaçant leur flotte de poids lourds par des camions électriques, la plupart feront appel à leur banque pour leur prêter les fonds nécessaires. Autre bonne nouvelle, les banques ont profité de la crise sanitaire pour renforcer leurs compétences de conseil à leurs clients. Elles seront donc au cœur de l’accompagnement vers le net zéro. De là à leur faire porter la responsabilité de la réussite de la mobilisation qui mènera l’économie suisse à une version décarbonée, il n’y a qu’un pas qu’il faut bien se garder de faire. Les mesures que la Confédération et les décideurs politiques mettront en place pour lever des obstacles de nature sociale, fiscale et structurelle seront déterminants. Des mesures qui ne figurent pas dans l’étude de l’ASB–BCG.

A lire aussi...