Les banques centrales montent au créneau

Salima Barragan

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Selon CPR AM, la dette souveraine entre dans une nouvelle ère. Avec Bastien Drut et Juliette Cohen.

Aux dires de Christine Lagarde, 1000 à 1500 milliards d’euros de titres de dette d’Etat seront émis en Europe à cause de la crise. Ajoutons à cela les 2100 milliards de dollars de soutien budgétaire adopté par le Congrès américain. L’addition du COVID-19 s’annonce salée. Les banques centrales ont déjà annoncé des rachats massifs de dette souveraine. Doit-on s’attendre à des tensions sur les marchés de crédit? Selon CPR AM, «tout dépend des banques centrales…» Eclairage avec Bastien Drut et Juliette Cohen, stratégistes.

MAGNITUDE DES DEFICITS PUBLICS QUASI RECORD

Aux Etats-Unis, les déficits publics atteindront les niveaux les plus élevés depuis 1945, alors qu’en Europe, de tels creusements dans les finances publiques n’ont jamais été enregistrés depuis la création de la monnaie unique. Pour stabiliser les économies, les banques centrales ont déjà absorbé dans leur bilan une partie de ces nouvelles dettes liées à la crise. Selon le Bureau du budget du Congrès américain (CBO), le déficit américain atteindra cette année 3'700 milliards de dollars US, ce qui correspond à 18% du PIB américain. Sur ce montant, environ 2’100 milliards correspondent aux quatre phases de soutien budgétaire adoptées par le Congrès. «Compte tenu de la faiblesse à venir des recettes fiscales pour les Etats, une cinquième phase de soutien budgétaire pour leur venir en aide est très probable», estime Bastien Drut.

Sur le dernier trimestre, la Réserve fédérale
a multiplié des signaux se voulant rassurants.
RISQUE D’EVICTION SUR LE MARCHE DU CREDIT?

L’augmentation massive des émissions de titres du Trésor américain pourrait induire un choc d’offre sur les maturités longues à partir de juin. Reconduisant une stratégie similaire à celle de 2008/2009 qui consiste à émettre en premier de grandes quantités de titres à court terme pour ensuite basculer sur un financement à long terme, les émissions nettes de T-Bills ont été de près de 2000 milliards au total sur les mois d’avril et mai. «Lors du basculement sur un financement à long terme, les T-Bills seront remplacés par des émissions de plus longue échéance ce qui induira une pression haussière sur les taux à long terme comme en 2009», prévoit Bastien Drut. Les émissions nettes de titres à maturité longue sont passées de 24 milliards de dollars US en avril à 71 milliards en mai, puis s’établiront à 228 milliards en juin.

Quelle en sera l’implication pour les marchés du crédit sur le long terme? «Tout dépendra du comportement de la Fed en termes de monétisation de la dette publique», estime Bastien Drut qui voit deux scénarios possibles: «Si la Fed achète une grande quantité de bons du Trésor et qu’elle les garde à son bilan, l’impact sera positif. En revanche, si elle n’achète pas assez de titres ou qu’elle ne les réinvestit pas quand ils arriveront à maturité, il y aura un effet d’éviction car les gestionnaires auront moins de place dans leurs portefeuilles obligataires pour les titres d’entreprises».

La Réserve fédérale n’en est pas à sa première expérience: «Dans le passé, lorsque la Fed avait essayé de réduire son bilan, elle avait créé des tensions sur le marché monétaire et perdu la maîtrise des taux courts», se souvient Bastien Drut.  Aussi, sur le dernier trimestre, la Réserve fédérale a multiplié des signaux se voulant rassurants: «Tout laisse penser que la Fed contrôlera implicitement la courbe des taux avec succès comme la BoJ, qui depuis bientôt cinq ans cible les rendements à 10 ans dans une fourchette autour de 0%», poursuit-il.

Une partie du financement du soutien budgétaire
passera par des programmes européens.
MANQUE DE CLARTE EN EUROPE

Le plan européen Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP) de rachats de titres privés et publics a été revu à la hausse et atteindra 1’350 milliards d’euros d’ici fin juin 2021, soit un ordre de grandeur comparable à celui de la Fed mais échelonné sur une plus longue durée. Au total, la BCE achètera 120 milliards d’euros de titres par mois en moyenne sur les 12 mois qui arrivent.

Pour l’heure, certaines inconnues subsistent sur le financement des déficits européens. «Tous les plans de relance n’ont été pas encore été annoncés, comme en France. Cependant, la Commission européenne estime que le déficit passera entre 2019 et 2020 de 0,6% à plus de 8% du PIB de la zone euro, ce qui devrait générer 900 milliards d’émissions supplémentaires», explique Juliette Cohen. Pour l’heure, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne ont annoncé des programmes de financement avec des émissions de titres à court terme qui représentent près de la moitié des montants annoncés. En France, la proportion des titres courts est un peu inférieure.

Enfin, une partie du financement du soutien budgétaire passera par des programmes européens. C’est par exemple le cas  du financement des programmes de  chômage partiel  dont une partie pourra être prise en charge grâce au programme SURE (Support to mitigate Unemployment Risks in an Emergency) qui dispose de 100 milliards d’euros. «La réponse européenne rapide souligne un mouvement de solidarité. Il s’agit d’une belle avancée vis-à-vis de 2008-2009, où la réponse fut bien plus longue», souligne Juliette Cohen. Un soulagement à court terme pour les pays du Sud dont le risque pays s’en trouve réduit. «Une grande partie de l’accroissement de la dette périphérique sera absorbée par la BCE ce qui ce qui se traduit dans une réduction de leur spread de crédit», rajoute-elle.