Le retour du trading actif

Charles-Henry Monchau, FlowBank

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Le trading bénéficie d’un net regain de popularité auprès des investisseurs particuliers. Un phénomène qui pourrait se pérenniser.

Des deux côtés de l’Atlantique, l’idée avait fait son chemin dans l’esprit de l’immense majorité des épargnants: le trading actif - c’est-à-dire acheter et revendre des actions ou autres actifs en espérant réaliser des gains rapides - est une stratégie perdante. Rien ne sert d’essayer de battre le marché. Seuls des professionnels bien informés en ont les moyens, et encore…

C’est ainsi qu’est né le règne de l’investissement passif, le fameux «buy and hold» qui privilégie l’utilisation des ETF (exchange-traded-funds). En 1976, John Bogle, alors PDG du gérant américain Vanguard, lance un nouveau type de véhicule d’investissement appelé fonds indiciel. Bogle a créé l'indice Vanguard 500 (VFINX), qui réplique le S&P 500 et permet aux investisseurs particuliers d'acheter un panier d'actions qui représente le marché, sans avoir à acheter une seule action. Un coup de génie! Même s'il ne s'agissait pas du premier véhicule du genre, ce que Bogle avait inventé était un fonds indiciel accessible au public. 

Une nouvelle génération d’investisseurs
est en train de montrer le bout de son nez.

Depuis lors, des innovations telles que les ETF thématiques ou les «robo-advisors» répliquant une allocation d’actifs prédéterminée en investissant uniquement dans des ETF ont littéralement évangélisé l'investissement passif parmi les investisseurs particuliers. En septembre 2019, les fonds d'actions passifs ont pour la première fois dépassé les fonds gérés de manière active en termes de masse sous gestion. Autre phénomène: aux Etats-Unis, il y a désormais davantage d’ETF et de fonds de placement qu’il n’existe de titres côtés... 

Cependant, il semblerait que ce statu soit désormais remis en question. Une nouvelle génération d’investisseurs est en train de montrer le bout de son nez.  

Pour nous, trois éléments peuvent expliquer ce changement de paradigme: un changement des mentalités, un contexte macroéconomique exceptionnel mais aussi des raisons structurelles.

La culture Covid et la «Generation Z»

Entre 2008 et 2019, la hausse spectaculaire des marchés d’actions n’avait que très peu profité aux «petits porteurs». Certes, les plans d’épargne 401k ou les fonds de pension européens ont vu leur performance dopée par la hausse des actifs risqués, mais le «boursicotage» habituellement observé dans les phases d’euphorie boursière était aux abonnés absents, le «bull market» restant la chasse gardée des investisseurs institutionnels et fonds spéculatifs.

Mais la pandémie de début d’année 2020 a changé la donne. Confinés dans leurs appartements et forcés d’épargner, de nombreux ménages se prennent au jeu du trading en ligne. Si la crise économique s’annonçait redoutable, la distribution d’aides, la possibilité pour beaucoup de salariés ou indépendants de travailler depuis la maison et les interventions massives des banques centrales à travers le monde laissaient entrevoir des jours meilleurs. Le trading en ligne devenait dès lors le terrain de jeu favori de nombreux «day traders» coincés à la maison.

Même si la réouverture de l’économie laissera peut-être moins de temps aux particuliers pour la gestion de leur portefeuille personnel, la pandémie a agi comme un électro-choc et a créé une certaine addiction au trading. 

La génération Z, qui n’a jamais connu
de «bear market», est pressée par le temps.

Si ce regain d’intérêt pour les marchés concerne toutes les catégories d’âges, une tranche de la population semble être encore plus addicte que les autres – il s’agit de la Génération Z (les 18-24 ans). Le trading actif correspond tout à fait au profil culturel de cette génération, prône à prendre des risques (le «YOLO behavior» des WallStreetBets) et pour qui l’échec est accepté (voir célébré). La génération Z est «hors système» et adepte du «do-it-yourself». Pour eux, le «buy and hold» de produits gérés par les grands groupes de Wall Street est considéré comme une stratégie permettant aux riches de le rester. Cette génération – qui n’a d’ailleurs jamais connu de «bear market» - est pressée par le temps. Le «day trading» est dès lors considéré comme le meilleur moyen d’engendrer rapidement des profits. D’ailleurs, leur terrain de jeu favori – les cryptomonnaies - offre même la possibilité de faire du trading 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7…

Les effets du TINA – «There Is No Alternative»

Un autre élément moteur expliquant l’engouement pour le trading actif est l’environnement macro-économique. La génération Z – et même l’ensemble des investisseurs particuliers - font face à un chemin très incertain lorsqu’il s’agit de leur épargne. Une combinaison d'inflation des prix des actifs (plans de relance Quantitative Easing et COVID) et d'une politique monétaire à taux zéro (voire négatifs) a engendré le fameux TINA. La part actions très élevée dans les portefeuilles privés et les importants volumes observés sur les options témoignent de cet appétence (presque forcée) pour le risque. 

L’influence de la technologie et des réseaux sociaux 

Outre les effets conjoncturels et culturels, d’autres éléments ont permis ce changement de paradigme. Les innovations technologiques appliquées à des nouvelles applications et plateformes financières ont permis des progrès considérables sur les 3 «C»: «convenience», «cost» & «communication». En effet, la facilité d’utilisation et la tarification attrayante des courtiers en ligne tels que Robinhood, Stash ou Charles Schwab ont facilité la démocratisation du trading. L’essor des actions fractionnées permet en quelques «clicks» d’investir dans ses titres favoris et ce pour des montants et des coûts relativement bas. Mais au-delà des aspects «costs» et «convenience», c’est également au niveau de la communication financière que des évolutions considérables sont observées. 

Plutôt que d’investir dans des fonds indiciels, la nouvelle génération de traders
préfère suivre ses gérants favoris et investir dans leurs meilleures idées.

Les investisseurs particuliers n’ont certes pas accès à la recherche financière des grands noms de Wall Street. Mais ils s’abonnent en masse à des lettres financières gratuites, à des podcasts et chaines youtube. Ils font également partis de ces fameux forums financiers tels que ceux de Reddit/WallStreetBets ou Finary et s’abonnent aux applications Stocktwits ou Commonstock.

Plutôt que d’investir dans des fonds indiciels, la nouvelle génération de traders préfère suivre ses gérants favoris et investir dans leurs meilleures idées. Des applications permettent par exemple de répliquer automatiquement les dernières idées de Cathie Wood, la nouvelle star de Wall Street. Mais le «copy trading» s’applique même à la réplication des stratégies mises en place par des non-professionnels grâce à des plateformes telles que celle de ZuluTrade, Public, Iris ou nvstr. 

La décentralisation de la gestion est en marche. Les investisseurs particuliers peuvent non seulement partager l’information et les idées, mais ces communautés peuvent même fédérer leurs efforts pour cogérer des portefeuilles. Les forums de WallStreetBets et des plateformes telles que Numerai permettent l’éclosion des premiers hedge funds décentralisés. Il n’est pas d’ailleurs plus nécessaire de bloquer son capital dans un véhicule de placement commun – les idées et les décisions de gestion sont fédérées et coordonnées – mais le capital reste ségrégé sur les comptes individuels. 

Enfin, le «coding» des stratégies de trading systématique n’est plus réservé aux spécialistes des grands hedge funds quantitatifs. Des logiciels IDE (integrated development environment) permettent à des traders novices en programmation de développer leurs propres programmes de trading automatisé. C’est le type de services offerts par Tradologics, Tuned ou Composer. 

Conclusion

De nombreux analystes attribuent l’engouement récent des investisseurs particuliers pour le trading comme un signe d’exubérance irrationnel des marchés et donc précurseur de la fin du «bull market». 

Nous ne partageons pas ce sentiment. En effet, des aspects culturels, macro-économiques mais aussi structurels semblent indiquer un changement de comportement qui pourrait se pérenniser. 

Les investisseurs particuliers souhaitent désormais prendre leur destin financier en main. Les nouvelles applications, la baisse des coûts de transaction et l’accès à l’information de manière facilitée et décentralisée les incitent à être plus dynamique et autodidacte dans la gestion de leur épargne.  

A nous, acteurs financiers suisses, de les accompagner dans cette démarche.

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