Le mieux gardé des secrets du Canada

Anne Barrat

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Comment dénicher des sociétés cotées que les marchés, inefficients, ne mettent pas en valeur? Avec une approche de Private Equity répond Andrew Brenton, Turtle Creek.

A la tête de 5 milliards de dollars d’actifs sous gestion, Turtle Creek Asset Management Inc. a la particularité d’être gérée par des personnalités, ses fondateurs, issues du monde du private equity. L’un d’entre eux, devenu CEO, avait dirigé le bras armé du private equity de la banque Nova Scotia, une des cinq premières banques canadiennes, avant de lancer en 1998 Turtle Creek AM. Et Andrew Brenton de revenir sur les biais d’une gestion qui ne connaît pas la crise actuelle des marchés.

Comme son nom éponyme l’indique, une baie de l’Albert County au sud-ouest de l’Etat de New Brunswick qui reçoit les eaux les plus pures de différents fleuves canadiens, Turtle Creek, privilégie une approche agnostique, dénuée de tout biais au profit d’une sélection d’actions d’entreprises dont les rendements futurs, mesurés à l’aune des cash flows actualisés. Le gérant d’actifs se veut un chasseur de têtes entrepreneuriales au long cours, auxquelles il fait beaucoup plus confiance pour générer de la performance que les marchés financiers. Autrement dit, Turtle Creek joue sur un biais qui a valu à sa stratégie phare une performance de 24% annualisée depuis 1998: l’inefficience des marchés. Chaque dollar investi il y a 23 ans est devenu 153,26 dollars. «Notre secret? Appliquer les recettes du private equity à la sélection de valeurs cotées sur les plus gros et liquides marchés financiers, explique Andrew Brenton. Elles sont juste devant nos yeux mais, paradoxalement, les gérants classiques n’y font pas attention. Peu importe le secteur, ce sont des entreprises «spéciales et remarquables». Leur capitalisation boursière va de 5 à 20 milliards de dollars, ce qui représente un univers large de small et mid caps dans un univers d’investissement de 100 sociétés en Amérique du Nord. Leur point commun: personne, peu ou prou, ne les connaît.

Activistes non, attentifs oui

«Nous ne cherchons pas particulièrement à aider les entreprises dans lesquelles nous investissons, en revanche nous ne recherchons que des entreprises qui acceptent de nous aider à les comprendre: nous connaissons aussi bien les dirigeants de nos investissements que nous le ferions dans le private equity. Et ce, parce que notre horizon d’investissement est, comme dans le private equity, un horizon de long terme. Cela étant dit, nous jouons les meilleures cartes des deux mondes, celui des marchés financiers court-termistes et celui des marchés privés long-termistes: si le prix d’une action augmente par exemple de 20%, nous réduisons notre position. Et ce, au nom de notre discipline de Continuous Portfolio Optimization(CPO), qui nous conduit à ajuster nos positions dès qu'une action atteint sa juste valeur. A l’inverse, si nous avons confiance dans la capacité d’une entreprise à livrer des free cash flows, confiance dans les dirigeants de l’entreprise et dans leur stratégie, nous conservons un valeur même si le cours baisse, par exemple, de 20%.» Un trimestre de retard et alors? répond le gérant d’actifs qui se définit comme investisseur «value» et «buy and hold» et reconnaît privilégier les entreprises que personne n’aime, du moment que lui et ses équipes apprécient le management et leur capacité à générer des ressources d’autofinancement pour mener à bien les investissements futurs, que ce soit de croissance organique ou externe. «Tesla, Amazon: nous n’avons pas investi alors que nous aurions pu le faire dans des conditions avantageuses, parce que tout le monde les aime, les connaît ou croît les connaitre. Mais aussi parce qu’il nous était impossible de rencontrer Jeff Bezos ou Elon Musk. Il est impératif pour nous de rencontrer les dirigeants pour savoir qui ils sont vraiment, et nous faire une opinion solide sur les risques de gouvernance.» Aucun rapport annuel ne peut le dire, conclut Andrew Brenton, qui confie regarder l’Europe et l’Australie comme prochains terrains de chasse.