Le «Jour de la Libération» pour l’Europe et le multilatéralisme?

Philippe Rezzonico, Heravest

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Washington n’avait jamais érigé de telles barrières douanières depuis 1930. Jamais les Etats-Unis n’avaient été aussi assoiffés de territoires depuis James Polk en 1845-1849.

 

Pour justifier sa guerre commerciale, Donald Trump se réfère à William McKinley, 25e président des Etats-Unis de 1897 à 1901, un président protectionniste. Mais ce président avait fini par regretter son approche agressive des échanges commerciaux et jeter le McKinley Tariff aux orties. Donald Trump oublie la funeste part d’ombre de cette période où, pour finir, la pauvreté avait atteint des sommets et les gouvernements étaient gangrenés par la corruption. A l’exception de quelques grandes fortunes (John D. Rockfeller, JP Morgan, Andrew Carnegie), très peu d’Américains ont bien vécu cette fin du 19e siècle.

Donald Trump adore William McKinley, parce que, dit-il, c’était un homme d’affaires à succès. En fait, c’était un avocat qui avait réussi à amener l’Espagne à céder Cuba, Porto Rico et les Philippines aux Etats-Unis. Pour Donald Trump, William McKinley était «The Tariff King» qui avait rendu le pays très prospère grâce aux droits de douane. Donald Trump l’aime tellement que le jour de son investiture, il a redonné son nom à la montagne McKinley en Alaska, alors qu’Obama avait restitué le nom autochtone Denali. En 1890, William McKinley, alors représentant de l’Ohio, avait fait voter le McKinley Tariff qui portait les droits de douane entre 38% et 50%. Le McKinley Tariff avait entraîné une hausse immédiate des prix, la déroute des Républicains aux élections de 1890 et la récession de 1893.

Sur le plan géopolitique, les pressions se sont multipliées sur la Canada, car William McKinley rêvait de faire du Canada le 51e Etat américain. Agacés, les Canadiens se sont rapprochés du Royaume-Uni. Très tard, trop tard, William McKinley a compris son erreur. Le 5 septembre 1901, 9 jours avant d’être assassiné, il prononça lors d’un discours: «Nous ne devons pas nous reposer sur le sentiment illusoire de sécurité qui consiste à croire que nous pouvons toujours vendre tout, et acheter peu ou rien. (…) L’expansion de notre commerce et de notre industrie est la question urgente. Les guerres commerciales sont stériles. Une politique de bonne volonté et de relations commerciales amicales empêchera les représailles. Les traités de réciprocité sont en harmonie avec l’esprit du temps ; les mesures de représailles ne le sont pas.»

A l'époque, l’économie n’était pas mondialisée. Aujourd’hui, elle l’est. A part les Etats-Unis, le monde veut préserver le multilatéralisme. La Chine le crie haut et fort. Que faire devant ces hausses monstrueuses, avec un argumentaire fantaisiste, des droits de douane? Répliquer par des hausses des droits de douane? Pas forcément la bonne solution, car Donald Trump répondra sans fin, ce qui conduira forcément à une dépression globale.

Le mieux serait de garder la tête froide et prendre les Etats-Unis à leur propre jeu. Donald Trump cherche à rapatrier toutes les forces productives pour répondre à la demande domestique. Chimère ! Il faut plusieurs années pour construire des lignes de production et peu d’entreprises dépenseront des milliards ne sachant pas où les Etats-Unis vont.  

Il faudrait réduire les investissements industriels aux Etats-Unis, ne plus voyager au pays de John Wayne, limiter l’achat de produits financiers émis par des banques américaines et faire attention à notre consommation en produits américains. 

L’Europe doit privilégier les achats de production domestique, en particulier le matériel militaire. On peut faire mal, sans entrer dans une guerre commerciale sans fin. 

Il faudrait peut-être se rapprocher de l’Asie, de l’Amérique latine (l’Europe vient de signer le Mercosur) et de l’Afrique pour créer une grande zone de libre-échange et renforcer le multilatéralisme. L’Europe pourrait rejoindre le RCEP, le TPP (transpacifique) ou d’autres partenariats économiques. 
L’épine dans le pied pour un rapprochement avec la Chine est Taïwan. Les valeurs européennes (droit international) ne collent pas avec les velléités d’annexion de Taïwan par la Chine. Avec la guerre en cours en Ukraine, le monde ne se remettrait pas à court-moyen terme d’un conflit militaire en mer de Chine.

La réaction des bourses est normale après de tels chocs et un risque croissant de récession aux Etats-Unis.

A court terme, Donald Trump peut redonner des couleurs aux bourses avec des annonces de baisse d’impôts et de dérégulations. 

Une stratégie de «coup pour coup» n’est pas forcément la meilleure réponse, mais risque plutôt de conforter les Américains dans leur isolationnisme, alors que le reste du monde souhaite poursuivre le multilatéralisme.

La Chine a répondu avec une hausse des taxes. L’Europe est divisée. La Suisse et l’Australie ne répondront pas pour le moment.

La Chine doit faire preuve de bonne volonté vis-à-vis de Taïwan, en tout cas le temps nécessaire. Le monde ne peut pas se permettre un quatrième événement majeur en 5 ans, après la pandémie, la guerre d’Ukraine et l’arrivée de Trump.

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