L’Europe doit rapidement arrêter son déclin. Mais le défi est de taille: Dans le Financial Times (29 novembre), l’entrepreneur britannique Ian Hogarth s’interrogeait sur l’incapacité de l’Europe à créer une start-up qui puisse suffisamment se développer pour devenir un groupe d’au moins 1000 milliards de dollars de capitalisation. L’auteur pointait du doigt le manque d’«audace». Pourquoi les entrepreneurs seraient-ils moins audacieux en Europe? Sur son blog, Silicon Continent, Pieter Garicano propose une piste: le coût de l’échec. Ce dernier est considérablement plus élevé en Europe ainsi que l’ont analysé les chercheurs Yann Coatanlem et Oliver Coste, de l’Université de Bocconi, dans leur étude: «Cost of Failure and Competitiveness in Disruptive Innovation» (septembre 2024, Institute for European Policymaking, Bocconi).
Le coût de l’échec s’impose comme un critère crucial de l’estimation des futurs investissements industriels. Coatanlem et Cost révèlent que le coût des restructurations est 10 fois plus élevé en Europe qu’aux Etats-Unis à cause des réglementations portant sur la protection de l’emploi. Il en résulte, selon cette étude, un moindre rendement du capital des industries technologiques. L’impact est «majeur sur la compétitivité, le niveau de vie et la sécurité en Europe». Ce coût explique au moins en partie le fait que l’effort de recherche et développement (R&D) privé soit six fois plus élevé aux Etats-Unis qu’en Europe et 2 fois plus élevé en Chine que dans l’UE.
«Le coût de l’échec s’impose comme un critère crucial de l’estimation des futurs investissements industriels».
Tous les grands groupes doivent aussi restructurer
La réussite n’est jamais linéaire. Sur son blog Pieter Garicano revient sur les hauts et les bas des célèbres start-up californiennes qui aujourd’hui dominent la Big Tech globale. Ces géants ont aussi rencontré des échecs, Apple dans la voiture autonome, Google dans les réseaux sociaux. Ils ont tous su se réinventer et se restructurer. Google a su créer YouTube, AdSense et Androïd. Microsoft gagne davantage d’argent avec ses services cloud qu’avec Windows. Meta a fait une pause dans le métavers et licencié pour investir dans l’intelligence artificielle. Nvidia a débuté dans les jeux pour devenir leader de l’intelligence artificielle. L’échec est à l’origine de nombreuses réussites.
L’Europe ne souffre donc pas seulement d’une perte de compétitivité dans des secteurs tels que l’automobile, d’une moindre croissance de la productivité et d’un coût de l’énergie excessif. La culture protectrice de l’Europe l’empêche de mettre en pratique le phénomène de destruction créatrice. Trop de protection tue la création et l’emploi. Pour rebondir, beaucoup d’experts s’appuient sur le rapport Draghi. Garicano, dans le sillage de Coatanlem et Coste, préfère mettre l’accent sur les effets délétères des freins européens à l’esprit d’entreprise. Une grande entreprise qui restructure devra payer entre 2 et 4 mois de salaire par emploi supprimé aux Etats-Unis. Ce coût bondit à 24 mois en France et 30 mois en Allemagne.
«La culture protectrice de l’Europe l’empêche de mettre en pratique le phénomène de destruction créatrice».
Le coût de la «protection»
Les entreprises investissent moins en Europe parce que le rendement de l’investissement est réduit en Europe par le coût des éventuelles restructurations à effectuer en cas d’échec. La protection de l’emploi finit par miner l’emploi. Or la mesure de cette protection communément employé est imprécise. L’indice de protection de l’emploi est qualitatif et non pas quantitatif.
La rapport Draghi mentionne ce problème mais n’y consacre qu’une phrase au sein de ses 300 pages, critique Pieter Garicano. Et la Suisse? Selon l’étude de Coatanlem et Coste, il ressort que la Suisse est performante dans la mesure où la protection des produits est plus basse en Suisse qu’aux Etats-Unis (OCDE 2024). Mais les auteurs ne se penchent pas sur d’autres éléments ni sur la protection de l’emploi en Suisse.
Une approche plus «audacieuse» relancerait l’investissement et l’innovation. Une étude qui remonte à 2018, de Cette & Lopez (2018), citée par le blogger montre que le passage à une protection de l’emploi de type américain augmenterait l'intensité de la R&D en France de 54%, en Allemagne de 33%.
Sans une approche plus libérale de l’investissement, les entreprises hésiteront à investir dans des projets audacieux, à des innovations de rupture, pour ne procéder qu’à des améliorations à la marge.