Les marchés financiers se concentrent maintenant sur le conflit possible entre Donald Trump et Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale. Mais la polarisation de la vie politique américaine modifie aussi la confiance envers la Réserve fédérale. Les consommateurs ont une autre perception de la Fed s’ils sont Démocrates ou Républicains, selon une nouvelle étude. Cela pose un réel problème au processus de transmission de la politique monétaire. Faut-il une Fed pour les Démocrates et une autre pour les Républicains?
A court terme, face aux pressions, Jérome Powell, le président de la Fed, a déjà déclaré qu’il ne démissionnerait pas. Le bras de fer entre Donald Trump, qui n’apprécie guère le président de la Fed, et la banque centrale américaine sera suivi de très près par les marchés.
Une bonne ou une mauvaise Fed?
Aux yeux d’Adriel Jost, économiste et chercheur auprès de l’IWP, si Donald Trump menaçait de replacer Jérome Powell, «cela constituerait un signal d'alarme pour les marchés financiers et une raison pour une hausse des taux d’intérêt». Mais si l’indépendance de la banque centrale est une vertu - elle empêche le gouvernement d’intervenir sur la politique monétaire à des fins électorales- il n’est pas interdit de porter un jugement sur la qualité de la politique de la banque centrale. A-t-elle bien géré la sortie de la pandémie et a-t-elle anticipé la hausse de l’inflation puis sa décrue?
«L’incapacité de sa direction à anticiper l’inflation doit être sanctionnée»
L’incapacité de sa direction à anticiper l’inflation doit être sanctionnée, selon Adriel Jost, même si Jérome Powell est sympathique et même s’il possède un réel talent de communication. «Malheureusement, il semble n’avoir aucune idée de la manière dont se produit l’inflation». C’est dans ce contexte que Donald Trump a affirmé qu’il pourrait faire un meilleur travail que Jérome Powell, qu’il avait pourtant lui-même nommé.
Transmission démocrate ou républicaine?
La transmission de la politique monétaire à l’économie à travers le comportement des consommateurs républicains ou démocrates est un autre problème majeur au moment où le prisme politique s’impose à de nombreux domaines de la vie économique.
Selon leur camp politique, les Américains n’ont pas du tout la même perception de la Fed, selon une étude de Pei Kuang, Michael Weber et Shihan Xie: «Perceived Political Bias of the Federal Reserve» (NBER, WP 33071, octobre 2024).
Ces économistes ont réalisé un sondage représentatif auprès de 5205 participants pour analyser comment les perceptions politiques de la Fed modifiaient les attentes économiques et la confiance envers cette institution. La polarisation n’existe pas qu’au sein du corps électoral. Les consommateurs proches des Républicains estiment que la Fed favorise les Démocrates et les consommateurs démocrates pensent l’exact inverse.
Il ressort de cette étude que les consommateurs qui estiment que la Fed partage leur point de vue sont davantage positifs sur la situation et les perspectives économiques. Ils sont même enclins à payer pour obtenir les communications de la Fed. Ils accordent aussi davantage de poids aux déclarations de la Fed lorsqu’ils ajustent leurs perspectives.
Le sondage a été réalisé avant les élections présidentielles, mais il n’est pas inintéressant de noter que l’élection de Donald Trump est associée à l’idée selon laquelle la Fed favorise les Républicains. De même, ce vote accroît la confiance envers la Fed au sein des Républicains et la diminue parmi les Démocrates.
«Les consommateurs proches des Républicains estiment que la Fed favorise les Démocrates».
Une politique monétaire unique peut-elle être transmise à deux types de population qui réagissent de façon opposée à une institution monétaire? La question pourrait se poser, du moins en théorie, s’il était plus efficace d’avoir deux Réserve fédérale.
Cette polarisation extrême de la vie américaine touche d’innombrables autres domaines de l’économie. Une étude de Woojin Kim de l’Université de Berkeley (Political Polarization in Medicine), analyse par exemple les différences de comportement des médecins républicains et démocrates entre 1999 et 2019. Il en ressort que s’il y a 25 ans, aucun écart majeur n’apparaissait, aujourd’hui les médecins républicains dépensent davantage par patient que les médecins démocrates. Cette polarisation produit des effets négatifs majeurs sur l’économie américaine, note l’économiste Pierre Lemieux, professeur associé en sciences du management, à l’Université du Québec sur le blog libéral Econlib.
Le renforcement du pouvoir politique
Pour les perdants d’une élection, qui représentent tout même près de 49% des électeurs, le résultat est interprété comme une catastrophe majeure. Il leur semble que le gouvernement est devenu si puissant qu’il leur fera du tort. Les gagnants tentent certes d’affirmer qu’ils veulent œuvrer pour le bienfait de tout le pays, ils ne convainquent pas.
Chacun sait que le gagnant favorise généralement ses soutiens, note Pierre Lemieux. Etrangement, les perdants n’en déduisent pas qu’il faudrait réduire le pouvoir du nouveau gouvernement. Ils expriment en revanche le voeu que lors de la prochaine élection leurs candidats gagnent «pour exercer des représailles et satisfaire leurs revendications contre l'autre groupe». Il en résulte que d’une élection à l’autre l’Etat augmente ses pouvoirs et la population accroît son mécontentement. S’appuyant sur la théorie des choix publics, selon Pierre Lemieux, en déduit que le processus renforce l’étatisme: «une fois que les autorités politiques ont acquis suffisamment de pouvoir pour nuire de manière significative aux libertés et aux opportunités du camp perdant, une fois que le domaine du choix collectif a suffisamment envahi le domaine du choix individuel, la politique devient le seul enjeu». Il reste à savoir si le gouvernement de Donald Trump parviendra à briser ces tendances négatives.