La situation de la dette fédérale américaine est-elle durable?

Alexis Mansuy, Reyl Intesa Sanpaolo

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Depuis 2001, le gouvernement américain a toujours dépensé plus qu'il n'a gagné, ce qui s'est traduit par des déficits budgétaires annuels qui n'ont cessé de gonfler la dette nationale.

 

Quelle est la gravité de la situation maintenant que l’agence de notation Moody's a abaissé la note de la dette fédérale américaine?

Le marché du Trésor américain – le marché des obligations d'État le plus important et le plus liquide au monde – a atteint 36'000 milliards de dollars. Il a pu se développer ainsi en termes nominaux et réels parce qu'il est largement considéré comme une valeur refuge. Les rendements de la dette publique américaine sont généralement considérés comme le taux sans risque. Malgré sa taille, le marché du Trésor peut encore absorber une demande substantielle pour ses émissions, car il existe peu d'alternatives viables. Toutefois, la récente décision de la Chine de se détourner du dollar américain au profit de l'or montre que même la deuxième économie mondiale est mal à l'aise, peut-être en raison de guerres commerciales ou de tensions géopolitiques.

Le montant de la dette du Trésor américain a explosé en termes nominaux (+55%) depuis le choc du COVID, mais moins en termes réels (+25%), en raison d'une inflation d'environ 25%, qui joue en faveur des personnes endettées.

La dette fédérale américaine est détenue à 80% par le public et à 20% par les organismes fédéraux. La dette publique comprend les investisseurs étrangers - gouvernements, institutions et particuliers qui achètent des bons du Trésor en tant qu'investissements. Le Japon et la Chine sont historiquement les plus gros détenteurs étrangers. Les investisseurs domestiques comprennent les particuliers, les entreprises, les États et les collectivités locales des États-Unis, ainsi que la Réserve fédérale (Fed), qui négocie les obligations du Trésor pour gérer la masse monétaire et les taux d'intérêt.

La dette détenue par les organismes fédéraux consiste en des avoirs intra-gouvernementaux, c'est-à-dire des transactions entre différentes parties du gouvernement fédéral, telles que les fonds de sécurité sociale et les fonds de retraite des employés fédéraux.

Les paiements d'intérêts sur la dette sont devenus l'une des dépenses fédérales qui augmentent le plus rapidement. Ils devraient dépasser les dépenses de défense en 2025 et devenir le deuxième poste de dépenses après la sécurité sociale. Pour la première fois dans l'histoire, les charges d'intérêt sur les obligations du Trésor américain ont dépassé 1000 milliards de dollars et approchent les 4% du PIB.

Sans surprise, le gouvernement américain continue de dépenser plus qu'il ne perçoit. Depuis 2020, la dette fédérale s'est accrue de plus de 2000 milliards de dollars par an. Le déficit actuel représente la part du PIB la plus élevée de l'histoire, soit près de 7%.

Pour ne rien arranger, un tiers de la dette du gouvernement américain arrivera à échéance dans les 12 prochains mois. Avec son déficit budgétaire, le gouvernement ne dispose pas des fonds nécessaires pour rembourser cette dette et devra la refinancer alors que les taux d’intérêts sont au plus haut depuis plusieurs décennies. Le taux d'intérêt moyen sur la dette fédérale américaine est actuellement de 3,2%. Cette dette sera refinancée à des taux encore plus élevés au cours de l'année prochaine, même si la Fed baisse ses taux une ou deux fois et que le gouvernement raccourcit la maturité de la nouvelle dette.

Le 16 mai, Moody's a abaissé la note de crédit du gouvernement américain de AAA (premier échelon) à Aa1 – après des décisions similaires de S&P en 2011 et de Fitch en 2023 – en invoquant la persistance des déficits, l'augmentation des coûts d'intérêt, l'accroissement du ratio dette/PIB et les doutes concernant la réforme fiscale. La comparaison de l'encours de la dette fédérale au PIB nominal offre une perspective plus large et permet d'isoler l'effet de l'inflation. Ce ratio dépasse 100% depuis le lendemain de la crise financière mondiale de 2008. Depuis l'époque la précédant, le ratio dette/PIB a doublé. Bien qu'il ait diminué initialement après le COVID en raison d'effets de base, il est reparti à la hausse depuis. Par ailleurs, la stagnation apparente depuis 2020 est davantage imputable à la hausse du PIB qu'à la baisse des niveaux d'endettement, comme l'ont montré les graphiques précédents.

Si plusieurs pays affichent des ratios dette/PIB supérieurs à 100% (comme le Japon et Singapour), c'est la première fois que cela se produit alors que les taux d'intérêt sont au plus haut depuis plusieurs décennies, ce qui rend le coût de la dette de plus en plus insoutenable.

Au vu de ce tableau alarmant, on peut se demander si une action politique est prévue pour désamorcer la bombe à retardement que constitue la dette fédérale américaine. Le programme de M. Trump ne comporte pas de plan clair pour s'attaquer au problème, à l'exception du D.O.G.E. de M. Musk, qui visait à réduire radicalement les dépenses fédérales, mais les dépenses ont cependant continué d'augmenter. De plus, Trump a exprimé le souhait d'abolir le plafond de la dette et d'abaisser les taux d'intérêt, menaçant de modifier la Constitution pour lui permettre de limoger le président de la Fed, M. Powell, qui reste hésitant sur les baisses de taux. Quoi qu'il en soit, les deux approches visent à réduire le flux de nouvelles dettes, mais aucune ne s'attaque au volume existant.

Qui financera toute cette dette? La hausse des taux d'intérêt devrait persister, car les acheteurs d'obligations attendent davantage de rendement et les déficits alimentent l'inflation. Pourtant, les États-Unis ont un besoin urgent de taux d'intérêt plus bas. Si les déficits se poursuivent, le rôle du dollar américain en tant que monnaie de réserve mondiale pourrait s'affaiblir – un risque qui aurait des conséquences importantes sur l'attraction des capitaux étrangers, qui ont été un facteur de soutien majeur pour les actifs américains au cours des décennies.

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