La prime de guerre

Axel Botte, Ostrum AM

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L’attaque d’une centrale nucléaire en Ukraine marque peut-être le point de non-retour.

©Keystone

La situation de guerre en Ukraine domine totalement l’actualité des marchés financiers. Jeudi dernier, l’incendie d’une centrale ukrainienne après un tir de missile a fait craindre un accident nucléaire avant qu’un démenti n’atténue la panique boursière en Asie. Le S&P 500 perd environ 10% en 2022, les indices européens perdent plus du double. Les matières premières s’envolent. Le prix du cuivre a dépassé les 1’000 dollars la tonne, compte tenu de niveaux de stocks très faibles (sur le LME ou à Shanghai) et des ruptures de production dans le contexte de guerre. Le blé (400 dollars la tonne) est confronté à une crise d’offre sans précédent avec la guerre en Ukraine. Le Brent tutoie les 112 dollars. Malgré la décote de 9 dollars du pétrole de l’Oural et le retrait des acheteurs étrangers, Vladimir Poutine profite largement de la hausse. Des avancées dans les négociations avec l’Iran sur la question du nucléaire et une reprise durable de la production de pétrole aux États-Unis seront sans doute nécessaires pour endiguer le renchérissement du baril.

La croissance aux Etats-Unis semble peu affectée par le conflit, malgré la hausse du coût de l’énergie.
Une hausse nécessaire des taux

La nervosité des marchés financiers profite naturellement aux valeurs refuges traditionnelles, au premier rang desquelles figure le dollar. Le dollar-yen semble inerte jusqu’à présent, autour de 115. L’once d’or s’échange au-delà de 1'900 dollars. Les swap spreads européens s’élargissent jusque 75 points de base sur le Bund à 10 ans. Le rendement de l’emprunt allemand se traite autour de 0%. Les spreads souverains sont en revanche épargnés. Les T-note s’échangent à 1,80% avec une très forte variabilité des cours (1,70% au plus bas de la semaine). Cela étant, la Fed persiste et signe quant à une hausse des taux de 25 points de base en mars. La publication de l’Indice du Prix à la Consommation jeudi prochain confirmera probablement la nécessité d’une hausse des taux.

La croissance aux Etats-Unis semble peu affectée par le conflit, malgré la hausse du coût de l’énergie. Les enquêtes sectorielles reflètent un rebond de l’activité après l’inflexion liée à Omicron et au blocage de pont canadien. L’ISM manufacturier ressort à 58,6 en février, celui des services se replie néanmoins à 56,5. L’emploi progresse solidement au rythme de 678k en février; les données sur décembre-janvier ont été relevées de 92k et la participation progresse. Les inscriptions hebdomadaires au chômage sont retombées autour de 215k. Le taux de chômage se situe à 3,8%. En zone euro, l’inflation bondit à 5,8% en février, selon l’estimation flash. L’euro sous 1,10 dollars, les prix de l’énergie et la hausse des denrées alimentaires entretiendront la hausse des prix à la consommation. La Banque centrale européenne se réunit le 10 mars et devrait confirmer le calendrier de sortie du quantitative easing et la perspective d’une hausse des taux en fin d’année.

En recherche de stabilité

Sur les marchés financiers, la guerre engendre un repli vers l’actif réputé sans risque même si la forte volatilité du T-Note ou du Bund peut sembler en contradiction avec la notion même de valeur refuge. Le rendement des T-bills est d’ailleurs redevenu négatif sur certaines échéances. Le rendement du Bund plonge de 30 pb en une semaine. Des tensions apparaissent sur les spreads courts accroissant la prime de terme ou le spread interbancaire. La dégradation des swaps spreads en zone euro, vers 80pb sur les maturités de 2 à 10 ans, reflète donc la recherche de sécurité et le risque de crédit associé au système bancaire et son exposition réelle ou perçue à l’est de l’Europe. Les CDS bancaires souffrent.

La chute brutale des taux provient essentiellement des rendements réels.

La prime des couvertures de défaillance bancaires par rapport à l’iTraxx a doublé, par rapport à janvier-février, à 16pb. La situation de liquidité ne semble pas être la principale source de la tension. La chute brutale des taux provient essentiellement des rendements réels. Les anticipations d’inflation explosent à la hausse (+37pb sur le swap à 10 ans sur une semaine) après la publication de l’inflation européenne à 5,8% (avec un indice sous-jacent à 2,9%). Il est néanmoins difficile de ne pas maintenir un biais de sensibilité taux, notamment de taux réel en zone euro comme aux États-Unis. Les taux chinois et le yuan chinois représentent parallèlement un relatif pôle de stabilité, grâce au contrôle étroit des marchés par la banque populaire de Chine. Le yen offre également une solution de décorrélation dans les portefeuilles.

Les marchés du crédit sont évidemment sous pression. Les spreads s’élargissent sous l’impulsion des indices de CDS utilisés en couverture. L’iTraxx s’échange autour des 85pb en fin de semaine. La base (écart cash-CDS) est ainsi redevenue positive, mais la balance des flux est défavorable et risque de peser sur les marchés. Les émetteurs ayant une exposition à la Russie sont traités très difficilement, mais certaines transactions primaires conservent un attrait et se resserrent après l’émission, les primes à l’émission s’étant améliorées dans le contexte de volatilité accrue. Cela indique que, malgré les sorties des fonds de crédit, une demande subsiste sur les dettes de bonne qualité, notamment sur les maturités assez courtes. Le high yield subit davantage de rachat des deux côtés de l’Atlantique. L’iTraxx Crossover se rapproche du seuil de 400pb et le total des flux sortants de la classe d’actifs en euros atteint désormais 3,6% des actifs des fonds en 2022. En outre, l’attrait pour les fonds de prêts bancaire, qui présentent l’intérêt d’une indexation aux taux variables, se réduit.

Quant aux actions, la guerre engendre son lot de dégagements. Les sorties de fonds européennes totalisent 7 milliards d’euros, soit la décollecte la plus importante jamais enregistrée sur une semaine. Les indices perdent près de 10% et le sentiment dominant est une forme de capitulation, après l’attaque de la centrale nucléaire.

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