La monétisation rampante du déficit fédéral

Axel Botte, Ostrum AM

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Alors que la Fed poursuit l’allègement monétaire et que les indices US battent des records, sommes-nous au début de la baisse du dollar?

©Keystone

Les marchés d’actions poursuivent leur ascension. Le S&P, le Dow Jones et le Nasdaq atteignent de nouveaux records malgré la contraction des profits au troisième trimestre (-1%). Les marchés européens sont en hausse de 6% sur un mois grâce au report du Brexit. Le marché japonais est soutenu par un yen plus faible (-1,3% contre dollar sur un mois). La BoJ a en effet amendé sa communication laissant entendre que les taux pouvaient encore baisser.

Les marchés obligataires ont également rebondi dans le sillage de la décision de la Fed interrompant le mouvement de repentification. Le 10 ans américain cote environ 10pb sous les points hauts récents (1,85%). Son équivalent allemand a rechuté aux alentours de -0,35%. Les spreads souverains sont inertes alors que la BCE a repris ses achats nets depuis mercredi dernier. 

Les spreads de crédit sont globalement sans tendance alors que la dette émergente de bonne qualité profite du dernier allègement de la Fed. La dette high yield s’écarte malgré le resserrement des indices de CDS (Crossover -12pb lundi à 228pb). 

Le graphique de la semaine

Les tensions sur le repo traduisent un problème de financement du déficit fédéral. 
Le manque de demande de Treasuries des investisseurs étrangers reporte le poids du financement fédéral sur les investisseurs américains, et en premier lieu, les primary dealers. 
Ces banques financent leurs achats via le marché du repo. La hausse des mises en pensions nettes a créé un stress sur ce marché forçant la Fed à intervenir pour des montants toujours plus conséquents. 

 

Les actions ont progressé et une saison des résultats sans relief
ne semble pas faire obstacle à de nouvelles hausses.

Les marchés financiers ont une nouvelle fois salué la politique de la Fed et un environnement de croissance économique conforme aux attentes, voire légèrement plus forte qu’attendu au troisième trimestre. Les actions ont progressé et une saison des résultats sans relief ne semble pas faire obstacle à de nouvelles hausses. Les entreprises avaient largement communiqué sur un retournement des bénéfices attribuant le repli à la guerre commerciale et à la hausse des coûts salariaux. Ainsi, les résultats, en repli d’1% au troisième trimestre 2019, battent le consensus des analystes dans les trois-quarts des cas.

Les disparités sectorielles sont néanmoins frappantes et conformes aux déséquilibres internes qui caractérisent un cycle américain trop dépendant de la consommation. Les secteurs liés aux matières premières subissent une forte contraction des profits. Les pétrolières affichent un bénéfice agrégé en recul de 4,8% au troisième trimestre. Les difficultés de refinancement sont palpables sur le marché du high yield américain où ce secteur s’échange au plus large de l’année soit 650pb. Les conditions financières rappellent 2016 et sa vague de défauts de paiements. Cette situation de stress financier (rationnement du crédit bancaire) a d’ailleurs un effet macroéconomique visible dans la baisse de 15% des investissements en structures au troisième trimestre. Les surcapacités pétrolières significatives nécessitent une nouvelle consolidation du secteur. Dans la technologie, les équipementiers voient une baisse de la demande amplifiée par la guerre commerciale. Les bénéfices du secteur du hardware chutent de 17%. En revanche, les secteurs liés à la consommation et à la santé progressent de 2 à 8% sur le trimestre. La vigueur de la consommation se retrouve dans les comptes nationaux. Les dépenses des ménages (+2,9%ta) restent le moteur de la croissance (+1,9%ta) revenue à un niveau proche du potentiel. Le renouveau de la construction facilité par la baisse des taux longs permettra probablement un redressement de la demande de matières premières. L’investissement logement s’est inscrit en hausse de 5%ta sur trois mois. 

Fed: l’assouplissement comme seule issue

La hausse des actions s’explique aussi en grande partie par l’orientation de la politique monétaire. La Fed est de facto engagée dans une politique visant à monétiser le déficit fédéral via le marché du repo. La hausse du déficit fédéral à environ 1000 milliards de dollars cette année n’est plus absorbée par les investisseurs non-résidents dont la demande de Treasuries diminue depuis plusieurs mois en raison du coût de la couverture du risque de change. Parallèlement, les tensions sur le marché du repo nécessitent d’accroitre la taille des repo face à la hausse des besoins de financement des primary dealers. La Fed en achetant des T-bills (60 milliards de dollars le premier mois) fournit aussi directement de la liquidité au Trésor. La hausse du déficit américain est préoccupante car elle provient d’éléments non-cycliques comme les dépenses de santé (dont Medicare) ou le solde des défauts de paiements sur la dette étudiante garantie d’état. Ainsi, malgré la pause télégraphiée par Jerome Powell, l’assouplissement monétaire ne peut que se poursuivre. La correction sur les leveraged loans est un motif supplémentaire de baisse des taux. Les taux sont capés durablement et la trajectoire budgétaire dessine un risque de pentification. Nous privilégions un scénario haussier sur les Treasuries avec un élargissement graduel du spread 2-10 ans. Les actifs sensibles à un dollar faible en profiteront. C’est sans doute le cas de la dette émergente en dollars dont le spread a rejoint les niveaux serrés de fin juillet (319pb sur l’EMBI Global Diversified). 

Le marché des changes est étonnamment peu volatile
et seul le positionnement vendeur d’euro semble faire consensus.
La BCE reprend le QE

Nous optons également pour une vue constructive sur le Bund. Le 10 ans allemand s’échange à -0,35%. La stabilisation des enquêtes est trop récente pour inverser la dynamique des marchés obligataires d’autant que la BCE a repris ses achats nets d’obligations publiques et privées. Le QE de 20 milliards d’euros par mois s’ajoute aux réinvestissements chiffrés à 245 milliards sur l’année à venir. L’activité de la Banque Centrale maintient une chape de plomb sur les rendements. Les spreads souverains ont peu évolué la semaine dernière. Le spread italien oscille autour de 135pb à 10 ans. Le projet de budget 2020 est toujours en débat alors que l’état cherche quelque 23 milliards d’euros d’économies afin d’éviter de relever la TVA. 

Le marché du crédit européen devrait ainsi attirer la demande d’investisseurs cherchant un surcroît de rendement (101pb contre Bund). Les flux se sont néanmoins taris fin octobre. On note des prises de profit similaire sur le high yield qui tranche avec la hausse des marchés d’actions et le resserrement effréné des indices de CDS (227pb sur le Crossover). Des arbitrages devraient s’opérer entre le marché obligataire high yield et les CDS dans les semaines à venir. Le marché du high yield offre une prime moyenne de 385pb contra Bund. 

Des signes de repli du dollar?

La politique de la Fed peut engendrer un dollar plus faible. Le marché des changes est étonnamment peu volatile et seul le positionnement vendeur d’euro semble faire consensus. C’est d’ailleurs l’une des raisons du rebond de la monnaie unique dont le portage s’améliore vis-à-vis du dollar. L’euro remonte ainsi face au billet vert (1,116 dollar) aidé en cela par le report du Brexit. Le sterling est logiquement acheté et tutoie désormais le seuil de 1,30 dollar. Le dollar australien reprend des couleurs malgré les discussions en cours à la RBA pour initier un programme de rachats d’actifs sans doute centré sur le crédit hypothécaire. A l’inverse, le message très prudent de la BoC face aux risques extérieurs provoque un retracement du dollar canadien (1,315 dollar canadien pour un dollar).

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