L’impensable Krach pétrolier

Axel Botte, Ostrum AM

3 minutes de lecture

Le baril de brut s’échange à un prix négatif. Voit-on une bulle d’anticipations sur les actions?

© Keystone

Le krach pétrolier a provoqué une situation inédite de prix négatifs pour le baril de brut. Dans ce contexte, les marchés d’actions ont cédé du terrain perdant, selon les indices, entre 1,4% (S&P500) et autour de 3% (Euro Stoxx 50, Nikkei 225). Les banques européennes continuent de décrocher affichant des performances de -50% en 2020.

Le T-note à 10 ans oscille autour de 0,60%. Le crédit américain soutenu par les dispositifs de la Fed résiste à un déluge d’émissions depuis un mois. Les spreads IG américains se situent autour de 210bp.

En Europe, le Bund a touché -0,50% et, si la volatilité reste élevée sur les spreads périphériques, la BCE assure l’accès au marché des souverains. L’Italie n’a pas été dégradée par S&P (BBB), ce qui constitue un signe favorable. Le crédit reste bien orienté compte tenu de spreads attrayants de l’ordre de 200pb contre Bund.

Le dollar reste fort et seul le yen résiste à l’excès de demande de billet vert. L’euro cote autour d’1,08$. Les devises latino-américaines sont sous pression.

Le graphique de la semaine

Le prix du pétrole s’est effondré à l’approche du roulement du contrat mai sur l’échéance suivante de juin.
L’effondrement des cours a fait apparaitre une situation inédite de prix négatif. Au plus bas du 20 avril, le baril livré en mai s’est échangé à -55$.
L’excès d’offre ne sera pas résorbé par l’accord annoncé par l’OPEP+ récemment. En outre les capacités de stockage, y compris les tankers, sont proches de la saturation. Le prix à terme (décembre 2020) a également chuté sous les 30$, un niveau insuffisant pour rentabiliser la production dans la plupart des pays.
Krach sur l’or noir

L’évènement de la semaine est sans nul doute l’effondrement des cours du pétrole. Les prix de l’or noir pour livraison fin mai aux Etats-Unis ont même atteint des niveaux de prix négatifs difficilement concevables. Le baril de WTI s’est ainsi échangé à -55 dollars en séance le 20 avril. Les producteurs sont alors sommés de subventionner le consommateur. De fait, plusieurs entreprises productrices de brut ont activé des causes de force majeure (‘voire d’acte divin’) afin de contester cette dépense. L’accélération baissière des prix du baril s’explique à la fois à l’équilibre économique sur le marché physique et au fonctionnement des marchés à terme où les ETFs ont accumulé des positions gigantesques ces dernières années. L’effondrement de la demande de pétrole est chiffré entre 25 et 35 mn de barils par jour pour les deux mois à venir. Or les de production décidées par l’OPEP+ et autres pays producteurs n’atteignent au mieux que 15mbpj. Les capacités de stockage sont largement utilisées et l’arbitrage n’est plus favorable au stockage flottant avec la hausse des prix du fret. Les Etats-Unis ont émis l’idée de subventionner les entreprises du secteur pour ne pas produire et d’augmenter les réserves stratégiques mais la capacité restante n’est en réalité que de 70mbpj. La faillite des producteurs de pétrole de schiste contribuera dans le temps au rééquilibrage du marché mais il apparait évident que l’OPEP+ devra rapidement revoir sa copie.

On peut craindre que le rebond des marchés d’actions
ne traduise qu’une nouvelle bulle d’anticipations.
Le marché dans une bulle d’anticipations

Sur le plan économique, les enquêtes de conjoncture dépeignent un arrêt de l’activité quasi-total notamment dans les services en Europe comme aux Etats-Unis. L’optimisme qui transparait dans l’enquête ZEW d’avril semble davantage se référer à la remontée des indices qu’à une réelle anticipation de reprise économique. L’IFO allemand n’augure d’ailleurs rien de bon pour les prochains mois. On peut craindre en effet que le rebond des marchés d’actions ne traduise qu’une nouvelle bulle d’anticipations.

Les actions effacent déjà 2020

Les marchés d’actions se stabilisent autour de 2800 sur l’Euro Stoxx 50, environ 1000 points sous les sommets février. La forte baisse des résultats inscrite dans les pour les indices européens est de l’ordre de 25 à 30% mais les analystes entrevoient un retour aux profits de 2019 dès l’an prochain. Aux Etats-Unis, les projetés du S&P en 2021 se situent même 15% au-dessus de 2019. Il n’est pas rare de voir les marchés d’actions ignorer une chute transitoire des bénéfices mais la crise actuelle, inédite dans son scénario, milite pour le maintien d’une prime de risque élevée et donc d’une décote sur les multiples de valorisation. La volatilité reste d’ailleurs élevée. Le V2X cote encore autour de 40% contre 14% à la mi-février. La plupart des entreprises cotées ne s’engagent plus les résultats de 2020 et les versements de dividendes ont été ajustés à la baisse de 40%. Les bénéfices du segment des petites capitalisations s’ajustent fortement à la baisse. Le secteur bancaire européen continue de plonger avec une performance proche de -50% en 2020. Les actions bancaires affichent aucun rebond au contraire des titres de capital contingent (Tier1) qui participent au rebond des actifs risqués depuis un mois.

Redressement des flux sur le crédit

Sur les marchés de taux, l’anesthésie générale semble prévaloir sur le marché des Treasuries. L’action de la Fed a considérablement réduit la volatilité autour d’un point pivot de 0,60% sur le T-note à 10%. La diminution des interventions journalières de la Fed préfigure peutêtre politique de ciblage des taux à long terme. La courbe est pentue mais la réduction de la volatilité favorisera son aplatissement. Une plus forte variabilité des spreads perdure sur le marché des MBS compte tenu des difficultés à attendre dans le secteur immobilier (baisse des prix, défauts, risque de liquidité). Le marché primaire du crédit investment grade américain connait des émissions record depuis début mars. Le soutien de la Fed a permis ce redémarrage mais la hausse induite du levier combinée à la chute des excédents bruts d’exploitation dans la récession fait craindre une forte hausse du levier brut et de nouvelles dégradations de notations. Le spread IG moyen se situe juste au-dessus de 210pb contre Treasuries. Le high yield continue d’être porté par l’extension des achats de la Fed aux anges déchus et aux ETFs investis en high yield. Les flux vers l’IG et le high yield se sont nettement redressés.

La difficulté à mettre en oeuvre une réponse budgétaire à l’échelle de la
zone euro oblige la Banque Centrale à assumer toujours plus de risques.

En zone euro, le Bund bute sur son plancher naturel que constitue le taux de dépôt de -0,50%. Les états conservent un accès au marché appuyé par la BCE, au travers notamment du PEPP (70 milliards d'euros dépensés en trois semaines sur les 750 annoncés). Les spreads périphériques se tendent avant chaque émission obligataire. Les primes par rapport au secondaire restent significatives (17pb sur le dernier emprunt italien 2050). Le maintien de la note de l’Italie par S&P perspectives négatives) favorise néanmoins un resserrement à court terme avant la décision de Moody’s (Baa3 stable) le 8 mai. La BCE, qui se réunit jeudi, reste prête à augmenter l’enveloppe de PEPP.

La difficulté à mettre en oeuvre une réponse budgétaire à l’échelle de la zone euro oblige la Banque Centrale à assumer toujours plus de risques. L’institut d’émission acceptera en collatéral les titres ayant perdu leur notation investment grade depuis le 7 avril. Cette mesure devrait contribuer à améliorer la liquidité des classée en catégorie spéculative (jusqu’à BB-). Le high yield européen offre un spread de 672pb.

Enfin, le dollar reste en forte demande (1,08$). La cassure du niveau d’1,07$ favorisera la remise en place de positions spéculatives vendeuses d’euro. Il conviendra de lui préférer le yen.

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