L’impôt anticipé menace la finance durable

Jan Langlo, Association de Banques Privées Suisses 

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La réforme de l’impôt anticipé proposée par le Conseil fédéral va dans la bonne direction et sera auto-financée.

En 2011 et 2015, le Conseil fédéral a déjà essayé de réformer l’impôt anticipé. Ces tentatives ont échoué, car elles prévoyaient soit la levée du secret bancaire vis-à-vis des autorités fiscales, soit la mise en place d’un impôt prélevé par l’agent payeur, deux mesures qui ont rencontré très peu de soutien lors des consultations. Seule a été introduite une exonération des intérêts sur les instruments émis par des établissements financiers trop grands pour être mis en faillite. Cette exonération, pour l’instant limitée aux instruments émis jusqu’à la fin de l’année 2021, est en passe d’être prolongée jusqu’à fin 2026.

Pourtant, la nécessité d’une réforme est toujours présente, car la Suisse est l’un des derniers pays à connaître un impôt à la source sur les revenus d’intérêts, qui plus est à un taux très élevé de 35%. Même si les conventions contre les doubles impositions permettent de récupérer tout ou partie de cet impôt, les investisseurs étrangers n’apprécient pas la bureaucratie nécessaire à cette fin, ni le délai qu’elle implique. Cette chicane est d’autant plus incompréhensible depuis que la Suisse a commencé à appliquer l’échange automatique de renseignements en 2017.

Les pertes de recettes fiscales seront vite plus que compensées par les impôts générés
par les nouvelles activités financières qui pourront se développer en Suisse.

Suite aux résultats controversés de la consultation sur son projet de 2020, le Conseil fédéral a décidé de simplement abolir l’impôt anticipé sur les intérêts, sauf ceux générés par les comptes bancaires des personnes physiques résidentes en Suisse. L’Association de Banques Privées Suisses (ABPS) soutient pleinement ce choix.

Il est aussi prévu de supprimer le droit de timbre de négociation (DTN) sur les obligations suisses, ce qui pourrait être élargi à tous les titres suisses. En effet, les pertes de recettes fiscales qui en résulteront seront vite plus que compensées par les impôts générés par les nouvelles activités financières qui pourront se développer en Suisse: ces réformes seront autofinancées au bout de cinq ans et bénéficiaires ensuite.

Concrètement, le Conseil fédéral dans son avis du 18 novembre 2020 a chiffré le coût de ces mesures à 160 millions de francs de recettes annuelles pour l’impôt anticipé et 190 millions pour l’abolition du DTN sur les titres suisses (dont 25 millions pour le DTN sur les obligations suisses), soit 350 millions de francs de recettes fiscales par année.

Pourtant, ces réformes auraient aussi des effets dynamiques. Une étude de l’institut BAK Economics, mandaté par l’AFC, prévoit un PIB réel supérieur de 0,5% après 5 ans et de 0,7% après 10 ans si ces réformes sont adoptées. Le Conseil fédéral déclare ainsi dans son rapport explicatif du 14 avril 2021: «le potentiel de recettes supplémentaires pour la Confédération pourrait atteindre quelque 350 millions de francs cinq ans après la réforme. Partant, la réforme pourrait être financée également au niveau fédéral après quatre ou cinq ans environ.» Et il constate aussi que pour les cantons et les communes, qui ne supportent que 10% des pertes de recettes de l’impôt anticipé, «les recettes pourraient augmenter du fait que la réforme stimulera la création de valeur et l’emploi, et ce, déjà à court terme».

A l’heure où la durabilité doit être encouragée par l’émission d’obligations «vertes»,
il est urgent de rendre le marché suisse attractif sur la scène internationale.

Il ne s’agit donc pas de réformes qui coûtent de l’argent, mais qui vont en rapporter à la Suisse. Cet effet est lié à la suppression de l’impôt anticipé sur les intérêts et du DTN sur les titres suisses, qui sont des obstacles au développement du marché des capitaux étrangers en Suisse. Il est en effet frappant de constater que le volume des obligations émises en Suisse représente à peine 10% de son PIB, alors que celui des obligations émises au Luxembourg atteint 2270% de son PIB, selon l’étude précitée.

A l’heure où la durabilité doit être encouragée par l’émission d’obligations «vertes», il est urgent de rendre le marché suisse attractif sur la scène internationale. En effet, la Suisse accuse déjà dans ce domaine un retard qu’il convient de combler au plus vite. Alors que la bourse luxembourgeoise vient de célébrer sa millième obligation durable, pour un volume total de plus de 500 milliards d’euros, seules 57 obligations durables sont cotées à la bourse suisse, pour un volume total d’environ 18 milliards de francs. Et parmi celles-ci, environ la moitié a été émise à l’étranger! La Confédération n’a rien à perdre à stimuler le développement de ce marché d’avenir, puisqu’elle n’en tire aujourd’hui aucun revenu.

Il est important de rappeler que l’abolition d’une partie de l’impôt anticipé et du DTN n’est pas un «cadeau» faits aux banques, puisque ces impôts sont en réalité dus et supportés par les clients qui investissent. Ce sont donc ces derniers qui profiteront de leur suppression.

Et à ceux qui craignent que la réforme de l’impôt anticipé encourage la soustraction fiscale, on répondra que le Conseil fédéral a estimé les éventuelles pertes y relatives à 10 millions de francs. Comparé aux 5 à 8 milliards que rapporte chaque année l’impôt anticipé, essentiellement sur les dividendes, ce risque paraît bien faible.

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