L’euphorie et le chaos

Axel Botte, Ostrum AM

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La possibilité d’une destitution de Donald Trump pourrait engendrer des débouclements sur les positions vendeuses de dollar.

©Keystone

Le thème de la reflation domine toujours les marchés malgré le contexte politique délétère aux Etats-Unis. Le T-note s’échange autour d’1,10%. En Europe, parallèlement à la hausse des actions, la réduction des spreads s’accélère. Les marchés financiers semblent évoluer hors-sol depuis le début de l’année. L’issue des élections sénatoriales de Géorgie a ravivé la thématique de reflation, qui se décline largement via les stratégies de pentification, l’exposition aux emprunts indexés sur l’inflation ou aux valeurs de petites capitalisations américaines. Le mandat de Donald Trump se termine pourtant dans le chaos. Des parlementaires des deux bords appellent à l’activation du 25e amendement de la Constitution attestant l’incapacité du président à diriger le pays après son appel à l’insurrection afin de bloquer la validation du vote du collège électoral. Les dernières décisions de Donald Trump ordonnant le retrait de la cote américaine d’entreprises chinoises traduisent une volonté de laisser un champ de mine à l’Administration Biden dans ses relations avec l’empire du milieu.

Sur le plan économique, la croissance américaine s’avère solide au quatrième trimestre (autour de 8%Ta). Le taux de chômage se stabilise à 6,8%. Les heures travaillées progressent de 10,1% sur 3 mois malgré la perte de 140’000 emplois en décembre. Les licenciements se concentrent en effet dans le secteur des loisirs mais l’activité est soutenue dans le reste de l’économie. Les enquêtes manufacturières (ISM à 60,2) demeurent solides. Le secteur des services, pourtant exposé aux restrictions sanitaires, progressait sensiblement à 57,2 en décembre. La faiblesse de la consommation s’est estompée avec le rebond des ventes de véhicules au-delà de 16 millions d’unités. 

La thématique de reflation se nourrit des perspectives de relance
budgétaire aux Etats-Unis permises par la majorité démocrate au Congrès.

Parallèlement, le commerce mondial poursuit son redressement au bénéfice de l’industrie allemande qui enregistre une nette hausse des commandes en novembre. Le prix du fret maritime à Shanghai reflète cette embellie. La situation européenne est néanmoins inégale. Les enquêtes sortent en ordre dispersé et la rechute de l’activité se prolongera au début de 2021. L’effort de vaccination, crucial pour la reprise, se heurte à l’apparition d’un nouveau variant du COVID et aux difficultés logistiques.

La thématique de reflation se nourrit des perspectives de relance budgétaire aux Etats-Unis permises par la majorité démocrate au Congrès. Le programme de Joe Biden prévoyait 4’000 milliards de dollars de dépenses à l’horizon de 2024. La hausse attendue du déficit a provoqué une tension sur le Tnote à 10 ans vers 1,10%. La pentification de la courbe est entretenue par l’ancrage des taux courts à 0% jusqu’en 2023. L’annonce de la stratégie d’émissions du Trésor (début février) sera déterminante pour le marché de taux compte tenu de l’encours de T-bills à refinancer avant le retour du plafond de la dette à partir du deuxième trimestre. Les objectifs à court terme pointent une poursuite de la hausse des rendements… jusqu’à une éventuelle intervention de la Fed, que Richard Clarida semble exclure à ce stade. Les minutes du FOMC de décembre ne donnent en effet aucune indication en ce sens. Le marché de taux cherchera à tester la fonction de réaction de la Fed face à la montée inexorable de l’inflation. La hausse du pétrole issue de la baisse de la production saoudienne (-1mbpj à partir de février) et la dépréciation récente du dollar soutiennent les anticipations d’inflation. Les points morts à 10 ans se situent au-delà de 2% (swap d’inflation à 2,29%).

Malgré la cherté fondamentale du Bund,
l’emprunt allemand se révèle peu sensible aux tensions sur les Treasuries.

En zone euro, une nouvelle référence Bund à 10 ans a été adjugée (-0,52% en clôture). Malgré la cherté fondamentale du Bund, l’emprunt allemand se révèle peu sensible aux tensions sur les Treasuries. Les syndications de janvier ont débuté par plusieurs émissions publiques (BTP 15 ans, Irlande 10 ans notamment). Les transactions se sont soldées sous les niveaux de spread annoncés. La dynamique de resserrement est alimentée par l’excès de trésorerie institutionnelle et des annonces de réductions des émissions nettes cette année. Le Trésor espagnol a abaissé de 10 milliards d’euros son besoin de financement prévisionnel à 100 milliards d’euros pour 2021. Le Portugal a aussi réduit ses emprunts prévisionnels. Le Bono à 10 ans cote 55pb contre Bund. Parallèlement, une région allemande a emprunté 2 milliards d’euros à 100 ans sous 1%. L’excès de demande d’obligations entretenu par la BCE est colossal et complique l’interprétation fondamentale des spreads actuels. La hausse des anticipations d’inflation est aussi visible en zone euro malgré la vigueur de la monnaie unique. Le mouvement de points morts atteint 5pb sur la semaine.

Quant au crédit, le rendement moyen se situe à 0,2% sur l’IG en euros. Les spreads ont baissé de 4pb à 88bp contre Bund. Le retour du primaire semble créer la demande de sorte que les spreads se réduisent sous les niveaux indicatifs. Le high yield se renchérit malgré des valorisations incompatibles avec un risque intrinsèque des émetteurs fragilisés par la crise sanitaire. Il convient sans doute d’alléger l’exposition high yield (30pb sous la moyenne à 5ans) à mesure que les spreads se resserrent. Le maintien d’une volatilité élevée sur les actions malgré les niveaux d’indices record a engendré un retracement de 10pb du Crossover cette semaine.

Les marchés d’actions s’adjugent entre 2 et 6% depuis le début de 2021 avec une surperformance marquée du Russell 2000 aux Etats-Unis. Le raffermissement du dollar pose question. La réduction des marges de swaps de change favorise le dollar à court terme. La possibilité d’une destitution de Donald Trump pourrait engendrer des débouclements sur les positions vendeuses de dollar. L’euro est ainsi repassé sous le seuil de 1,22 dollar.

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