L’avenir commence aujourd’hui – Weekly note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

7 minutes de lecture

Esprits échauffés: qu’implique l’élection américaine pour les investisseurs suisses? Surprenant: pourquoi la dette suisse liée au coronavirus est inférieure aux prévisions.

Le rallye boursier qui se poursuit depuis la fin mars a apaisé certaines incertitudes. Toutefois, d’importantes questions restent en suspens: que signifie l’imminente élection présidentielle américaine pour les investisseurs suisses? Dans quelle mesure la Suisse a-t-elle vraiment hypothéqué «l’avenir» pour payer la gestion de la pandémie de coronavirus et les conséquences de celle-ci? Nous traversons une époque qui donne le tournis! Un regard sur les cent dernières années, de 1920 à aujourd’hui, incite à l’optimisme en dépit de tous les impondérables, et ce grâce au pouvoir des bonnes idées, à la créativité et au monde numérique.

1. Esprits échauffés: qu’implique l’élection américaine pour les investisseurs suisses?

Un vieil adage boursier dit que l’impact de l’élection du président américain sur la bourse est aussi important que la différence entre Coca-Cola et Pepsi-Cola. C’est bien possible, mais les investisseurs sont d’un autre avis: l’issue du scrutin échauffe les esprits. 

Examinons donc brièvement certains aspects en analysant d’abord la performance des actions dans le contexte des élections présidentielles, puis la future évolution possible de la politique économique, quel que soit le candidat élu. 

On peut faire trois constats en rapport avec l’élection présidentielle et la performance des actions:

  • Par le passé, les actions ont en moyenne mieux performé sous les présidents démocrates que sous les présidents républicains.
  • De manière générale, la performance des actions a été meilleure pendant les dernières années d’un mandat présidentiel que durant les deux premières. 
  • Les actions se sont traditionnellement moins bien comportées au cours des trois mois qui ont précédé l’éviction d’un président. 

Étudiées de plus près néanmoins, ces statistiques reflètent davantage une corrélation qu’une stricte causalité. Des facteurs tels que la conjoncture, les taux d’intérêt et des événements particuliers ont beaucoup plus d’impact sur les marchés boursiers. Or, les présidents américains n’exercent qu’une influence très indirecte sur ces facteurs.

Deux graphiques montrent les liens ténus entre l’évolution de la bourse et les mandats des présidents américains.

 

Bien que les élections présidentielles aient moins impacté les marchés boursiers qu’on ne l’aurait peut-être supposé, il n’y a guère d’événement politique national qui occupe les investisseurs du monde entier dans une telle mesure et aussi longtemps que la campagne électorale américaine et son issue. Mais quel que soit le vainqueur, les inves-tisseurs suisses devraient surveiller les évolutions suivantes:

  1. Focalisation sur la reprise économique aux États-Unis
    Que ce soit Joe Biden ou Donald Trump qui remporte l’élection, l’un comme l’autre s’attacheront avant tout à surmonter la crise actuelle qui frappe les États-Unis et qui n’est pas seulement liée à la pandémie de coronavirus. Tous deux devraient introduire de nouvelles mesures budgétaires à cette fin. Biden envisage une hausse modérée des impôts sur les entreprises et souhaite mettre fin à la prospection et à la production pétrolière dans les sites naturels protégés si précieux sur le plan écologique. Mais rien n’indique qu’il entravera la reprise économique et boursière.
  2. Maintien du faible niveau de l’inflation et des taux réels
    Comme l’inflation reste faible, les deux candidats sont susceptibles de tirer profit des taux d’intérêt historiquement bas du marché des capitaux, lesquels devraient accroître leur propension à augmenter encore la dette publique. On peut s’attendre à ce que Joe Biden, s’il est élu, renforce l’indépendance de la Réserve fédérale américaine.
  3. Aucune issue en vue au conflit sino-américain
    Le ressentiment envers la Chine est l’un des rares dénominateurs communs sur lesquels la population américaine, profondément divisée, peut encore s’entendre. Sur un ton différent mais de manière similaire sur le fond, la dislocation progressive de la relation «chimérique» autrefois symbiotique devrait se poursuivre. Il est bien possible qu’au fil de cette démondialisation, le dollar s’affaiblisse davantage tandis que les actions cotées à la bourse principale de Chine gagneront en attrait, notamment pour les investisseurs internationaux, car le marché intérieur et l’essor boursier de l’Empire du Milieu sont tout simplement trop lucratifs pour que ces derniers les ignorent.
2. Surprenant: pourquoi la dette suisse liée au coronavirus est inférieure aux prévisions

Mes collègues Franziska Fischer et Emilie Gachet ont récemment publié une étude intéressante sur les dettes suisses contractées pendant la pandémie de coronavirus1. Leurs constats devraient en surprendre plus d’un: contrairement aux attentes de beaucoup, les dettes liées à la crise ne s’envolent nullement en Suisse. Au contraire, elles devraient être inférieures aux prévisions, et il y a plusieurs explications à ce phénomène:

Le coût du chômage partiel est nettement inférieur au budget prévu. Nos expertes estiment qu’il devrait s’élever à 12 milliards de francs suisses environ alors que le SECO avait initialement provisionné quelque 20 milliards à cet effet, la différence s’établissant ainsi à 8 milliards. Elles fondent leur calcul sur le taux actuel d’utilisation de ce budget. 

Et la nouvelle dette fédérale devrait être, elle aussi, inférieure aux attentes. D’une part, la Confédération pourrait en financer une partie en piochant dans ses réserves de liquidités d’environ 26 milliards de francs suisses et, d’autre part, il est probable qu’elle continuera à vendre les obligations fédérales qu’elle détient elle-même, ce qui devrait lui rapporter entre trois et cinq milliards de liquidités supplémentaires. De plus, comme les taux d’intérêt négatifs lui procurent un revenu additionnel provenant de la conclusion de nouvelles dettes, l’endettement public suisse se réduit en partie de lui-même dans la même mesure chaque année.

Une fois tous les facteurs pertinents pris en compte, le taux d’endettement helvétique devrait donc rester l’un des plus faibles du monde, bien en dessous du seuil de 60% du produit intérieur brut (PIB) fixé par Maastricht, comme le graphique 3 le montre. Cela laisse penser que le franc demeurera la monnaie la plus forte du globe à l’avenir. Et c’est précisément ce qui rend les placements en Suisse si intéressants pour les investisseurs étrangers également.

Ma collègue Franziska Fischer a également établi un excellent rapport, qui devrait intéresser les investisseurs2, à propos de l’enquête sur les marchés financiers menée auprès d’analystes professionnels de la CFA Society Switzerland. Dans le contexte de la crise du coronavirus, ceux-ci estiment que…

…il n’y aura pas de deuxième confinement;
…l’économie enregistrera une reprise en forme de U;
…l’augmentation de la dette fédérale ne devrait guère poser de problèmes;
… un grand nombre de salariés continueront de travailler à domicile, du moins partiellement, jusqu’à la fin de 2021.

Ce sont des estimations intéressantes. À l’occasion de conférences et d’entretiens avec des investisseurs, je constate moi aussi que la profonde inquiétude manifestée par ceux-ci au début de l’été a désormais cédé la place à un consensus de confiance, ce qui n’est pas bon signe. En effet, tout le monde sait qu’en bourse, le «scepticisme de la majorité» – non la confiance – constitue le terreau le plus fertile pour les investisseurs. Il y a néanmoins un point rassurant: à savoir que ceux-ci se prétendent plus confiants que ne le reflètent réellement leurs portefeuilles.

3. Disruptif: ce que les investisseurs peuvent attendre des années 2020

L’histoire se répète-t-elle? 

Aujourd’hui, on compare souvent les années vingt des XXe et XXIe siècles. En dépit d’un scepticisme de principe envers de telles comparaisons historiques, des parallèles sautent aux yeux: 

Les années 1920 ont commencé par une pandémie, une récession et un krach boursier, lequel a été suivi par une hausse de dix ans. La grippe espagnole a infecté 500 millions de personnes – près d’un tiers de la population mondiale de l’époque (1,8 milliard), et causé la mort de 20 à 50 millions – 3% environ de la population mondiale. Jusqu’ici, la pandémie de Covid-19 a touché près de 24 millions de personnes et fait 820 000 victimes alors que la population mondiale (7,8 milliards actuellement) a quintuplé depuis 1920.

Une récession a marqué le début des années vingt des deux siècles, mais deux autres ont suivi au XXe: de mai 1923 à juin 1924 et d’octobre 1926 à novembre 1927. 

Du 3 novembre 1919 au 24 août 1920, l’indice Dow Jones Industrial Average (DJIA) a chuté de 48%, passant de 120 à 63 points. Cette crise boursière dramatique a débou-ché sur un marché haussier de dix ans, le DJIA ayant gagné quelque 500% jusqu’au 17 septembre 1929, s’élevant de 63 à 381 points, tandis que le S&P 500 a augmenté de près de 400% avant que n’éclate la grande dépression bien connue de tous. 

Depuis 1920, les actions des entreprises américaines ont progressé d’environ 4 à 7% par an, comme le montre le graphique 4 pour le S&P 500. Pour éviter tout malentendu, je précise que l’histoire ne se répète pas. Néanmoins, si l’on établissait des hypothèses sur la base des cent dernières années boursières et si l’on extrapolait des tendances, les scénarios élaborés pour le S&P 500 d’ici à 2030 seraient certainement très diffé-rents. Une croissance tendancielle soutenue de 6%, 6,5% ou 7% pourrait porter cet indice à des niveaux de respectivement 4320, 6000 ou 12 000 d’ici à 2030. Une telle évolution devrait néanmoins nous montrer clairement à quel point les simulations sont influencées par des chiffres hypothétiques soi-disant faibles, et elle devrait également servir de mise en garde. En effet, les différentes conditions-cadres économiques jouent ici un rôle majeur. Et pourtant, nous constatons une chose: depuis le 23 mars 2020, les ratios cours-bénéfices moyens du S&P 500 se sont déjà élevés de 33%, passant de 22,2 à 29,6.

Avec toute la prudence nécessaire, on peut néanmoins dire que la tendance sur cent ans contredit un tableau sombre intemporel qui donnerait l’impression d’une «confusion générale de valorisations exagérées» (toujours dénoncée bien sûr par les contemporains) et qui influencerait les stratégies de placement. 

Quoi qu’il en soit, la rapidité de l’innovation socio-économique reste un levier central pour la croissance tendancielle future de l’économie et des marchés boursiers. Il suffit de jeter à nouveau un regard dans le rétroviseur et de faire une comparaison avec les innovations techniques (automatisation, premiers aspirateurs et réfrigérateurs en série) et les percées médicales (insuline, antibiotiques) des années 1920. 

Le fait que les innovations soient le moteur de la croissance tendancielle revêt encore plus d’importance aujourd’hui, dans un contexte de taux d’intérêt nuls, qu’à l’époque révolue où les fonds du marché monétaire dégageaient encore des rendements proches de 5%. Ce qui soulève immédiatement la question suivante: pouvons-nous maintenir le rythme soutenu de l’innovation?

BRAIN – domaines porteurs de progrès

Bien sûr, il y aura toujours des innovations. Le cerveau humain est inventif, et lorsqu’il atteint ses limites, ses déficits peuvent être surmontés par la mémoire collective développée sur internet et par les liens susceptibles d’y être créés. C’est pourquoi le terme «BRAIN» n’est pas seulement un symbole pour le cerveau ou le pouvoir des nouvelles idées, mais aussi un acronyme pour les domaines importants dans lesquels émergent des innovations disruptives. 

BRAIN correspond à Biotechnologie, Robotique, Artificial Intelligence (intelligence artificielle) et Nanotechnologie. Ces disciplines et bien d’autres évidemment s’efforcent de repousser les limites du technologiquement possible. Les centres logistiques modernes d’Amazon ou d’Alibaba, par exemple, ressemblent à des salles de robots, entièrement automatisées et dotées de l’intelligence en essaim. La customisation de la publicité numérique ou la précision des diagnostics basés sur l’informatique ne seraient pas possibles sans la reconnaissance des formes par l’intelligence artificielle, dont les coûts et la consommation d’énergie devraient être réduits à l’avenir par les ordinateurs quantiques, grâce à leur superpuissance de calcul fondée sur la physique quantique. Le développement, en nanotechnologie, de nouveaux matériaux pour les infrastructures ou la consommation d’énergie par exemple pourrait permettre de diminuer notre empreinte écologique. 

Dans les années 2020, la tendance consiste donc à compléter ou à remplacer les personnes par des services informatiques. Un regard sur la croissance exponentielle des investissements dans les matériels et les logiciels en dit plus qu’une longue explication (voir graphique 5).

Et l’expérience réunie au «bon vieux temps», c’est-à-dire avant les mesures de confinement, nous montre que cette évolution crée plus d’emplois qu’elle n’en supprime. La conclusion qu’on en tire n’a rien de nouveau: l’innovation et le progrès technologique devraient accroître la productivité et les bénéfices des entreprises à l’avenir également et expliquer pourquoi les actions continueront, un certain temps encore, à dégager les meilleurs rendements attendus parmi tous les placements des marchés des capitaux.

Les mesures de confinement stimulent les offres numériques

Deux études récentes illustrent la manière dont les mesures de confinement ont accru le potentiel disruptif des nouvelles technologies. Celle du National Bureau of Econo-mic Research (NBER / bureau national de recherche économique) estime que dans le cadre du télétravail, les salariés ont travaillé environ 48,5 minutes de plus par jour, qu’ils ont participé à 13% de plus de réunions d’équipe (virtuelles) et qu’ils ont envoyé 1,4 fois plus d’e-mails internes qu’auparavant3. Il ne fait aucun doute que le travail à domicile ne va pas régresser mais continuer à se développer et qu’il permettra très probablement de réduire les coûts fixes et de les rendre plus flexibles tout en augmentant la productivité.

D’après une étude4 réalisée par le magazine spécialisé américain Health Affairs, seuls 13'000 patients aux États-Unis étaient abonnés à des téléconsultations médicales régulières et payantes en mars 2020, mais leur nombre s’était élevé à 1,7 millions la dernière semaine d’avril 2020. Plus de neufs millions de personnes ont eu recours à des prestations de télémédecine sur une base ponctuelle. Cette évolution est activement soutenue par les autorités fédérales, car elle soulage le système national de santé à la fois au niveau du personnel et sur le plan financier.

Ces exemples suscitent trois réflexions importantes pour les investisseurs:

Premièrement, il n’est pas étonnant que les principaux marchés boursiers technologiques que sont Shenzen en Chine (+30% depuis le début de l’année) et le Nasdaq (+32% depuis le début de l’année) enregistrent les plus fortes performances du monde. Ce sont les premiers bénéficiaires de la révolution industrielle 4.0.

Deuxièmement, la volonté de dominer l’économie numérique (à l’instar de Microsoft, Google, Facebook, Apple) est un phénomène bien naturel étant donné les effets de réseau de ces entreprises, mais leur intensité capitalistique relativement faible peut rendre leurs monopoles actuels plus fragiles que les monopoles industriels des années 1920.

Troisièmement, la crise de 2020 se révèle être un parfait catalyseur pour certains Supertrends et pour l’art des placements thématiques. Les investisseurs feraient bien de rester fidèles à ces orientations.

 

1 Si vous vous intéressez à des études du Credit Suisse telles que celle-ci, veuillez vous adresser à votre conseiller, qui se fera un plaisir de vous aider.
2 Financial Market Survey août 2020 (en anglais), disponible sous Research: Économie suisse https://www.credit-suisse.com/ch/fr/unternehmen/unternehmen-unternehmer/publikationen.html
3 https://www.nber.org/papers/w27612 
4 https://www.healthaffairs.org/do/10.1377/hblog20200715.454789/full/

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