Jeux de synonymes

Christopher Smart, Barings

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Un mot disparaît, mais l’idée reste: l’inflation ne va pas faire dérailler la reprise économique.

©Keystone

La semaine dernière, le président de la Fed a officiellement renoncé à l’utilisation du terme «transitoire» pour définir l’inflation. Un changement qui intervient dans un contexte de pression politique croissante vers la reconnaissance de la réalité de l’augmentation généralisée des prix. Mais comprendre les forces économiques à l’origine de l’inflation nécessiterait une analyse détaillée des données et la formulation de quelques grandes hypothèses touchant à l’épidémiologie et à la psychologie humaine. S’il faut trouver un nouveau terme pour définir la dynamique actuelle des prix, il vaudrait mieux s’en tenir à des synonymes comme «impermanent», «éphémère» ou «culminant».

Perspectives… transitoires

Cette vision des choses a été passablement bousculée ces derniers temps. En effet, les chiffres indiquent que la hausse des prix ne se limite désormais plus uniquement aux secteurs concernés par les réouvertures post-confinements. De la même manière, cette dernière ne peut plus être reliée aux seuls prix de l’énergie. Elle commence, par ailleurs, à se manifester dans les prévisions de prix à court terme. Mais les eaux se troublent relativement vite face à des temporalités et des cadres encore mal définis. Ceux qui restent relativement peu inquiets s’attendent à ce que l’inflation à long terme se stabilise aux alentours des 2% d’ici la fin de l’année prochaine, la Fed procédant à un relèvement lent et prévisible de ses taux en parallèle de la reprise.

Il n’est pas encore clair si les 5 millions d’emplois qui ont disparu aux Etats Unis pendant la pandémie pourront être récupérés un jour.

Pour un investisseur à long terme, la grande question est de savoir si les dommages causés par la pandémie aux marchés du travail et les mesures significatives prises par les différents gouvernements ont inversé la tendance des 40 dernières années. Tendance qui a permis de garder l’inflation à distance et les taux d’intérêt sur une trajectoire baissière. Le vieillissement des populations dans les pays riches a freiné la demande alors que la mondialisation des marchés du travail et les avancées technologiques incessantes ont permis de limiter la hausse des salaires. 

Avoir des dépenses publiques aussi élevées et, dans le même temps, une telle quantité de liquidités injectées dans l’économie de la part des banques centrales est bien entendu inédit. Et il n’est pas encore clair si les 5 millions d’emplois qui ont disparu aux Etats Unis pendant la pandémie pourront être récupérés un jour. La combinaison de ces différents facteurs a, pour l’instant, fait grimper l’indice américain des prix à la consommation à 6,2%. Il reste cependant difficile d’imaginer que ces forces pourraient pousser durablement l’inflation au-delà de la cible des 2%, cible que les banques centrales n’ont par ailleurs jamais réussi à atteindre depuis des décennies. 

Nuance et (surtout) modération

Dans une perspective à plus court terme, il est important de faire abstraction des positions extrêmes. Ceux qui s’inquiètent d’une augmentation persistante des prix ne prédisent pas nécessairement un retour aux années 1970 avec leur spirale des salaires et des prix et un taux d’inflation des prix à la consommation à deux chiffres. De la même manière, ils savent bien qu’un embargo sur le pétrole des pays de l’Opep est tout aussi improbable qu’une série de grèves générales exigeant des augmentations salariales. D’aucuns sont même prêts à reconnaître que les pressions désinflationnistes à plus long terme pourraient bien faire leur retour.

Pour ceux qui, à l’inverse, sont convaincus que l’inflation devrait commencer à se dissiper d’ici la première moitié de l’année prochaine, il est difficile de nier que la perturbation des chaînes d’approvisionnement pourrait durer encore. Ils sont également conscients du fait que les prix de l’immobilier, de la nourriture et des cryptoactifs augmentent. Mais la question qui se trouve au cœur du débat actuel est beaucoup plus simple: la Fed est-elle en retard? Les marchés prédisent actuellement deux hausses des taux en 2022. Pourrait-il y en avoir davantage?

Même si les prévisions des prix dérivent à la hausse l’année prochaine, la Fed sera attentive aux forces désinflationnistes à long terme.

Le camp des «inflationnistes» voit une augmentation généralisée des prix et craint que les tendances ne se transforment en prophéties auto-réalisatrices, les entreprises répercutant la hausse des coûts de leurs intrants sur leurs consommateurs qui, en tant que travailleurs, répercuteront à leur tour un coût de la vie plus élevé sur les entreprises. Mais les défenseurs du désormais défunt «transitoire» sont convaincus que cette dynamique de l’offre et de la demande, si perturbatrice en 2021, devrait s’estomper dans le courant de l’année 2022. 

S’il est possible que les chaînes d’approvisionnement ne reviennent pas à la normale de sitôt, les pics brutaux et inattendus de la demande qui sont à l’origine des désordres actuels ne se répèteront pas. Certains travailleurs ont été perdus pour de bon mais d’autres auront suffisamment entamé leurs économies pour devoir reprendre le chemin du travail. Il y aura sans doute d’autres variants du COVID-19 à affronter mais le monde apprend à gérer les défis avec le temps.

Une note positive

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a tiré la sonnette d’alarme face aux pressions inflationnistes mais même sa prévision la plus élevée, 2,5% d’inflation d’ici la fin 2022, représente une baisse remarquable par rapport aux niveaux actuels. 

Même si les prévisions des prix dérivent à la hausse l’année prochaine, la Fed sera attentive aux forces désinflationnistes à long terme contre lesquelles elle lutte depuis si longtemps. Elle pourrait même adopter une attitude plus stricte tout en gardant sa réticence à relever ses taux à un rythme plus soutenu que nécessaire.

En dehors des inquiétudes suscitées par Omicron, l’économie paraît toujours prête pour une reprise rapide: la demande des consommateurs est forte, les bénéfices des entreprises sont sains et les banques ont de l’argent à prêter. Ces facteurs pourraient même faire bouger les lignes de front et rendre moins effrayante la perspective d’une troisième hausse des taux dans la seconde moitié de 2022. Et en réalité, au vu de la quantité d’argent qui a été injectée dans l’économie ces deux dernières années, il serait bien plus inquiétant qu’aucune normalisation n’advienne d’ici là. Reste que l’inflation, du moins en tant que menace pour la reprise économique, devrait s’effacer progressivement. Les prix continueront à augmenter, et les taux avec, mais la Fed ne devrait pas se retrouver contrainte de commettre une erreur qui pourrait étouffer la reprise dans l’œuf. 

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