Gestion obligataire active: déjà la fin des beaux jours?

Christophe Collet, Vanguard

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Si la lutte contre l’inflation avait jusqu’à présent la priorité, les banques centrales pourraient à l’avenir tenir davantage compte de l’environnement conjoncturel.

Les marchés obligataires ont terminé l’année 2023 de manière spectaculaire, enregistrant leurs rendements les plus élevés depuis la crise financière. Le bond de performance au quatrième trimestre confirme la valeur des obligations comme source de revenus, mais aussi comme instrument potentiel de croissance du capital.

Le refroidissement de la conjoncture a joué un rôle significatif dans l’évolution des cours, mais le nouveau ton des banques centrales a peut-être été plus important encore, en annonçant un potentiel changement de cap: si la lutte contre l’inflation avait jusqu’à présent la priorité, les banques centrales pourraient à l’avenir tenir davantage compte de l’environnement conjoncturel. Les marchés ont réagi à ce changement d’humeur en intégrant des baisses de taux significatives. Les cours actuels laissent entendre un scénario d’atterrissage en douceur et de récession modérée. Il ne reste que peu de marge dans les valorisations pour des scénarios alternatifs et, en particulier, pour une nouvelle hausse de l’inflation.

Risques

Malgré les rendements plus élevés, nous continuons à déceler de nombreux signaux inquiétants, dus en particulier à une évolution conjoncturelle morose et inégale. Les primes de risque sont toujours extrêmement serrées pour les obligations d’entreprise, le risque de pertes en cas de récession a donc augmenté, en particulier dans le segment des notations basses. Si les taux baissent à nouveau, les dettes des gouvernements leur couteront moins cher, mais les problèmes fondamentaux resteront à notre avis inchangés. Cela pourrait causer de la nervosité sur les marchés et entraîner vers des sommets les rendements des obligations d’État. Dans le même temps, le recul de l’inflation pourrait s’arrêter et rester au-dessus du niveau des objectifs à long terme des banques centrales.

Réflexions et considérations

Le marché monétaire et les autres instruments de liquidité peuvent offrir des rendements élevés, du moins jusqu’à ce que les banques centrales baissent leurs taux d’intérêt. Les investisseurs doivent donc maintenant se demander à partir de quand ils devront s’assurer d’une rémunération plus élevée sur une plus longue période. Nous avons jusqu’à présent recommandé d’augmenter l’exposition à la duration à la fin du cycle de hausse de taux et nous maintenons cette recommandation. Les obligations prouveront selon nous à nouveau leur valeur en tant que source précieuse de revenus réguliers et de diversification par rapport à une exposition aux actions. Leur potentiel pourrait encore s’accroître à l’avenir, même si les investisseurs doivent s’attendre à quelques obstacles économiques en cours de route. Enfin, le plus important sera finalement d’éviter les risques de pertes, de dégager des revenus et d’exploiter le potentiel résultant d’une volatilité croissante du marché et de la divergence des profils de crédit.

L’assouplissement des conditions de financement aux États-Unis rend plus probable un atterrissage en douceur de l’économie, ce scénario consensuel étant cependant assorti de quelques risques. 

Inflation et taux: les rendements ont-ils atteint leurs sommets?

Début 2023, de nombreux investisseurs ont retiré des fonds des marchés obligataires. Ils fuyaient, par peur des hausses de taux, vers des marchés monétaires plus sûrs et attendaient, dans un environnement de marché volatil, le bon moment pour rentrer à nouveau. Ceux qui sont entrés sur le marché à la mi-octobre ont vu les rendements du Trésor américain à 10 ans passer de 5% à 4% à la mi-décembre. Cette chute des rendements a débouché sur une nette hausse des cours, le Bloomberg Global Aggregate Bond Index (couvert en USD) augmentant de 6,2% entre le 16 octobre et le 29 décembre 20231. Les investisseurs qui avaient laissé tranquillement leur argent dans des instruments du marché monétaire ont pu alors avoir le sentiment d’avoir raté quelque chose.

Prévisions: baisses de taux à venir

Aux États-Unis, l’inflation sous-jacente devrait avoir baissé régulièrement au quatrième trimestre et s’approcher d’ici fin 2024 de l’objectif de la Fed de 2%. Nous attendons des baisses de taux, qui pourraient même être encore plus significatives en cas de récession, un retour à un environnement de taux bas nous semblant cependant improbable. De plus, nous tablons sur une accentuation de la courbe des taux lorsque les taux à court terme diminueront. Bien que la croissance ait baissé au quatrième trimestre par rapport au sommet atteint au trimestre précédent, nous ne voyons guère de signes de récession imminente. Après le recul de l’inflation au deuxième semestre 2023, la Fed a laissé entrevoir la possibilité d’une normalisation de sa politique monétaire au cours de la nouvelle année, à condition que l’inflation sous-jacente évolue dans une fourchette de 2 à 2,5%. Les marchés des obligations d’État ont alors rapidement intégré d’importantes baisses de taux cette année, avant de revenir à un rythme moins agressif.

Perspectives pour les États-Unis: probabilité renforcée d’un atterrissage en douceur de l’économie

L’assouplissement des conditions de financement aux États-Unis rend plus probable un atterrissage en douceur de l’économie, ce scénario consensuel étant cependant assorti de quelques risques. Même en l’absence de récession, le Federal Open Market Committee de la banque centrale américaine devrait baisser les taux directeurs mi-2024 pour empêcher que les taux directeurs réels pèsent trop fortement sur l’économie. Nous pensons que le potentiel d’une hausse significative des rendements est limité. En revanche, en cas d’inflation tenace et de croissance supérieure à la moyenne, les baisses de taux pourraient arriver plus tard que ne le prévoit le marché. Nous privilégions les durées moyennes, car le portage est très négatif à l’extrémité courte de la courbe des taux et que les rendements pourraient augmenter à l’extrémité longue. Selon nous, l’atterrissage en douceur est intégré dans les cours, mais, en cas de récession, les rendements pourraient toutefois reculer encore plus fortement. Nous avons saisi l’occasion du rallye sur les obligations d’État à la fin de l’année pour réduire nos positions à duration longue au niveau de l’indice de référence.

Perspectives pour l’Europe et la Grande-Bretagne: baisse des taux plus rapide en Europe qu’aux États-Unis

Autant en Grande-Bretagne que dans l’espace européen, la croissance a été plus faible que prévu et, bien que l’inflation ait reculé l’année dernière grâce à une base de comparaison élevée, la croissance des salaires reste importante. En Grande-Bretagne, les salaires continuent à progresser à un taux d’environ 7%; dans de nombreux pays de la zone euro, dans lesquels les conventions collectives pluriannuelles sont la règle, nous voyons une croissance des conventions salariales de 3% à 5% dans les années à venir. Ce conflit entre une inflation assez élevée et une croissance faible a conduit les marchés à anticiper une baisse des taux plus rapide en Europe qu’aux États-Unis. Une chute de croissance importante ou inattendue obligerait les banques centrales à agir plus rapidement, mais en l’état actuel des choses, nous nous attendons à ce qu’elles choisissent la sécurité et conservent des taux élevés jusqu’à ce que l’inflation atteigne son objectif.

Perspectives pour le Japon et l’Australie: sous-pondération dans les deux marchés

Le Japon et l’Australie sont les deux pays dans lesquels les marchés ont tendance à sous-estimer la rhétorique restrictive des banques centrales, c’est pourquoi nous conservons notre sous-pondération. Le Japon n’est comparable à aucun autre pays, car sa banque centrale doit lutter depuis de nombreuses années contre une mentalité déflationniste profondément ancrée. Or nous pensons qu’elle a eu plus de succès dans ce cadre qu’elle ne le pense. Si l’on observe en effet la forte croissance des salaires et un nouveau train de mesures budgétaires au premier semestre de cette année, on peut imaginer un scénario dans lequel la Banque du Japon serait à la traîne en ce qui concerne la normalisation de sa politique monétaire. L’économie australienne a également fait preuve d’une robustesse inattendue, les données sur la migration et la construction de logements au quatrième trimestre 2023 surprenant positivement. L’inflation reste supérieure à 5% et la barre des 3% ne sera pas en vue avant l’année prochaine au plus tôt. La Banque d’Australie pourrait donc relever une nouvelle fois les taux d’intérêt afin d’accélérer la baisse de l’inflation en direction des 3%.

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