Gare au «Bern»!

Regina Borromeo, Robeco

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Les marchés malmenés ont une raison de plus de s’inquiéter: la possibilité d'un président américain socialiste.

Bernie Sanders a jusqu'ici obtenu des résultats étonnamment bons dans la course à l'investiture du Parti démocrate pour défier Donald Trump lors des élections de novembre. Le sénateur âgé de 78 ans est de loin le candidat le plus à gauche à viser ce poste depuis plusieurs décennies.

En 2019, les principaux risques macroéconomiques étaient les guerres commerciales, la récession industrielle mondiale et la politique monétaire des grandes banques centrales – des inconnues connues. Pour 2020, il s'agit de la propagation mondiale du Covid-19 et d'une éventuelle présidence de Bernie Sanders.

Sanders est un politicien anti-système et, à bien des égards, un outsider et un perturbateur. Depuis sa défaite contre Hillary Clinton pour l'investiture en 2016, il a affiné sa stratégie de campagne pour se constituer une base solide auprès d'une population auparavant sous-estimée comme les jeunes et les électeurs latinos.

La part des électeurs participant aux primaires issus de la génération Z
sera au moins deux fois plus importante en 2020 qu'en 2016.

Jusque-là, le scénario de base du marché était un maintien du statu quo, c'est-à-dire un président républicain (Donald Trump), un Sénat aux mains des républicains et une majorité démocrate à la Chambre des représentants. Mais cette fois-ci, Bernie Sanders a peut-être enfin trouvé comment gagner!

Joe Biden fait encore mieux

Le principal rival de Bernie Sanders, l'ancien vice-président Joe Biden beaucoup plus modéré, a obtenu de bons résultats au cours des primaires du dernier «Super Tuesday» dans 14 États. D'après Les démocrates de l'establishment ne sont pas sûrs que le socialisme démocratique de Bernie Sanders puisse remporter le vote national, car il est bien plus à gauche que l'Américain moyen.

De plus, les démocrates de longue date se méfient des candidats insurgés tels que Bernie Sanders. Celui-ci s'est en effet présenté comme indépendant pour son siège au Sénat pour le Vermont et il ne se présente comme démocrate que pour les élections présidentielles. Néanmoins, son message anti-système et socialiste très énergique contre les grandes entreprises et les riches a certainement gagné en force, tandis que le vote modéré reste fracturé.

La part des électeurs participant aux primaires issus de la génération Z (18 à 23 ans) sera au moins deux fois plus importante en 2020 qu'en 2016 (10 % contre 4 %), ce qui pourrait favoriser Bernie Sanders. Le président Donald Trump a lui-même montré que la domination politique et l'attitude anti-système pouvaient être gagnantes. Bernie Sanders aurait besoin de mobiliser les jeunes d'une manière sans précédent et d'élargir son électorat pour remporter l'investiture démocrate, puis éventuellement battre Donald Trump.

Des soins de santé universels et gratuits

Que préconise Bernie Sanders dans un pays où le capitalisme est si fortement ancré? Les inégalités sociales sont l'un des fers de lance de sa campagne et certains éléments de sa politique sont axés sur ce point. On y retrouve l'annulation de la dette étudiante, la gratuité des frais de scolarité dans les universités d'État, toute une série de hausses d'impôts, l'augmentation du salaire minimum à 15 dollars l'heure et la gratuité universelle des soins de santé.

Les deux scénarios les plus probables sont soit un Congrès divisé,
soit une majorité simple mais faible des démocrates contrôlant les deux.

Ces thèmes de campagne seront populaires auprès de nombreux américains, mais certaines de ses priorités politiques sont défavorables pour les marchés. Quatre éléments en particulier pourraient sérieusement affecter les marchés:

  • Hausses d'impôts: Bernie Sanders veut annuler les réductions d'impôts mises en œuvre par Donald Trump, en rétablissant le taux maximal d'imposition des sociétés à 35% et en portant le taux maximal d'imposition sur le revenu à 52%. Il veut également une taxe de 0,5% sur les transactions boursières, de 0,1% sur les obligations et de 0,0005% sur les instruments dérivés.
  • Réglementation financière: il vise à démanteler les six plus grandes banques américaines «trop grosses pour faire faillite», qui détiennent plus de 10’000 milliards de dollars d'actifs, et à rétablir la loi Glass-Steagall, qui séparait les activités d'investissement des activités commerciales des banques.
  • Révolution des soins de santé: le «Medicare» pour tous remplacerait l'assurance maladie privée par un programme fédéral à payeur unique, financé par une taxe sur les salaires de 7,5% pour les employeurs et un impôt sur le revenu de 4% pour les employés. Il veut également faire baisser le prix des médicaments délivrés sur ordonnance.
  • Dépenses fédérales: un vaste éventail de programmes, notamment en matière de logement, d'éducation et de transport, ainsi que le «Green New Deal» pour lutter contre le changement climatique. Rien que ce projet coûterait 16’000 milliards de dollars sur 10 ans.
Des élections également pour le Congrès

Les secteurs les plus directement touchés seraient par conséquent l'industrie pharmaceutique, le secteur de la santé et les banques. Toutefois, les investisseurs doivent garder à l'esprit que les élections au Congrès auront également lieu en novembre, ce qui posera des problèmes à celui qui deviendra président.

Les deux scénarios les plus probables sont soit un Congrès divisé – les démocrates contrôlant la Chambre des représentants et les républicains le Sénat, comme c'est le cas actuellement – soit une majorité simple mais faible des démocrates contrôlant les deux.

Une candidature de Bernie Sanders se transformant en une course à la présidence
réussie contribuerait à accroître l'aversion pour le risque et la volatilité.

Dans les deux cas, il serait difficile pour Bernie Sanders de faire passer la plupart de ses politiques phares comme le «Medicare» pour tous, le démantèlement des banques, l'ensemble de ses mesures budgétaires et l'annulation de toutes les dettes étudiantes. Les membres démocrates du Congrès auraient besoin d'un front uni pour faire passer une législation de grande envergure contre l'opposition républicaine généralisée, ce qui constituerait un obstacle de taille pour nombre des politiques controversées de Bernie Sanders.

Les conséquences pour les marchés

Quelles seraient les répercussions sur un marché déjà fortement affecté par le coronavirus? Une candidature de Bernie Sanders se transformant en une course à la présidence réussie contribuerait à accroître l'aversion pour le risque et la volatilité, ceci en raison de ses opinions anti-grandes entreprises, sa volonté en matière de réglementation financière et ses mesures budgétaires restrictives.

Le «Medicare» pour tous aurait un impact négatif important sur les titres de l'industrie pharmaceutique, des fabricants d’appareils médicaux et du domaine de la dialyse, ainsi que sur le secteur de l'assurance maladie. Et cela aurait un impact légèrement négatif sur les équipements and les fournitures médicales. Cependant, une volatilité accrue créera des opportunités idiosyncrasiques et donnera aux investisseurs de style «value» la possibilité d'identifier les gagnants et les perdants.

Le mot de la fin devrait peut-être revenir à John Adams, l'un des pères fondateurs des États-Unis, qui a été le deuxième président de 1797 à 1801. Le 23 mars 1776, il écrivit dans une lettre: «En politique, la voie du milieu n’en est pas une.» Une chose est sûre: ni Donald Trump ni Bernie Sanders n'ont choisi cette voie.