Garder la tête froide face aux incertitudes politiques et la clarté macroéconomiques

Erik Fruytier, Gonet & Cie

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Il faut s’attendre à une volatilité accrue pendant que les investisseurs observent et analysent les implications des élections françaises, avant le «grand rendez-vous» qui se profile: l'élection présidentielle américaine.

Alors même que nous allions entamer un été en pente douce, suivre peut-être les Jeux Olympiques et assurément déjà se projeter vers les élections américaines de novembre prochain, la politique nous rappelle à son bon souvenir. La France, et par contagion l’Europe, va faire l’objet de toutes les attentions des investisseurs ces prochaines semaines, suite à la dissolution surprise de sa représentation nationale et à l’embrasement électoral, attisé par les extrêmes, qui en résulte.

Il convient néanmoins de prendre le recul nécessaire - ou autrement dit garder la tête froide - pour ne pas céder à la panique. Certes l'incertitude politique s'accroît, mais la situation macroéconomique se clarifie. Les taux d'inflation continuent de baisser, bien qu'à un rythme plus lent, les banques centrales commencent à réduire leurs taux d'intérêt et les niveaux de croissance se maintiennent raisonnablement bien.

Et au-delà de nos commentaires macroéconomiques il y a des thématiques qui s’imposent de plus en plus dans le paysage de l’investisseur, comme l’intelligence artificielle et la problématique ESG: elles font également l’objet de cette CIO Letter.

ENTRE INCERTITUDES POLITIQUES ET CLARTÉ MACROÉCONOMIQUES

Les investisseurs verront deux histoires se développer cet été: d'une part, le cycle macroéconomique poursuivra son cours et, d'autre part, l'incertitude politique s'accroîtra. Les investisseurs comprennent relativement bien les éléments macroéconomiques qui déterminent le cycle économique actuel, principalement la politique de taux d'intérêt des banques centrales et ses implications en termes de croissance et d'inflation. En revanche, les événements politiques et leurs conséquences sont plus difficiles à analyser. Les élections européennes ont bien été annoncées et le résultat global n'a pas été une surprise. Toutefois, peu de gens s'attendaient à ce que le président français convoque des élections anticipées. Ce faisant, il a créé une incertitude autour des actifs français, qui s'est partiellement propagée aux autres actifs européens. Les actifs suisses ont servi de refuge pendant les semaines qui ont suivi la dissolution du parlement.

VOLATILITÉ FRANÇAISE

Les électeurs français sont confrontés à un choix entre deux extrêmes. Bien entendu, chaque pays est libre d'élire qui il destine à la conduite de son gouvernement, mais il convient de rappeler que chaque investisseur est également libre de choisir le pays dans lequel il souhaite investir. A l'heure où nous écrivons ces lignes, nous ne savons pas grand chose sur la manière dont les deux principaux groupes envisagent de financer leurs généreuses promesses électorales. La situation est d'autant plus difficile que les deux camps n'ont qu'une expérience limitée en matière de gouvernement. Par conséquent, la décision la plus logique pour les investisseurs est de prendre du recul et d'attendre qu'un certain degré de clarté revienne. Dans l'intervalle, les actifs français devront intégrer une prime de risque supplémentaire. Les mois d'été sont généralement plus volatils car les volumes de marché sont plus faibles. Nous nous attendons donc à une volatilité accrue pendant que les investisseurs observent et analysent les implications des élections françaises.

CAMPAGNE AMÉRICAINE

Le «grand rendez-vous» qui se profile à l'horizon est l'élection présidentielle américaine. Les élections auront lieu début novembre, mais la campagne a déjà commencé et s'intensifiera au cours de l'été. Les investisseurs devront évaluer les implications d'une seconde présidence Biden ou du retour de Donald Trump. A ce stade, il est difficile de jauger précisément la situation, car les deux camps font des promesses extravagantes pour se faire élire. Contrairement à la situation française, les élections américaines susciteront moins d'incertitude car les deux candidats sont connus et ont exercé le pouvoir. A moins qu'ils ne changent radicalement, nous disposons d'un historique de leurs échecs et de leurs réussites. Les investisseurs seront davantage préoccupés par leur impact sur l'économie en termes de consommation, de politique fiscale, de subventions qui, en fin de compte, déterminent la croissance, l'inflation et la politique des taux d'intérêt.

A première vue, toute politique visant à ralentir l'immigration risque d'exercer une pression à la hausse sur les coûts salariaux, car l'offre sera réduite. L'introduction de taxes plus élevées sur les importations étrangères tend également à pousser l'inflation à la hausse puisque les prix des importations augmentent. L'augmentation des coûts salariaux et des prix des importations pèsera sur le pouvoir d'achat des consommateurs jusqu'à ce que la production et les employés locaux deviennent compétitifs. L'administration Biden a largement subventionné les industries locales par le biais de divers plans d'investissement. Dans l'ensemble, elle a réussi à attirer d'importants investissements locaux et étrangers. En revanche, le déficit budgétaire américain est resté élevé et insoutenable. La grande question, à laquelle aucun des candidats n'a pas encore répondu, est de savoir comment ils vont réduire le déficit budgétaire et, en fin de compte, le niveau d'endettement global.

AVERTISSEMENT BRITANNIQUE

Pour l'instant, les investisseurs du marché obligataire observent la situation. Cependant, comme nous l'avons vu au Royaume-Uni avec le bref mandat de Liz Truss, les événements peuvent s'accélérer très rapidement. L'épisode Liz Truss devrait également servir d'avertissement au nouveau gouvernement français. La viabilité de la dette publique est un sujet récurrent à l'échelle mondiale, en particulier dans les économies développées. À ce stade, la question est restée sous contrôle, car les banques centrales disposent des outils nécessaires pour intervenir et rassurer en période de stress. La principale implication sera que les taux d'intérêt resteront probablement plus longtemps élevés dans les pays présentant des déficits budgétaires importants et des niveaux d'endettement élevés. Les incitations fiscales pourraient être un moyen pour les gouvernements de réorienter l'épargne privée vers la dette publique. Tôt ou tard, la question devra être abordée.

LE SENS DE LA MARCHE EST TRACÉ MALGRÉ TOUT

Alors que l'incertitude politique s'accroît, la situation macroéconomique se clarifie. Les taux d'inflation continuent de baisser, bien qu'à un rythme plus lent, les banques centrales commencent à réduire leurs taux d'intérêt et les niveaux de croissance se maintiennent raisonnablement bien. Les principales banques centrales ont indiqué qu'elles étaient «dépendantes des données», de sorte que les investisseurs savent où regarder pour obtenir une indication sur le rythme auquel les taux d'intérêt seront abaissés. La BNS et la BCE ont entamé le processus, tandis que la Fed a repoussé sa première baisse à la fin de l'année. Ce qui importe le plus aux investisseurs, c'est le «sens de la marche». Nous pensons que l'inflation et les taux d'intérêt sont orientés à la baisse. Le rythme du changement sera dicté par le flux régulier de données économiques. Le pire cas serait une récession, mais nous ne pensons toujours pas que ce soit un scénario probable. Nous constatons que la croissance américaine ralentit progressivement, tandis que l'Europe a commencé à réaccélérer doucement.

Le scénario ci-dessus favorise toujours une surpondération des obligations et une pondération à peu près égale des actions. Les investisseurs devraient réduire leurs liquidités, car il est préférable de bloquer des rendements plus élevés sur le marché obligataire. Sur les marchés des actions, nous voyons des opportunités intéressantes dans les petites et moyennes entreprises européennes, qui bénéficieront de taux d'intérêt plus bas et d'une accélération de l'économie. Le marché américain des actions reste principalement porté par le secteur technologique et en particulier par les opportunités liées à l'intelligence artificielle. Les valorisations dans ce segment sont élevées, mais tant que les sociétés concernées enregistrent une croissance de leurs bénéfices, elles peuvent se maintenir. Les marchés émergents sont restés nettement à la traîne des marchés développés, l'économie chinoise ayant connu des difficultés après la crise de Covid. En général, les marchés émergents sont moins performants lorsque les taux d'intérêt américains sont élevés et que le dollar américain est fort. Nous pensons que nous nous rapprochons d'une baisse des taux d'intérêt américains et d'un affaiblissement du dollar, et que les marchés émergents pourraient donc regagner l'intérêt des investisseurs dans les mois à venir.

En résumé, nous pensons que l'incertitude politique va s'accroître, mais que les facteurs macroéconomiques évoluent de manière assez prévisible. Nous voyons la croissance américaine ralentir progressivement et la croissance européenne s'améliorer, ce qui nous amène à penser que les banques centrales continueront à normaliser leurs politiques de taux d'intérêt.

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