Economie et marchés: le grand renversement a démarré

Frédéric Leroux, Carmignac

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La défiance à l’encontre de la Chine est telle qu’aujourd’hui nous voyons se créer de plus en plus de fonds émergents qui excluent la Chine.

La Chine est le marché que les investisseurs adorent détester. Elle est d’ailleurs devenue «ininvestissable» du fait des mesures brutales de régulation imposées à certains secteurs, des traitements infligés à de grandes figures de l'entrepreneuriat chinois, de la faiblesse de ses initiatives monétaires et budgétaires pour contrecarrer le crash immobilier et du fait de l’affaiblissement économique «interminable» qui en résulte. De plus, d’un point de vue structurel, sa démographie dangereusement vieillissante achève de décourager les investisseurs internationaux les plus compréhensifs.  La défiance à l’encontre de la Chine est telle qu’aujourd’hui nous voyons se créer de plus en plus de fonds émergents qui excluent la Chine...

A l’opposé, les États-Unis sont depuis des années «the place to be». N'est-ce pas là-bas que les géants de la technologie, de l'internet et de l'intelligence artificielle ont été créés? N'est-ce pas là-bas que la nouvelle administration politique fait tout pour favoriser les entreprises nationales tout en ignorant les engagements internationaux contraignants pour l'économie (Basel III, les Accords de Paris sur le Climat...), quand d’autres (l’Europe) ont tendance à les respecter? L'optimisme des consommateurs, sur lequel les entreprises s’appuient pour leur croissance est en outre un emblème américain. Alors, pourquoi investir ailleurs? Pourquoi investir dans des pays moins favorables aux entreprises, moins dynamiques, et moins innovants?

Mais fin janvier, «l'événement Deepseek» a interloqué les marchés avec cette alternative chinoise frugale et low-cost à l'IA générative américaine, omniprésente mais gourmande en infrastructure et en énergie. Cet événement s'avère être un déclencheur: celui d’une reconsidération des faiblesses chinoises et de la «suprématie indéniable» américaine dans l’IA. Sans juger des mérites technologiques de DeepSeek, acceptons au moins l’idée d’un changement de perception à l’égard de l’IA générative américaine.

Pour un investisseur contrariant, la situation actuelle est l’image inverse de celle de la situation post-crash de 2008.

Depuis «l’événement Deepseek», la Chine a regagné les faveurs des investisseurs les plus contrariants. Ils se souviennent que la technologie chinoise a des atouts à offrir: véhicules électriques, batteries, solutions solaires et peut-être même l'IA (pour ne mentionner que les produits les plus visibles ou les plus demandés). Nous redécouvrons l'excellence de l'enseignement et de la recherche chinoise. Deepseek nous arrive d'une université peu connue de province.  Nous sommes en outre amenés à penser que les autorités chinoises sont peut-être un peu plus conscientes des effets potentiels des décisions de Trump sur leur économie. Pékin a pris des mesures pour faire face au ralentissement économique qui a trop longtemps découragé les investisseurs. Celles-ci devraient favoriser les marchés boursiers, qui ont été négligés ces quatre dernières années. L’affirmation récente par le premier ministre chinois que la consommation est désormais une priorité est un événement de très haute importance.

Aux Etats-Unis au contraire, depuis le moment DeepSeek, les «7 magnifiques» souffrent en bourse en termes relatifs et les valeurs de semiconducteurs souffrent. La Bourse américaine sous-performe sensiblement la Bourse chinoise mais aussi l’Européenne. Dans le même temps, le consommateur se replie face aux risques d'inflation causés par les tarifs douaniers imposés à certains pays et par la réduction de l'immigration qui poussera le coût de la main-d'œuvre à la hausse. L’optimisme du consommateur chancelle.

Aujourd'hui, le Nasdaq est évalué à 25 fois les bénéfices de l'année prochaine, tandis que les actions chinoises de l'indice MSCI sont évaluées à moins de 10 fois les bénéfices. Il est logique d'envisager une réallocation, même partielle à ce stade, des positions américaines vers la Chine en particulier et le reste du monde en général.

Les événements récents tels que l’humiliation de Zelensky à la Maison Blanche, et la réaction allemande et européenne à l’apparent lâchage de l’Europe par les États-Unis de Trump semblent devoir accélérer et amplifier cette réallocation des actifs internationaux. Trump force le reste du monde à ne compter que sur lui-même, ce qui va créer de la croissance en dehors des Etats-Unis (et, à terme, de l’inflation) alors que le retranchement américain va d’abord instaurer de la stagflation aux États-Unis; une mauvaise recette pour les marchés américains de taux et d’actions et un excellent booster pour les actions du reste du monde!

Pour un investisseur contrariant, la situation actuelle est l’image inverse de celle de la situation post-crash de 2008: le consensus du marché misait alors sur la reprise de la surperformance économique et boursière de la Chine par rapport aux États-Unis mais l'exact opposé s'est produit et a continué jusqu'à ces dernières semaines. Il nous faut nous interroger sérieusement sur le bien-fondé des valorisations des actions américaines et de la force du dollar. Il nous faut aussi essayer de comprendre les intentions des autorités chinoises. Et européennes.

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