Durabilité: en quête de normes communes

Yves Hulmann

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Selon Philipp Rickert de KPMG Suisse, entreprises et investisseurs sont confrontés à un «patchwork» de différentes normes et réglementations.

Au début de cette semaine, l’organisation Swiss Sustainable Finance (SSF) a publié de nouveaux chiffres record concernant les montants qui sont gérés en Suisse en tenant compte des principes de durabilité pour l’année 2019. Comment définit-on toutefois ce qui est durable et ce qui ne l’est pas? L’étude «Clarity on Sustainable Finance» de KPMG, publiée jeudi, s’est penchée sur cette problématique. Principal constat du cabinet d’audit: il manque encore de normes homogènes dans le domaine de la durabilité, à la fois en termes de mesurabilité et pour l’établissement de rapports dans le domaine du développement durable. En conséquence, les instituts financiers peuvent eux-mêmes décider s’ils veulent intégrer ou non les critères de durabilité dans leur modèle d’affaires et de la manière avec laquelle ils veulent le faire. Une difficulté qui a été encore renforcée par les nombreuses initiatives et réglementations apparues au fil des années en la matière.

Multiples initiatives

Après les Objectifs de développement du Millénaire (Millenial Development Goals ou MDGs) publiés en 2000, auxquels ont succédé les Objectifs de développement durable (ODD) en 2015, l’Union européenne (UE) a lancé tour à tour un «Plan d’action pour la croissance durable», puis le «Pacte vert pour l’Europe ». Rien qu’en Suisse, plusieurs niveaux de réglementations se superposent en matière de développement durable. Ainsi, la Swiss Fund & Asset Management Association (SFAMA) et SSF ont constitué un groupe de travail autour de cette thématique, l’Association suisse des banquiers (SwissBanking) a publié une prise de position à ce sujet début juin tout comme la SIX a établi certaines directives en matière de gouvernance d’entreprise qui incluent aussi des aspects de durabilité. S’y ajoutent parfois des règles cantonales, comme c’est le cas à Genève où la législation oblige les caisses de pension étatiques à tenir compte des aspects liés à la durabilité.

Les données disponibles et l’établissement de rapport
en matière de durabilité joueront un rôle particulièrement important.

Philipp Rickert, directeur des services financiers et membre de la direction chez KPMG Suisse, juge ces différentes initiatives pour l’essentiel comme étant positives mais avertit aussi qu’il ne faut pas sous-estimer les difficultés qui en résultent. Ces différents projets, qui intègrent à la fois de l’autoréglementation, des réglementations spécifiques à certains domaines et des aspects qui s’appuient sur la réglementation dans l’UE, finissent par conduire à un «patchwork» de différentes variantes à mettre en œuvre, redoute l’expert.

Difficultés à établir des ratings «verts» 

Pour que les efforts entrepris en matière de réglementation portent leurs fruits, les données disponibles et l’établissement de rapport en matière de durabilité joueront un rôle particulièrement important. A cet égard, il est indispensable que les investisseurs puissent disposer d’informations complètes, fiables et transparentes afin de pouvoir prendre des décisions conformes aux principes de développement durable. Il s’agit en particulier d’informations en rapport avec les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ou «ESG» en anglais). Pour Pascal Sprenger, partenaire chez KPMG et spécialiste des questions réglementaires, la publication d’informations relatives à la durabilité va devenir une pratique standard dans un avenir pas si lointain - et il faudra aussi que ces informations soient vérifiées par des instituts tiers, comme c’est le cas dans de nombreux autres domaines.

«L’important est que cette thématique
figure tout en haut de l’agenda des entreprises.»

Les investisseurs individuels pourront-ils un jour choisir leurs placements en se basant sur des notations de durabilité standardisés, à l’instar des ratings de crédit attribués par les grandes agences? Pour Patrick Schmucki, partenaire senior et expert en responsabilité d’entreprise chez KPMG, on n’est pas encore arrivé à ce stade même si les choses évoluent peu à peu dans cette direction. Et de souligner la difficulté de réunir dans une seule notation, sous une forme agrégée, des aspects parfois très différents en matière de durabilité.

Adopter une vision d’ensemble

A terme, les sociétés ont tout intérêt à questionner de manière critique leur culture d’entreprise et de garder une approche d’ensemble en matière de durabilité. Ainsi, les sociétés sont bien avisées de ne pas considérer la durabilité comme un simple problème de type réglementaire à régler mais plutôt comme un élément qui fait partie intégrante de la stratégie de l’entreprise, conseille Pascal Sprenger. Point positif observé: le secteur financier et les investisseurs en Suisse ont désormais réussi à dépasser le préjugé selon lequel la prise en compte des critères d’investissement durable pèserait sur la rentabilité des placements, relève-t-il.

Malgré les difficultés résultant de l’absence de définitions communes autour de ce qu’est la durabilité, Philipp Rickert se montre optimiste pour la suite: «L’important est que cette thématique figure tout en haut de l’agenda des entreprises. Il ne faut pas s’attendre à une évolution linéaire dans ce domaine mais, au moins, on voit que les choses changent», conclut le responsable.

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