Dragonomics de GaveKal

Salima Barragan

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Selon Arthur Kroeber, de GaveKal, les rivalités entre Pékin et Washington vont perdurer.

Lors d’un séminaire à Genève organisé par Notz et Stucki, Arthur Kroeber, responsable de la recherche chez GaveKal, a présenté ses incontournables perspectives «Dragonomics». Pour ce spécialiste de la Chine et de l’Asie, la guerre commerciale amorcée entre les deux plus grandes puissances, n’est que la surface visible de l’iceberg. Une certitude: cette compétition sino-américaine va modeler les forces mondiales. Sommes-nous à l’aube d’une guerre froide commerciale? Voyage géopolitique dans un environnement houleux.

La compétition sino-américaine s’intensifie

«Trump et ses politiques protectionnistes sont des symptômes, mais leurs racines sont bien plus importantes», annonce d’emblée Arthur Kroeber. Pour cet expert sur la Chine, ces maux vont modifier le paysage géopolitique et le pire peut être craint: «Nous sommes arrivés à une situation dangereuse où les risques d’escalade se sont matérialisés. Si cette guerre se concrétise, l’économie globale va traverser une période difficile». Selon lui, les probabilités d’une dégradation du conflit sont hautes.

Pékin se donne les moyens
de mettre la pression sur Washington.

Grace à la forte compétitivité de la Chine, ses revenus ont progressé de manière exceptionnelle. «Elle a réussi au-delà de tous les rêves», concède Arthur Kroeber. Aujourd’hui, ce pays est dans une position forte; et cela agace les États-Unis au plus haut point. Selon la recherche de GaveKal, bien qu’un ralentissement soit probable, elle affiche toujours une santé flamboyante et, pour la prochaine décennie, devrait croître entre 5% et 6% par année. «Fondamentalement, elle a beaucoup de potentiel et le risque financier a diminué, mais surtout, elle est très bien menée par son gouvernement», estime Arthur Kroeber. Le président Xi Jinping a été d’une efficacité redoutable pour stabiliser l’économie et cet aplomb lui permet de foncer sur sa liste de priorités stratégiques. Car, au-delà de velléités commerciales, ce sont les trois principaux objectifs stratégiques chinois qui font frémir Washington.

L’impérialisme chinois, version moderne

Clairement, Pékin se donne les moyens de mettre la pression sur Washington. Son premier objectif de fusion des plateformes civiles et militaires vise à renforcer sa dominance militaire. «Ainsi, le secteur privé peut transférer ses technologies dans le complexe militaire», explique Arthur Kroeber.

Un second plan, le MIC 2025 (Made in China 2025) consiste en une mise à niveau technologique et industriel pour prendre le leadership dans les semi-conducteurs, les véhicules aux énergies nouvelles et l’aérospatial. (La robotique, quant à elle, à son propre canevas). Élément intéressant, ce plan vise à terme, la substitution de 40% à 80% des importations dans ces secteurs pour gagner en autonomie. Il s’agit donc bien d’une combinaison de politique industrielle et protectionniste.

Enfin, avec le projet d’intégration économique «Belt and Road», la Chine tentera d’utiliser le soft power pour étendre son leadership dans un périmètre étendu. «Elle veut redevenir une grande puissance tout en évitant les conflits avec les États-Unis ou la Russie», souligne Arthur Kroeber. A cette fin, elle a intelligemment imaginé une communauté d’intérêt économique par la construction d’infrastructures pour augmenter, non seulement les flux d’échange, mais aussi son influence.

Une politique américaine divisée

Quatre groupes d’intérêts américains, dont les objectifs diffèrent perceptiblement, façonnent la politique extérieur envers la Chine. Tout d’abord, Trump a une tactique d’élévation des tarifs et d’abrogation des traités. «Trump a une vue forte sur le commerce mais n’a pas de but stratégique et ne recherche pas de stratégies d’alliances», explique Arthur Kroeber. Ensuite, les trade warriors – en fait des bureaucrates – souhaitent que la Chine recule dans sa politique industrielle. Leur intérêt principal étant le commerce. Puis, les faucons de la défense, se préoccupent de la sécurité nationale et leur objectif est le maintien de leur supériorité technologique et militaire. Leur tactique est d’entraver les ambitions chinoises à n’importe quel prix. Enfin, la sphère des affaires détient 250 milliards de dollars d’investissement sur le sol chinois et cherche, en toute légitimité, à les protéger. Mnuchin en est le défenseur le plus notable. Pour Arthur Kroeber, il est difficile de prédire quelle force va prédominer.

Les obligations en renminbi
sont une classe d’actif défensive.

«Il y a une grande anxiété aux États-Unis pour retenir leur position de leader mais elle est exagérée. D’ailleurs, en politique américaine, il ne s’agit pas d’une nouvelle angoisse attribuable à Trump, mais elle remonte à longtemps», rappelle Arthur Kroeber. Face à leur rival asiatique, les États-Unis se cabrent et il n’est plus uniquement question de guerre tarifaire. «L’on parle depuis peu de restrictions sur les flux de capital, de limitation des entreprises chinoises sur le sol américain. Ces restrictions peuvent être déclarées par le Président lui-même! Mais le congrès travaille aussi sur des législations pour restreindre les investissements chinois afin de maintenir la supériorité des entreprises américaines», précise Arthur Kroeber.

Les obligations en renminbi comme hedge

Le gouvernement chinois ambitionne de faire du renminbi une devise internationale et nous en sommes aux prémices du processus. Depuis 2016, la devise chinoise n’est plus arrimée au dollar US. Maintenue avec une marge flottante contre un panier de devises pondérées, elle s’est libérée de sa dépendance au taux d’intérêt américain. «Malgré leurs efforts pour son utilisation, il n’y a pas eu de changements significatifs dans les réserves mondiales car les investisseurs ont perdu la confiance. Cela va prendre du temps pour la réinstaurer! Mais d’ici là, elle n’est pas encore une alternative au dollar», affirme Arthur Kroeber.

Selon GaveKal, les obligations en renminbi que le gouvernement ouvre aux investisseurs internationaux via le Bond Connect est une classe d’actif défensive. «A court terme, c’est une opportunité d’augmenter son exposition en renminbi», rajoute-il. Depuis 2016, le marché obligataire chinois a doublé, malgré qu’il soient encore exclu des indices. «Il est possible d’investir sur la dette chinoise via des broker du Hong-Kong connect, donc le risque que les fonds soient bloqués par le gouvernement chinois est nul», assure Arthur Kroeber qui estime qu’elles offrent une couverture avérée.

La performance sur les marchés émergents va dépendre principalement de deux facteurs: l’évolution du dollar US et du pétrole. En ce qui concerne le dollar, GaveKal prévoit que sa vigueur ne va pas perdurer. Quant au pétrole, les facteurs géopolitiques devraient empêcher son prix d’enfler au-dessus du seuil des 80 dollars. «Pour ces raisons, nous aimons toujours – un peu nerveusement – les marchés émergents», conclut-il.