Dette américaine: l’arme des BRICS au cas où…

Levi-Sergio Mutemba

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Il pourrait devenir nécessaire de savoir qui détient des Treasuries avant d’en détenir soi-même.

© Keystone

Les pays émergents du groupe des BRICS ont déclaré leur guerre d’indépendance monétaire. Se libérer de la domination du dollar américain est devenu leur devise, pour ainsi dire. De sorte que l’un des plus importants facteurs de décision en ce qui concerne les investissements dans les Treasuries est le profil de ceux qui en détiennent. «Ce type d’information est crucial, car chaque catégorie d’investisseurs, à savoir les banques centrales, les institutions financières et les investisseurs privés nationaux, ainsi que les investisseurs étrangers, adopteront une approche différente des obligations, les détenteurs étrangers étant plus enclins à alléger leurs portefeuilles durant les périodes difficiles», estime Sabrina Khanniche, économiste senior chez Pictet Asset Management.

Rappelons qu’entre août 2022 et août 2023, la Chine a réduit ses obligations d’État américaines de 132 milliards de dollars pour atteindre un total de 805,4 milliards, d’après les données du département du Trésor des États-Unis. Au total, les BRICS se sont délestés de plus de 120 milliards de dollars d’obligations gouvernementales émises par les États-Unis, jusqu’ici en 2023. Seule l’Inde, parmi les pays émergents, demeurent circonspecte à l’égard de la volonté de domination de la Chine et a ainsi augmenté ses avoirs en Treasuries de 11,3 milliards de dollars sur la période précitée.

«Difficile de concevoir des ventes rapides de la part de ces pays sans que cela ait un impact économique pour eux.»

«Nous pensons que les BRICS vont continuer à diversifier leurs réserves et diminuer la proportion de Treasuries», confie Julien Tisserand, gérant Multi-Asset & Overlay chez Edmond de Rothschild Asset Management (EDRAM). «Mais ce phénomène ne peut être que lent à se réaliser, car il est difficile de concevoir des ventes rapides de la part de ces pays sans que cela ait un impact économique pour eux», relativise Julien Tisserand. «Le seul exemple récent a été le cas de la Russie, qui a presque entièrement vendu son stock de Treasuries pour des raisons géopolitiques.» L’expert évoque un chiffre proche de 100 milliards de dollars, en précisant que cela reste un cas isolé.

De plus, le commerce de matières premières est une grosse source de revenus pour les BRICS et se réalise toujours majoritairement en dollars, les acheteurs finaux demeurant en grande partie les consommateurs occidentaux et américains en particulier. «Enfin le marché des Treasuries est de loin le seul marché obligataire au monde avec une profondeur et une liquidité suffisante pour placer leurs réserves et il est très difficile de trouver une alternative pour le moment», poursuit Julien Tisserand.

«Oui, il faut s’intéresser à ceux qui détiennent des Treasuries hors-États-Unis, mais non, les BRICS ne sont pas un vrai sujet», estime pour sa part Eric Vanraes, responsable des placements obligataires à la Banque Eric Sturdza. «Sauf, bien entendu, la Chine qui diminue constamment ses investissements en Treasuries et qu’il faut surveiller», prévient Eric Vanraes. Qui ajoute que si ce sujet devait s’avérer réellement préoccupant pour les taux longs américains, il serait difficilement concevable que la Fed ne fasse rien.

«Les investisseurs institutionnels japonais ont vraiment intérêt à considérer la vente de leurs Treasuries.»

«La Fed redeviendrait un market maker d’ultime recours en rachetant ces obligations sur les marchés, afin d’éviter qu’un sell-off fasse partir les taux longs dans le décor. Ce n’est l’intérêt de personne, surtout pas de Wall Street!», insiste l’expert de la Banque Eric Sturdza. Paradoxalement, le risque le plus significatif proviendrait du Japon. C’est-à-dire un allié géopolitique important des États-Unis, mais aussi l’un des plus importants exportateurs de capitaux au monde.

«Depuis que la Banque du Japon (BoJ) a modifié son contrôle de la courbe des taux de rendement (YCC) en faisant passer de 0,5% à 1% le plafond de taux du 10 ans des obligations d’État japonaise (JGB), les investisseurs institutionnels japonais ont vraiment intérêt à considérer la vente de leurs Treasuries qu’ils détenaient, et ce au profit du JGB», explique Eric Vanraes. Aujourd’hui, le 10 ans japonais offre un rendement de seulement 0,65%. Mais, compte tenu du différentiel énorme de taux d’intérêt, c’est déjà très compétitif par rapport au taux du 10 ans américain une fois le dollar hedgé en yen», précise le gérant de portefeuille.

De fait, explique le stratégiste macro Alfonso Peccatiello, fondateur et CEO de la société de conseils disruptifs The Macro Compass, les Japonais ont déjà commencé à se délester des Treasuries. «Pour les Japonais, détenir des Treasuries est devenu trop cher, car les coûts de couverture sur devise ont augmenté de façon significative suite aux importantes hausses des taux d’intérêt aux États-Unis, alors que ceux de la BoJ demeurent inchangés», explique Alfonso Peccatiello. Pour qui les prochaines décisions de la BoJ seront cruciales pour déterminer si cette tendance se maintiendra ou non.

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