L'an passé, la première ministre britannique, Mme Truss, a tenté de faire adopter des réductions d'impôts radicales malgré la dette publique déjà élevée du Royaume-Uni. Cette initiative résumée dans son «mini-budget» a déclenché une panique sur les marchés financiers, qui ne s'est apaisée qu'après l'intervention de la Banque d'Angleterre et la démission de Mme Truss.
À première vue, la «saga de la laitue» peut sembler n'être qu'un moment fugace de plus sur Internet. Pourtant, à la lumière de l'agitation qui entoure les élections françaises de 2024 et de la montée des mouvements populistes de gauche et de droite, elle met en évidence une préoccupation plus large: l'augmentation de la dette publique et sa viabilité déstabilisent de plus en plus les marchés financiers. Dans quelques semaines, les projecteurs devraient se tourner vers la plus grande économie du monde. La dette nationale brute des États-Unis a atteint 35'001 278'179'208,67 USD, selon les données du Trésor américain, soit 104'497 USD par habitant du pays.
Selon l'économiste John Maynard Keynes (1883 - 1946), dépenser plus que ce que l'on gagne peut s'avérer judicieux lorsque les circonstances s'y prêtent. L'augmentation des dépenses publiques stimule l'activité économique, ce qui se traduit par une augmentation des revenus et des dépenses en général. De cette manière, la politique gouvernementale peut contribuer à soutenir l'économie pendant les périodes de ralentissement économique, en atténuant les hauts et les bas du cycle économique. Dans la pratique, cependant, le soutien budgétaire n'est souvent pas réduit pendant les périodes de conjoncture favorable. Par exemple, dans les années 1960, les États-Unis ont adopté une politique budgétaire «procyclique»14. En 1962, le président John F. Kennedy a proposé des réductions d'impôts massives, qui ont ensuite été mises en œuvre par son successeur, Lyndon B. Johnson. Ce dernier a également lancé le programme de la «Grande Société», une série d'initiatives nationales visant à éradiquer la pauvreté et l'injustice raciale. Combinée à des dépenses considérables pour la guerre du Viêt Nam, cette politique a entraîné une demande croissante, une prospérité accrue et un chômage record. Toutefois, dans les années qui ont suivi, l'économie a connu une surchauffe, entraînant une inflation galopante.
S'il est peu probable qu'un pays se retrouve en défaut de paiement, l'augmentation des risques budgétaires finira par nécessiter des mesures politiques ou un changement de l'environnement macroéconomique.
Aujourd'hui, les présidents américains poursuivent à nouveau des politiques procycliques. Donald Trump et Joe Biden ont, tous deux, adopté des mesures fiscales populistes qui, associées à des chocs de l’offre (comme la pandémie de Covid-19), ont contribué à la hausse de l'inflation. Trump a promis des réductions d'impôts plus généreuses s'il revient au pouvoir, tandis que Kamala Harris introduit une autre variable, relativement inconnue, en termes de politique fiscale attendue. Par le passé, elle a plaidé en faveur d'une baisse des impôts pour certains groupes et d'une aide financière pour la classe moyenne.
Ce manque de discipline budgétaire présente plusieurs risques. Tout d'abord, le fardeau de la dette continue de s'alourdir. Selon les prévisions du Congressional Budget Office (CBO), le déficit budgétaire des États-Unis par rapport au PIB devrait augmenter de manière significative au cours des 30 prochaines années, portant la dette nationale à des niveaux sans précédent, même sans la contrainte du financement d'une guerre majeure. Ensuite, le coût du service de la dette augmente. Les projections du CBO montrent que les coûts d'intérêt nets par rapport à l'ensemble des dépenses publiques sont aujourd'hui supérieurs de 5 points de pourcentage à ce qu'ils étaient en 2019, juste avant la pandémie de grippe aviaire. En 2024, pour la première fois dans l'histoire des États-Unis, les paiements d'intérêts dépasseront les dépenses de défense. Enfin, le sentiment du public est en train de changer. Une enquête de PEW Research révèle que les Américains se méfient de plus en plus des déficits importants, car il est de plus en plus difficile d'ignorer le poids de la hausse des coûts d'intérêt et de l'inflation élevée de ces dernières années.
Pour mieux évaluer et suivre les risques fiscaux de différents pays, nous avons relancé et élargi le «Vontobel Fiscal Risk Index», développé à l'origine en 2010. L'indice de risque fiscal mis à jour évalue désormais huit indicateurs clés, offrant une image plus complète du risque fiscal d'un pays. Il s'agit du ratio d'endettement, de l'échéance de la dette, des dépenses d'intérêt par rapport aux dépenses publiques totales et des dépenses d'intérêt par rapport à la croissance du PIB.
L'indice a révélé que si des pays comme l'Irlande, la Suisse et la Norvège conservent une bonne santé budgétaire, d'autres sont plus préoccupants. Les États-Unis, bien que grevés par des charges d'intérêt élevées, bénéficient de perspectives de croissance plus fortes que la France ou l'Italie, qui présentent toutes deux des faiblesses au regard de plusieurs indicateurs. Le Japon et la Grèce se classent également dans le bas du tableau.
La viabilité budgétaire est importante pour les investisseurs. S'il est peu probable qu'un pays se retrouve en défaut de paiement, l'augmentation des risques budgétaires finira par nécessiter des mesures politiques ou un changement de l'environnement macroéconomique. Les mesures politiques pourraient inclure des réductions de dépenses, des augmentations d'impôts ou des privatisations ponctuelles, comme en Grèce. D'autre part, les changements macroéconomiques peuvent concerner, entre autres, une baisse des taux d'intérêt (réduisant les coûts du service de la dette et les déficits, ce qui permet de restructurer la dette), un boom de la productivité (par exemple, grâce à l'intelligence artificielle), une croissance démographique (bien qu'il peu probable de résoudre ce problème par une augmentation de l'immigration, car l'acceptation par l'opinion publique pourrait diminuer) ou d'une monétisation de la dette (lorsque les banques centrales achètent des obligations d'État, comme c'est le cas au Japon).