Démographie: comment la pyramide est devenue champignon

Fabrice Welsch, BCV

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Les débats sur la réforme des retraites et la croissance économique s’arrêtent souvent sur le vieillissement de la population. Portrait chiffré.

Il y a 150 ans, la Suisse comptait 2,5 millions d’habitants, dont 5% étaient de nationalité étrangère, 40% avaient moins de 20 ans et seulement 5% plus de 60 ans. Aujourd’hui, 8,6 millions de personnes résident en Suisse, dont 25,3% de nationalité étrangère, 20% de moins de 20 ans et 18,7% de plus de 65 ans. Ces chiffres illustrent les principales tendances démographiques du XXIe siècle, que sont l’accroissement de la population et son vieillissement. Des tendances aux fortes conséquences économiques, notamment pour la croissance et pour le système des retraites.

La population de l’Europe et du Japon stagne et vieillit,
alors que celle d’une partie de l’Afrique augmente et rajeunit.

Cette évolution démographique résulte de l’amélioration des conditions sanitaires et des progrès de la médecine – comme le développement des antibiotiques et des sulfamides –, mais aussi de la baisse continue du nombre moyen d’enfants par femme, appelé indice de fécondité, compensée dans certains pays, comme la Suisse, par la hausse de l’immigration. La situation diverge selon les zones économiques. Les pays les plus développés connaissent une natalité faible et une espérance de vie en augmentation. Au contraire, certains pays en développement se trouvent en pleine transition, avec une natalité élevée et une mortalité (particulièrement infantile) qui faiblit. Conséquence, la population de l’Europe et du Japon stagne et vieillit, alors que celle d’une partie de l’Afrique augmente et rajeunit. Ainsi, au début de la décennie précédente, alors que la Suisse enregistrait 10,3 naissances et 6,1 décès pour 1’000 habitants, le Niger comptait 49,2 naissances et 10,1 décès pour 1’000 habitants, selon les chiffres publiés par l’ONU sur base des observations 2010-2015.

Chute de la mortalité infantile

L’évolution de la mortalité fournit l’une des explications du vieillissement de la population. En 1876, l’espérance de vie à la naissance s’élevait à 39,1 ans pour les hommes et 42,4 pour les femmes. Ces chiffres avaient doublé en 2009 pour atteindre respectivement à 79,8 et 84,4 ans. L’une des principales raisons de cette forte croissance réside dans la baisse importante de la mortalité infantile. Dans les années 1870, environ 20% des enfants ne survivaient pas à leur première année de vie, alors qu’aujourd’hui 99,5% des enfants soufflent leur première bougie.

Entre 2020 et 2030, la population de 65 ans et plus augmentera de 30%.

Le taux de vieillissement de la population devrait atteindre son pic dans la décennie en cours. Selon les données de l’Office fédéral de la statistique (OFS), entre 2020 et 2030, la population de 65 ans et plus augmentera de 30%, notamment en raison de l’accroissement de l’espérance de vie.

L’espérance de vie d’une personne de 60 ans s’est aussi fortement modifiée. Les femmes l’ont vu augmenter de plus de 8 ans (passant de 19 ans en 1880 à 27,1 ans en 2018), alors que les hommes ont gagné 6 ans de vie (avec une espérance passant de 18 à 24,1 ans). La diminution observée dans le taux de mortalité à l’âge adulte est cependant moins rapide que la mortalité infantile. Pour la tranche d’âge de 20 à 40 ans, un comportement inverse est même apparu durant le XXe siècle en raison des décès par accident et du sida. A cela s’ajoute le fait que cette catégorie a également été la principale affectée par la grippe espagnole de 1919. Durant cette pandémie, le nombre de décès avait dépassé celui des naissances, faisant décliner la croissance annuelle de la population.

La pandémie mondiale due au SARS-CoV-2 que nous connaissons actuellement peut-elle influencer ces tendances? Elle a affecté une tout autre tranche de la population que la grippe espagnole, puisque le pic de mortalité concerne les plus de 65 ans. Lors de la première semaine d’avril 2020, le nombre de décès dans cette population a augmenté de plus de 33% par rapport à la borne supérieure attendue par l’OFS, tandis que le nombre de décès des 0 à 65 ans demeurait dans les limites prévues. A ce jour, 97,3% des personnes décédées en Suisse de ce virus avaient plus de 60 ans. Et selon ce même Office, s’il est encore trop tôt pour mesurer les incidences de la pandémie sur l’évolution démographique, l’impact devrait être possiblement plus important sur l’évolution du solde migratoire résultant de la crise économique que sur celle du taux de mortalité.

Les couples se marient moins, plus tard et divorcent plus.
Naissances divisées par trois

L’évolution démographique dépend également des développements sociétaux. En 130 ans, la baisse de la natalité a été importante puisque, le nombre de naissances par millier d’habitants a été divisé par trois. Alors, le remplacement de la population était assuré dès 3,2 enfants par femme et une femme avait en moyenne 4 enfants. Aujourd’hui, la tendance dans les pays développés s’est inversée puisque, en l’absence de flux migratoire, les femmes devraient avoir 2,1 enfants pour renouveler la population, or elles n’en ont que 1,6. Cette diminution du nombre de naissances s’explique possiblement par des transformations sociofamiliales. Les couples se marient moins, plus tard et divorcent plus. L’âge moyen au premier mariage est passé de 26,5 ans pour les hommes et 24,2 pour les femmes en 1970 à 31,5 ans pour les hommes et 29,2 ans pour les femmes en 2009. La probabilité pour un homme d’être marié à 50 ans est passée de 87% en 1970 à 78% dans les années 2000, respectivement de 88% à 81% pour les femmes. Le nombre de naissances par mariage a baissé depuis 40 ans, puisqu’après deux ans de noces, on enregistrait 22 naissances pour 100 mariages en 2008 contre 41 naissances en 1970.

Impact de la migration

Le flux migratoire a joué un rôle important pour enrayer la baisse de la natalité. La migration a engendré une hausse de la population suisse de 35% entre 1950 et 2000; sans celle-ci, il n’y aurait eu que 5,23 millions d’habitants en Suisse en 1996 au lieu des 7,06 millions enregistrés. Elle a permis de ralentir le vieillissement de la population, puisque l’arrivée en Suisse s’est faite autour de 20 ans pour les femmes et de 30 ans pour les hommes. On constate ainsi que les migrations ont un impact plus grand sur la croissance de la population que la natalité et la mortalité. Elles ont également des conséquences pour les pays d’où elles sont issues, car ce sont les ressortissants les mieux formés qui partent, main-d’œuvre diplômée qui peut manquer pour le développement économique.

Conséquences économiques

Les changements démographiques ont des conséquences économiques: ralentissement de la croissance du fait de l’augmentation du nombre de retraités (dont le pouvoir d’achat est plus faible), hausse des coûts du système de santé, mais surtout problèmes de financement du système de retraite. C’est une préoccupation majeure pour les pays tels que la Suisse qui fonctionnent avec un système de répartition. Pour y remédier, la Suisse réforme continûment son système. Une première tentative, avec le projet Prévoyance 2020 a échoué et de nouvelles propositions sont désormais en discussion. L’avenir est synonyme de changements au vu de l’évolution de la répartition de la population par âge: sa forme pyramidale des années 1900 s’est transformée en cloche dès 1950 pour arborer, depuis les années 2000, une forme en champignon, qui doit éviter de devenir atomique.

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