Comment piloter le non-sens artistique de l’IA

Philippe Vallat, Pilot design

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Seul l’être humain peut donner du sens aux multiples créations de la machine qui ne sont que des formes de générations spontanées.

Avec l’irruption de Chat-GPT et de l’IA générative dans nos vies c’est un nouveau monde de possibles qui a vu le jour mais également une succession de fantasmes. Pour faire le tri et y voir clair, il n’y a qu’une façon: mettre en pratique pour tester les limites.

Esclaves numériques

Ne dérogeant nullement à la tradition des innovations disruptives, l’IA générative est apparue spontanément comme une menace pour les ressources humaines. Ainsi certains experts évoquent jusqu’à 300 millions d’emplois supprimés dans les années à venir. Partant du principe que les LLM (large language models) de type GPT, LIama, Dall-E …. ainsi que toutes les solutions d’IA robotiques vont remplacer essentiellement les tâches répétitives, cette destruction d’emplois parait inévitable. D’autant plus que ce mouvement est motivé par une valeur ajoutée : un nouveau pouvoir qui met à notre disposition une force de travail que nous n’aurions jamais pu nous offrir auparavant. Autrement dit, l’IA ne supprimera pas seulement des emplois, elle fournira surtout une profusion de main d’œuvre.  

Si je missionne un générateur d’images à partir de mots clés et de croquis, il va me proposer de manière instantanée un nombre infini de variantes pour un même projet. Un travail qui n’aurait pu être accompli qu’avec une grande quantité d’assistants humains. Une main d’œuvre tellement prolixe donc, qu’aucune entreprise - travailleur indépendant ou industriel - n’aurait jamais pu s’offrir. Doté de ces nouveaux outils un directeur artistique va voir son pouvoir créatif décupler : l’IA lui proposera un nombre illimité de solutions, et il choisira les pistes les plus intéressantes.

Une évolution, pas une révolution

Cette expérience inédite dévoile la proximité entre «créer» et «découvrir»; à nous de trier parmi toutes les propositions du logiciel, celles qui sont les meilleures: un rôle essentiel et irremplaçable. Car seul l’être humain peut donner du sens aux multiples créations de la machine qui ne sont que des formes de générations spontanées.

Remarquons au passage que dans les grandes lignes, l’IA générative procède un peu sur le principe du collage. Elle puise dans la création passée pour faire du nouveau en oeuvrant de manière similaire à des techniques plus anciennes - on pensera dans les années 80 aux films de Quentin Tarantino ou encore plus récemment aux mood-board de Pinterest. Il ne s’agit donc pas d’une création ex-nihilo révolutionnaire, mais plus d’une évolution. Face à ces résultats totalement aléatoires, le directeur artistique conserve toute sa légitimité pour faire le tri parmi les résultats provoqués… une tâche qui nécessite du goût et une subjectivité, attributs qui à ce jour font encore défaut à la machine.

Une prime à la moyenne au dépens de l’originalité

«L’IA est un assistant mais qui ne prend pas la place du créatif.» Cette affirmation tiendra tant que ce dernier restera maître de la disruption. Le Cyber-truck de la firme Tesla en est la preuve. Quand il a choisi la forme de ce véhicule aux allures totalement déroutantes, Elon Musk a pris un maximum de risques en cautionnant les travaux de Franz von Holzhausen, le vice président du Design de Tesla, alors que tous les autres équipiers s’élevaient contre ce choix. Un épisode qui rappelle vaguement celui de Steve Jobs optant envers et contre tous pour une dalle de verre sans clavier pour l’iPhone, concept auquel personne ne croyait, au point que Steeve Ballmer, président de Microsoft s’était copieusement moqué de l’innovation.

Ces deux exemples prouvent que la disruption reste l’apanage de ceux qui osent choisir des formes qui se démarquent de la masse par leur originalité. Or, on sait que l’IA générative, de par la logique même de sa conception, conduit vers une uniformisation des résultats. En effet, elle sélectionne des «événements» qui ont les plus grandes probabilités d’advenir. D’où la difficulté d’innover de manière radicale et le risque de produire essentiellement des formes simplement dans l’air du temps. Cela se manifeste par l’aspect sucré des propositions qui sortent des transistors (pour ne pas dire les méninges) de l’IA: il y a un caractère lissé, car la machine a gommé les aspérités. Raison pour laquelle une forme originale et décalée qui va à l’encontre de toutes les attentes telle que le Cyber-truck ne semble pas pouvoir aujourd’hui être le fruit de notre «robot assistant designer»… incapable de partir d’une feuille blanche.

Le monde dans lequel nous projette l’IA comporte de nombreux mirages. Il faudra être fort pour résister à l’appel des sirènes et démasquer si cela est vraiment utile au progrès de l’humanité. L’usage sur le long terme nous permettra d’en juger… mais il ne faudrait pas trop tarder et prendre de mauvaises habitues, car n’oublions pas que les Data Center qui permettent de faire tourner ces algorithmes ont une empreinte environnementale considérable. Même si certains experts évoquent les vertus de la dématérialisation, il faut rester sensible au fait que le moindre usage que nous faisons du digital (de l’envoie d’email à la requête sur un moteur de recherche) est extrêmement énergivore. Et l’IA avec toute l’infrastructure numérique qu’elle exige ne fera qu’accentuer cette logique. Il est important d’avoir conscience de ces problématiques pour optimiser nos usages si l’on veut que ceux-ci aient encore un sens.