Comment les épargnants pénalisent le crédit bancaire

Emmanuel Garessus

2 minutes de lecture

Tandis que la titrisation explose, la part du bilan bancaire sur le marché du crédit a diminué de moitié en 50 ans.

Branle-bas le combat dans la finance: Les banques américaines sont à nouveau au coeur des inquiétudes. La chute de l’action de la New York Community Bank (NYCB), qui avait mal digéré l’acquisition de la Signature Bank, souligne la vulnérabilité structurelle du secteur en particulier  aux difficultés de l’immobilier commercial. 

L’an dernier, les autorités américaines étaient parvenues à éteindre l’incendie en créant le Bank Term Funding Programm (BTFP). Comme indiqué lundi dans nos colonnes par Eric Vanraes, responsable des taux à la Banque Eric Sturdza, la prolongation au-delà de mars de la durée de vie de ce BTFP sera une indication de la sévérité de la crise actuelle, en l’occurrence des risques causés par les créances douteuses au bilan des banques. 

La situation est d’autant plus incertaine que le marché des titres du Trésor américain, qui représente 26'000 milliards de dollars, perd une partie de ses propriétés d’absorption des chocs, comme le révèle le Wall Street Journal. Le quotidien vie ici le «reverse repo», soit la facilité de prise en pension au jour le jour, qui permet à des financiers, tels que les fonds de marché monétaire, «d’échanger brièvement des liquidités supplémentaires contre des titres de haute qualité sur le bilan de la banque centrale et empocher des intérêts». Ce programme de la Fed, qui a atteint à un moment 2500 milliards de dollars de soldes quotidiens, a diminué régulièrement pour tomber sous la barre des 500 milliards de dollars.

«A l’inverse la dette titrisée, partie de presque rien en 1962, s’élève à 10'000 milliards de dollars.»

Changements structurels

Plus structurellement, les banques américaines vont-elles résister aux transformations technologiques, réglementaires et surtout aux changements d’habitudes des épargnants et des investisseurs? N’est-ce pas la fonction d’intermédiaire bancaire qui est remise en question?

Un travail de recherche sur la baisse séculaire du crédit bancaire dans le total des prêts aux Etats-Unis par Greg Buchak Gregor Matvos Tomasz Piskorski Amit Seru (WP 32176, NBER, février 2024) met en lumière l’expansion de la titrisation dans l’octroi de crédits. La banque traditionnelle semble passée de mode, à l’inverse du secteur non-bancaire.

Longtemps, les dépôts des épargnants servaient avant tout à octroyer des crédits à des privés. Le marché dont nous parlons est considérable. Les crédits aux privés sont passés 550 milliards de dollars en 1962 à 39'700 milliards en 2023.

En réponse à cette forte expansion, les autorités se sont évertué à réduire les risques bancaires. Mais en quelques décennies tout a changé: La part du bilan bancaire sur le marché du crédit a diminué de moitié en 50 ans. Il est passé de 60% en 1970 à 35% en 2023. A l’inverse la dette titrisée, partie de presque rien en 1962, s’élève à 10'000 milliards de dollars, principalement sous l’impulsion de titres hypothécaires avec garanties (Fannie Mae, Freddie Mac). La titrisation a remplacé la bancarisation.

Changements du comportement de l’épargnant

Pendant ce temps, la part des dépôts bancaires dans l’épargne est tombée de 22 à 13%, selon l’étude. Les épargnants préfèrent d’autres formes de placement que les dépôts auprès d’une banque. Ils apprécient par exemple les titres du Trésor, sous la forme de placements en fonds du marché monétaire, ou les investissements dans les fonds de pension. Il en est résulté un fort développement du secteur non-bancaire, moins régulé et moins coûteux.

«La part des dépôts bancaires dans l’épargne est tombée de 22 à 13%, selon l’étude».

A la suite de ces changements, les banques ont complètement modifié leur modèle d’affaires. La part des prêts bancaires dans les bilans des banques est passée de 70 à 55%. Au-delà de l’intérêt à chiffrer cette évolution, l’étude en analyse les raisons. Il en ressort que ce ne sont pas les emprunteurs qui ont conduit à la réduction des bilans bancaires mais les épargnants eux-mêmes.

La titrisation croissante du crédit a certes été facilitée par la technologie, qui en a abaissé le coût. De nombreuses tâches ont par exemple été automatisées et l’évaluation de la qualité de l’emprunteur affinée par des scores de crédit (FICO aux Etats-Unis). Les progrès technologiques font que le crédit total est 2,5% supérieur à ce qu’il serait sans ces changements. 

Mais si c’est la technologie qui a le plus influencé le développement du crédit, selon l’étude, davantage que la réglementation et les préférences des épargnants, ce sont les modifications des comportements des épargnants qui ont le plus contribué à la baisse des bilans bancaires. Les bilans bancaires sont 20% plus bas qu’ils ne seraient si les épargnants n’avaient pas modifié leurs préférences, selon les auteurs. Enfin, il apparaît que les coûts de l’émission de prêts ont été accrus par les réglementations, ce qui a incité les banques américaines à préférer la titrisation plutôt que le prêt traditionnel.

L’un des changements institutionnels les plus remarquable est venu du développement des fonds investis sur le marché monétaire. La rémunération de ces derniers est largement supérieure à celle des dépôts d’épargne et elle concurrence les obligations puisqu’elle oscille autour de 5%. Or ces fonds ne sont pas sans risque. 

L’émergence de l’intelligence artificielle ouvre un nouveau chapitre technologique à ce dossier. Son développement devrait pousser les régulateurs à s’intéresser non seulement à ses effets sur les banques mais aussi au secteur non-bancaire.

A lire aussi...