Les dégâts des émigrations dues à l’impôt sur la fortune

Emmanuel Garessus

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La recherche académique s’est longtemps concentrée sur l’effet de l’impôt sur la fortune sur recettes fiscales. Elle s’intéresse enfin aux migrations d’entrepreneurs et d’entreprises.

La dette publique s’envole. Les gouvernements sont de plus en plus tentés d’imposer de plus en plus lourdement les hauts revenus et les fortunes pour financer les déficits publics. De telles mesures sont électoralement moins douloureuses puisqu’elles touchent une minorité de contribuables. Mais les effets économiques à long terme sont généralement négatifs. La Norvège a pris cette voie en 2022, avec une impôt sur la fortune passé de 1% à 1,1%. Ce relèvement apparemment modeste s’est traduit par le départ en Suisse de nombreuses personnes fortunées, ainsi que divers médias suisses, de la NZZ à Watson, l’ont révélé. Entre septembre 2022 et avril 2023, le nombre d’immigrés norvégiens en Suisse a bondi à 315 personnes, après avoir été d’environ 200 par an les années précédentes, selon le Secrétariat d’Etat aux Migrations. Certains entrepreneurs devaient faire appel au crédit pour payer leurs impôts.

Les milieux académiques ont souvent analysé l’impôt sur la fortune sous l’angle de ses effets sur les recettes fiscales. Etonnamment ils ne se sont guère attardé sur ses conséquences sur l’emploi et le tissu économique. Pourtant, l’émigration de personnes fortunées ne se traduit pas seulement par des pertes fiscales pour le pays d’origine (et des gains dans le pays d’accueil) mais aussi, potentiellement, par le départ d’entreprises et d’emplois. Des chercheurs viennent de combler cette lacune.

Les exemples de la Suède et du Danemark

Cinq économistes se sont penchés sur les cas de la Suède et du Danemark pour mesurer les effets de l’émigration de riches entrepreneurs à cause de l’impôt sur la fortune. Katrine Jakobsen, Henrik Kleven, Jonas Kolsrud, Camille Landais, et Mathilde Muñoz viennent de publier le résultat de leurs travaux dans «Taxing Top Wealth: Migration Responses and their Aggregate Economic Implications» (NBER WP.32153, Février 2024). Les auteurs montrent qu’en Suède 20% des contribuables appartenant aux 2% les plus riches sont des entrepreneurs et que l’emploi, l’investissement et la valeur ajoutée sont négativement impactés lorsqu’ils émigrent pour des raisons fiscales. Les contribuables appartenant au top 2% contrôlent 10% de l’emploi en Suède et 15% de la valeur ajoutée.

L’ampleur de l’effet de l’émigration de l’entrepreneur sur les entreprises est réel mais modeste dans ces pays.

L’ampleur de l’effet de l’émigration de l’entrepreneur sur les entreprises est réel mais modeste dans ces pays. Une augmentation d’un point de pourcentage de l’impôt sur la fortune sur les plus riches entrepreneurs (en l’occurrence sur le Top 2%) réduit le nombre de ces personnes de 2% et provoque une diminution de 0,03% de l’emploi et de 0,1% de la valeur ajoutée. Il n’en demeure pas moins qu’il en résulte des pertes d’emplois. 

L’émigration des contribuables qui est mesurée ici se traduit par une mobilité réelle et non pas seulement par un changement du lieu de résidence fiscal. Si les départs de riches entrepreneurs sont des événements peu fréquents, leur effet économique est majeur. L’émigration d’une grande fortune se traduit par une baisse de 33% de l’emploi dans les entreprises concernées, de 34% de la valeur ajoutée et de 50% de ses impôts. Selon les auteurs, la probabilité de survie de l’entreprise diminue de 27% après le départ du propriétaire hors du pays. Les auteurs s’appuient ici sur les conséquences de l’abrogation de l’impôt sur la fortune de la Suède en 2006, lors de l’arrivée au pouvoir de la droite. Cette réforme a réduit la probabilité de l’émigration d’un riche contribuable de 30%, selon leurs calculs. Les auteurs en déduisent qu’une augmentation d’un point de pour-cent de l’impôt sur la fortune augmente le risque d’émigration de 0,17 point de pour-cent et réduit la probabilité d’immigration de 0,05 point de pour-cent.

Les effets incitatifs de l’impôt sur la fortune

Sur le plan économique, un impôt sur la fortune est considéré comme une taxe sur l’épargne et l’investissement, ou si l’on veut, une incitation à consommer. Le contribuable qui doit le payer subit souvent une triple taxation. En effet, il est taxé une première fois sur son revenu, une deuxième fois sur son épargne, puis une troisième fois sur les dividendes et les intérêts. 

Généralement, un pays qui connaît l’impôt sur la fortune ne perçoit pas d’impôt sur les plus-values, et vice-versa. Mais les pressions politiques augmentent dans de nombreux pays pour augmenter la charge fiscale. La Norvège connaît d’ailleurs une combinaison d’impôt sur la fortune et de taxes sur les plus-values. Cette addition conduit parfois à taxer les grandes fortunes à un taux de plus de 100%, indique l’économiste Daniel Mitchell sur son blog.

Sans débattre des angles moraux et politiques, l’impôt sur la fortune n’est pas seulement une taxe sur l’épargne et l’investissement. Il pose d’énormes problèmes pratiques d’évaluation, puisque cette dernière est appliquée à une date fixe, au dernier jour de l’année, comme le souligne Daniel Mitchell. Il peut conduire à d’innombrables conflits juridiques, lesquels se poursuivent parfois après le décès du contribuable, par l’intermédiaire des taxes sur les successions. Le New York Times s’était fait l’écho du jugement porté lors du conflit entre le fisc américain (IRS) et les héritiers de Michael Jackson portant la valeur du nom et de l’image du musicien. Le conflit a duré sept ans. Le montant du nom et de l’image était estimé à 161 millions de dollars par l’IRS et 4,2 millions par les héritiers. Le juge a finalement rejeté la proposition du fisc.

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