Chaîne d'approvisionnement en Inde: les multinationales peuvent-elles changer la donne?

Brian Bandsma, Vontobel

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Quitter un pays en raison de ses conditions de travail ou de la faiblesse des institutions ne résoudra finalement rien.

Début mars, le New York Times et le projet Fuller ont fait état de problèmes des conditions de travail dans l'industrie sucrière dans l’Etat indien du Maharashtra. Ont été identifié: du travail des enfants et des procédures médicales inutiles.

Le rapport cite des sources selon lesquelles Pepsi et Coca-Cola étaient au courant de ces conditions depuis un certain temps et ont été, au mieux, lents à réagir.

L'article n'établit pas de lien direct entre une multinationale et les conditions de travail en Inde, mais explique que les conditions de travail sont un «système centenaire». L'article ne prétend pas non-plus que Coca-Cola, Pepsi ou tout autre acheteur exerce un contrôle direct sur les conditions de travail dans la région. Etant donné qu'il existe des couches d'intermédiaires entre l’exploitations des champs et le produit final, dont le sucre provient par ailleurs de plusieurs sources différentes, il est difficile de tracer précisément sa provenance.

On en déduit surtout que les entreprises sont complices, puisqu'elles étaient au courant de ces conditions et qu'elles ont été lentes à réagir. Si l'article mentionne brièvement le travail des enfants, l'essentiel du rapport se concentre sur les conditions qui poussent les femmes à subir des hystérectomies d’accélérer le traitement de la canne à sucre. Il indique que les hystérectomies ne sont pas pratiquées comme une forme de contrôle des naissances, ce qui est confirmé par la taille des familles de ces femmes, mais plutôt pour réduire le temps passé loin des champs en raison des menstruations. Il n'y a pas eu d’identification d’une source unique de pression, mais plutôt des sources multiples, y compris de la part de la famille et des médecins.

Coca-Cola et Pepsi ont tous deux publié des déclarations sur la situation. L'exposition de Pepsi est indirecte et se fait principalement par l'intermédiaire d'un franchisé local qui affirme que le sucre du Maharashtra ne représente qu'une petite partie de l'ensemble du sucre qu'il achète.

La plupart des multinationales n'achètent pas les produits de base directement aux exploitants. Dans le cas du sucre, elles achètent le sucre raffiné qui provient de sources multiples. Une complication supplémentaire s’ajoute dans la tentative de retracer la chaîne d'approvisionnement jusqu'à l'exploitation agricole: la canne à sucre n'est pas nécessairement vendue à la même usine chaque année. Les exploitations agricoles sont généralement de petites exploitations d'un ou deux hectares en nombre, plus de 10’000 parfois, qui vendent leur production à l'usine qui leur propose la meilleure offre. Toute solution nécessitera la coopération du gouvernement du Maharashtra, de toutes les usines de transformation de la région et des autres acheteurs pour aboutir à un résultat efficace, car un acheteur, même important au niveau mondial, n'est qu'un petit acteur dans cette région.

Tout en reconnaissant que les entreprises multinationales ont souvent une influence limitée sur le changement en raison de contraintes culturelles, religieuses ou gouvernementales, en particulier dans les pays à faibles salaires, les réglementations des pays de production finale ainsi que les consommateurs et les investisseurs exercent une pression croissante sur les entreprises pour qu'elles assument davantage de responsabilités sur les questions ESG dans leurs chaînes d'approvisionnement.

Dans de telles situations, nous devons également tenir compte du fait que les entreprises pourraient facilement décider ne pas vouloir être liées à une situation sur laquelle elles n'ont que peu de contrôle et se tourner vers d'autres sources d’approvisionnement. Quitter un pays en raison de ses conditions de travail ou de la faiblesse des institutions ne résoudra finalement rien. La situation perdurera et la pauvreté ne fera qu'augmenter. L'approvisionnement en intrants dans les régions en développement expose inévitablement les entreprises et les consommateurs à des pratiques de travail abusives ainsi qu'à une dégradation de l'environnement. Mais cela peut aussi contribuer à l'amélioration du niveau de vie. Les entreprises peuvent avoir un impact positif sur leurs chaînes d'approvisionnement en établissant des normes, en procédant à des audits et en faisant pression sur leurs fournisseurs pour qu'ils fassent mieux.  Alors que nous continuons de nous engager sur cette question avec les entreprises dans lesquelles nous investissons, nous les encouragerons à profiter de cette occasion pour en faire de même avec leurs partenaires afin d'améliorer les conditions de travail sur le terrain.

Les multinationales dont les chaînes d'approvisionnement se fournissent en matières premières dans des pays à faibles revenus s'exposent inévitablement, ainsi que leurs marques, aux conditions qui y prévalent. Souvent, il existe plusieurs niveaux de grossistes, ce qui brouille davantage les responsabilités ou rend difficile l'obtention d'informations sur les exploitations agricoles ou les conditions de travail dont proviennent les intrants. Même avec les meilleures intentions du monde, avoir un impact peut être compliqué et chronophage. D'après les détails de l'article, les médecins de la région sont souvent prompts à recommander la procédure d’hystérectomie, ce qui suggère qu'éduquer les médecins, plus que toute autre partie prenante, sur les meilleures pratiques médicales, pourrait être l'action la plus efficace pour améliorer la situation.

Quatre bonnes pratiques pour améliorer les conditions de travail des fournisseurs

Le monde devient de plus en plus petit et la technologie fournit de nouveaux outils et de nouvelles données qui permettent de mettre en lumière des recoins du monde auparavant invisibles. L'omniprésence des smartphones et l'accès aux réseaux sociaux permettent aux personnes situées au bas de la pyramide des salaires de faire connaître immédiatement leurs conditions de travail au reste du monde. Les médias n'ont plus le besoin, ni la capacité d'agir comme un filtre, ni de fournir un contexte. Les entreprises doivent, à tout le moins, tenir compte de ce monde en mutation et évaluer leurs politiques de sourçage pour s'assurer qu'elles sont à la hauteur de cette nouvelle réalité. L'examen des risques liés à la chaîne d'approvisionnement nous a permis de comprendre ce qui suit au sujet des meilleures pratiques à adopter:

  1. Renforcer la surveillance. 
    Le fait de s'approvisionner auprès d'un grossiste ou d'un autre intermédiaire ne protégera pas une entreprise d'éventuels problèmes de travail ou d'environnement. Mais cela ne signifie pas que les entreprises doivent tendre vers un approvisionnement direct, elles doivent renforcer les audits et l'application des réglementations. 
  2. Imposer les normes de l'entreprise aux fournisseurs. 
    Si un pays ne respecte pas un minimum de lois et de réglementations, ou ne parvient pas à les faire appliquer, les entreprises doivent être prendre le relais et imposer leurs propres normes à leurs fournisseurs. Nous avons observé des pratiques exemplaires dans lesquelles des entreprises disposaient de bureaux permanents et d'employés pour veiller au respect de la législation dans certains pays. 
  3. Evaluer les processus d'audit. 
    Si l'emploi de vérificateurs constitue une première étape, celle-ci n'est souvent pas suffisante. Une évaluation rigoureuse des processus d'audit est nécessaire. Dans les pays à faibles salaires en particulier, les auditeurs peuvent être compromis ou ne pas remarquer certaines tactiques d'évitement des fournisseurs. Il est trop facile pour les entreprises de se défiler en indiquant que leur chaîne d'approvisionnement a fait l'objet d'un audit et a été approuvée, afin d'éviter d'avoir à en assumer la responsabilité. 
  4. Améliorer le soutien financier. 
    Dans les pays à faibles salaires, les fournisseurs disposent de ressources moindres pour améliorer leurs opérations. Souvent, l'imposition de normes plus strictes entraîne une augmentation des coûts. Si les forces normales du marché peuvent fonctionner lorsque certains fournisseurs sont capables de s'imposer et de répondre aux exigences mieux que d'autres, un soutien financier ou d'autres engagements peuvent s'avérer nécessaires pour opérer un changement.

En bref, la spécificité des détails donne une grande idée du sérieux avec lequel une entreprise aborde les questions liées à l'ESG. Plus une entreprise est en mesure de détailler les conclusions des enquêtes et des mesures qu'elle prend pour remédier à ces situations et les améliorer, plus il est probable qu'elle ne pratique pas l'écoblanchiment. L'autre critère est de savoir à quel niveau de la chaîne de direction l'entreprise s'est approprié le problème. Lorsque nous entendons un PDG, un président ou un actionnaire principal parler d'un problème avec beaucoup de détails et de passion, nous sommes plus confiants quant à ses résolutions.

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