Calmement pondéré, au lieu de bruyamment agité

Chris Iggo, AXA IM

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Quelle que soit son évolution, la guerre commerciale engagée constitue un choc macroéconomique, mais la réalité est moins rude que la rhétorique qui l’accompagne.

Le discours géopolitique et économique mondial a pris une tournure conflictuelle. Cela engendre de l’incertitude chez les investisseurs. Le sentiment est volatil. Mais mis à part le tapage, les rendements nets du marché n’ont rien d’exceptionnel. Quelle que soit son évolution, la guerre commerciale engagée constitue un choc macroéconomique, mais la réalité est moins rude que la rhétorique qui l’accompagne. Depuis le début de l’année, les rendements des marchés boursiers sont positifs, et certains marchés enregistrent une forte hausse. Entre-temps, les inquiétudes exagérées portant sur les obligations d’Etat n’ont rien changé au fait que les obligations procurent des revenus aux investisseurs. Les portefeuilles équilibrés affichent de bons résultats. Gardez donc votre sang-froid et ignorez le vacarme.

Lutter, lutter, lutter

La philosophie dominante du gouvernement américain est de restaurer le concept de grandeur des Etats-Unis. Cela implique de se confronter à ceux qui sont perçus comme empêchant cette grandeur de se réaliser - les institutions et gouvernements étrangers, les immigrés et tous ceux qui ont adopté un programme politique progressiste au niveau national. Pour les marchés, la manifestation la plus importante de cette attitude de confrontation a été la politique commerciale et la tentative de réorganiser le système commercial mondial en faveur des États-Unis. Nous sommes désormais au fait de la manière très peu orthodoxe et imprévisible dont cet agenda est mis en œuvre, et de la façon dont cela crée de la volatilité au niveau du sentiment des investisseurs et des prix du marché. Dans un avenir proche, les Etats-Unis continueront à se battre pour obtenir des résultats commerciaux plus favorables, soutiendront un budget qui creuse encore davantage le déficit fédéral et poursuivront leurs efforts de désengagement du financement de la recherche dans des domaines tels que l’égalité sociale, la santé et le risque climatique, au motif qu’ils ne correspondent pas à l’agenda du mouvement MAGA. Les risques de dommages économiques auto-infligés sont évidents.

Défis à relever!

Ce programme se trouve face à des défis d’opposition - sur les marchés, dans les tribunaux, par des acteurs de l’Amérique des affaires et du show-business, et par le reste du monde. Bien qu’ils affirment s’être engagés à investir des milliers de milliards de dollars, les États-Unis n’ont pas réussi à conclure d’accords commerciaux significatifs, même si le gouvernement brandit à nouveau la menace des droits de douane annoncés le « jour de la libération ». En effet, le président Donald Trump a fait marche arrière quant à sa menace d’imposer des tarifs douaniers débouchant inexorablement sur une récession en Chine et dans l’Union européenne, étant donné qu’il ne peut pas se targuer d’avoir, en contrepartie, obtenu un accès préférentiel à ces marchés ou engendré des plans réalistes conduisant à une vague d’investissements étrangers dans l’industrie manufacturière américaine. Au bout du compte, le simple fait que Trump affirme avoir conclu un bon accord pourrait suffire à calmer le jeu. Cela aurait un effet stimulant sur les marchés. Toutefois, une confrontation à l’issue incertaine risque de persister.

Sentiment

Les marchés ont tendance à se redresser lorsque Trump bat en retraite, comme ils l’ont fait brièvement cette semaine à la suite de l’arrêt d’une cour fédérale jugeant illégal le recours de l’exécutif à un droit d’urgence économique de 1977 pour imposer des droits de douane. Ils ont en revanche replongé lorsque l’administration américaine a fait appel de cette décision. Je n’ai aucun doute que ce schéma se reproduira encore maintes fois, mais sans que cela débouche sur un résultat plus clair. A quoi reconnaîtra-t-on que l’Amérique a retrouvé sa splendeur? Il n’est pas réaliste de s’imaginer que le gouvernement fédéral se satisfera d’un tarif douanier inférieur au droit de douane général de 10%, assorti d’autres taxes sectorielles spécifiques et axées sur la Chine. Une approche de confrontation restera probablement le mode opératoire adopté par la Maison blanche, au moins jusqu’aux élections de mi-mandat au Congrès, en 2026. Par conséquent, le sentiment des investisseurs risque de demeurer volatil et les marchés risquent de se retrouver encore une fois sans point de repère quant à la direction à prendre.

Investisseurs nationaux et étrangers

Il est probable qu’entre les investisseurs nationaux et les investisseurs étrangers, le sentiment divergera à l’égard des placements à effectuer aux États-Unis. Se montrer en opposition au reste du monde est un élément central de l’agenda Trumpien - notons la disposition budgétaire permettant de prélever des impôts supplémentaires sur divers flux de revenus réalisés par des personnes ou des sociétés étrangères de pays considérés comme ayant des impôts injustes ou discriminatoires envers les États-Unis. Cet antagonisme se répercutera certainement sur les décisions d’allocation concernant les actifs américains, car les États-Unis sont en train de perdre de l’empathie à l’échelon international. Leur approche politique crée de l’incertitude autour des fondamentaux de l’économie américaine tels que la croissance, les bénéfices des entreprises, l’inflation, les taux d’intérêt et le dollar. Globalement, cela incite les investisseurs à privilégier leur pays d’origine pour leurs placements. Depuis le début de l’année, le dollar a perdu plus de 9% par rapport aux autres grandes monnaies, sur une base pondérée en fonction des échanges commerciaux. Les marchés boursiers des pays qui présentent d’importants niveaux d’épargne (dont une partie va aux États-Unis et sert à couvrir les besoins d’emprunt du pays) ont surperformé les marchés américains.

Ce sont les fondamentaux qui détermineront les rendements, en fin de compte

J’ai dit auparavant qu’il était difficile d’affirmer que les investisseurs étrangers allaient se désinvestir totalement du dollar américain. Tout signe indiquant des mouvements importants dans ce sens serait incroyablement déstabilisant pour les marchés mondiaux et l’économie de la planète. En outre, il y a de bonnes raisons de rester investi aux États-Unis, compte tenu des rendements futurs auxquels on peut s’attendre, ainsi que, tôt ou tard, d’un retour probable à une politique plus traditionnelle. Mais en attendant, la composition des portefeuilles peut faire l’objet d’aménagements mesurés, et ceux-ci se produisent effectivement ou sont pour le moins évoqués dans les comités d’investissement du monde entier. Au-delà du tapage politique et des fluctuations du sentiment, ce sont les perspectives fondamentales, et les risques, qui détermineront l’issue de ces délibérations. Étant donné que nous assistons à un choc macroéconomique auto-infligé, on peut s’attendre à des performances limitées des actions, comparativement aux résultats des deux dernières années.

Ce choc macroéconomique se manifeste par un ralentissement potentiel du commerce mondial, centré sur les flux allant vers les États-Unis, avec des effets d’entraînement sur l’ensemble des activités, en raison de l’incertitude qui règne, des perturbations de la chaîne d’approvisionnement et d’un impact affectant les revenus réels, suite à une hausse des prix à l’importation. Il est encore difficile de dire quelle sera l’ampleur du phénomène. En principe, un choc macroéconomique favorise les obligations par rapport aux actions. Pour les investisseurs en titres obligataires, il existe cependant aussi des risques liés à l’inflation et aux développements budgétaires. Et si vous êtes un investisseur non américain, vous craignez que la faiblesse du dollar ne s’accentue et que d’autres risques, non spécifiés mais potentiels, pèsent sur les flux de trésorerie liés à l’investissement dans des actifs financiers américains, au cas où la confrontation commerciale s’envenimerait.

Aucune tendance ne se dégage

Les marchés ne sont guère orientés, notamment en raison de l’impression que les investisseurs n’entreprennent pas encore grand-chose en termes de réallocation de leurs portefeuilles. Les rendements totaux des indices boursiers américains sont stables depuis le début de l’année, avec le S&P et le Nasdaq réussissant mieux que l’univers des petites capitalisations. Les rendements ont été élevés durant le dernier mois, mais les niveaux du marché sont encore bien inférieurs aux sommets atteints en février. Dans un comparatif mondial, les indices américains ont sous-performé, de même que les marchés d’actions de la zone chinoise élargie, tandis que les marchés européens ont enregistré des résultats nettement meilleurs. Si la rhétorique de la guerre commerciale se poursuit et que tout nouvel affrontement se trouve centré sur les flux commerciaux et financiers entre les États-Unis et la Chine, il y a peu de raisons de s’attendre à ce que la performance relative du marché des actions s’inverse de manière significative.

Bien entendu, l’Europe pourrait, elle aussi, être frappée de plein fouet par de nouveaux droits de douane décrétés par Trump, comme il a encore menacé de le faire la semaine dernière. D’abord, il convient de constater que le contexte macroéconomique n’est pas très favorable aux actions européennes, même si la Banque centrale européenne peut encore abaisser ses taux. Ensuite, la croissance européenne pourrait buter sur des obstacles se dressant sur son chemin à l’avenir, mais les dépenses budgétaires programmées par le nouveau gouvernement allemand n’ont pas encore produit leur effet. En termes de valorisations, l’Europe conserve un avantage considérable sur les États-Unis. Certes, les prévisions de progression des bénéfices pour l’année prochaine ont été revues plusieurs fois à la baisse dans les deux zones concernées, mais à un rythme allant en décroissant. Reste l’argument technologique. Nvidia a annoncé un chiffre d’affaires de 44 milliards de dollars au premier trimestre, dépassant ainsi largement les attentes des analystes. Le thème de l’intelligence artificielle conserve toute son actualité, et il est difficile d’éviter d’y être exposé dans un portefeuille composé d’actions internationales. La surperformance des marchés d’actions européens, observée par rapport aux marchés américains depuis le début de l’année, est impressionnante et inhabituelle. Mais quelle que soit la sympathie que l’on porte à l’Europe et l’antipathie que l’on éprouve à l’égard de l’administration américaine actuelle, ce serait faire preuve d’optimisme que de s’attendre à ce qu’un tel niveau de surperformance se maintienne.

La faute aux politiciens, pas aux PDG

Ce n’est pas l’Amérique des entreprises qui est à l’origine de l’incertitude, c’est l’Amérique politique. Les marchés américains sont chers, mais ils ont enregistré des bénéfices importants, dont les prévisions portent encore sur des valeurs à deux chiffres, tant pour cette année que pour l’année prochaine. Ils sont soutenus par les investisseurs nationaux dont le sentiment ne semble pas être si mauvais, somme toute (il existe sans doute une certaine sympathie pour le programme de MAGA). Il n’y a pas de récession, il y a beaucoup de liquidités sur les comptes du marché monétaire et la technologie évolue rapidement. Un certain aspect d’exceptionnalisme américain subsiste dans le marché boursier. Équilibre et diversification sont les éléments clés pour les investisseurs étrangers. Les valorisations et les autres risques macroéconomiques peuvent conduire à préférer un niveau d’exposition plus faible au marché américain, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il faille écarter les États-Unis de ses choix.

Le revenu fixe sans tendance définie - Les rendements des obligations internationales ont été majoritairement positifs. Le rendement de l’indice composé américain se situe à environ 1,5%, sur un rendement total de 2,24% depuis le début de l’année. Dans un indice européen similaire, les rendements ont été dominés par les revenus (0,9% sur 1,0%). Malgré toutes les inquiétudes portant sur l’inflation et la viabilité budgétaire, les rendements de référence restent dans des fourchettes bien définies. Les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon ont cependant connu une accentuation de la courbe en raison des inquiétudes concernant l’offre future en lien avec les niveaux plus élevés d’emprunts d’État. Ces inquiétudes sont majoritairement exagérées, car les agences de gestion de la dette reconnaissent la nécessité de concentrer les émissions futures sur les échéances les plus courtes des courbes de rendement. Les 5% de rendement des bons du Trésor américain, observés peu après la récente dégradation de la note de crédit des États-Unis par Moody’s, ont sans doute représente une bonne opportunité d’achat. L’histoire montre qu’il s’agit d’un bon point d’entrée si l’on souhaite investir dans des bons du Trésor à échéance longue (mais nous y reviendrons à une autre occasion).

Pour les bons du Trésor, le principal risque réside dans le fait que, sur la dette nouvellement émise, des coupons plus élevés seront nécessaires pour attirer des acquisitions supplémentaires au fur et à mesure que les déficits se creuseront. Il en résulte une hausse des rendements du marché et une baisse des prix des obligations existantes, ce qui se traduit par des rendements négatifs dans les portefeuilles obligataires. Les investisseurs étrangers qui détiennent des obligations américaines craignent également que la valeur réelle de leurs avoirs ne soit rognée par une inflation américaine plus importante et un dollar encore plus faible. Malgré l’esprit peu orthodoxe qui anime Washington, il n’y a jamais été question de monétiser la dette et de se servir de l’inflation pour faire disparaître le problème de la viabilité des finances publiques. Le secrétaire au Trésor américain, Scott Bessent, reconnaît que, dans une certaine mesure, l’inflation de 2021-2023 a été nourrie par les mesures politiques prises par la Fed en matière de bilans, et que celles-ci ont renforcé l’assouplissement quantitatif. Ce n’est plus le choix fait aujourd’hui. Il est néanmoins plus prudent de s’en tenir à des stratégies de revenu fixe à duration courte, compte tenu de la volatilité des rendements sur la portion longue de la courbe. Dans les catégories «investment grade» et «high yield», le crédit à échéance courte reste un bon point d’ancrage dans ce monde incertain.

Les risques sont plus importants. Les primes de risque sont plus élevées. Il faut s’attendre à encore d’autres épisodes de forte volatilité des marchés (avec les réactions pavloviennes de la part des commentateurs). Le monde change, mais le capitalisme de marché n’est pas mort; ce sont simplement ses mécanismes qui se trouvent transformés de fond en comble. Cela engendre de l’incertitude. Mais pour les marchés mondiaux, les fondamentaux restent solides, et l’administration américaine finira par atténuer ses velléités de confrontation. Ainsi, les rendements obtenus à long terme sur les portefeuilles équilibrés et diversifiés, solidement exposés aux flux de revenus du crédit et à la progression des bénéfices du secteur technologique, devraient continuer à faire prospérer les avoirs des investisseurs.

 

Données de performance/sources de données : LSEG Workspace DataStream, ICE Data Services, Bloomberg, AXA IM, état du 29 mai 2025, sauf mention contraire. Les performances passées ne doivent pas être considérées comme un indicateur de performances futures.

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