Avenir plus vert, valorisation et vaisselle de grand-mère

Fabiana Fedeli, Robeco

4 minutes de lecture

Être investisseur, c’est apprendre de nouvelles choses chaque jour. Si vous pensez tout savoir, il est temps de partir à la retraite.

Les leçons ne sont pas toujours faciles à accepter mais, espérons-le, elles nous permettent de nous améliorer dans notre travail. Ces trois derniers mois nous ont appris trois choses:

  1. Ne jamais sous-estimer la Chine
  2. L’avenir s’annonce plus vert, en particulier dans les investissements
  3. La valorisation n’a pas disparu et fait de plus en plus penser à la vaisselle en porcelaine de grand-mère: on la sort pour les grandes occasions (améliorations des données macroéconomiques), mais on la range dès que l’on retourne à son lot quotidien.

Ces trois thèmes vont définir la suite des événements, au moins jusqu’à la fin de l’année, probablement même jusqu’à la fin de la décennie à venir.

Une reprise en U

Le Covid-19 n’a pas encore disparu puisque de nouveaux pics de contamination sont atteints dans le monde. Par conséquent, la reprise économique n’est clairement pas en V. Pour le moment, nous penchons davantage pour une trajectoire en U, qui pourrait se transformer en W, c’est-à-dire une double récession, mais ce risque reste plutôt limité. Dans le monde entier, les autorités et les médecins ont compris comment mieux gérer la crise, et la découverte d’un vaccin semble se rapprocher.

Tant que l’on n’imposera pas de nouveau confinement généralisé et que les marchés continueront de bénéficier du soutien des banques centrales et des plans de relance, il est probable que les actions se porteront bien. Cependant, un nouveau rally semble peu probable, surtout aux États-Unis. Une période de ralentissement est à prévoir, et peut-être aussi des prises de bénéfices.

La Chine est la deuxième économie mondiale, et son marché actions
est nettement sous-représenté dans les portefeuilles des investisseurs.

Les valeurs technologiques qui ont tiré les marchés développés et émergents à la hausse ne baisseront peut-être pas, car leurs bénéfices sont bien soutenus par les fondamentaux, mais il est difficile d’imaginer qu’elles continuent sur le même rythme. La prochaine étape de la remontée des marchés devra provenir des actions plus cycliques. Celles-ci ont cependant besoin d’une meilleure visibilité en matière de reprise économique. Il est clair que le niveau de dispersion historiquement élevé entre les titres «value» et les titres «growth» favoriserait cette reprise, et c’est ce que le marché semble attendre.

La Chine devrait devenir une allocation stratégique  

Après le récent rally et compte tenu du discours anti-Pékin des États-Unis, on pourrait se demander pourquoi il est important de rester optimistes sur ce marché.

Outre la gestion efficace de la crise et une reprise précoce de son économie, il existe aussi des raisons structurelles. La Chine est la deuxième économie mondiale, et son marché actions est nettement sous-représenté dans les portefeuilles des investisseurs. Cela est dû en partie à la défiance des investisseurs et à des problèmes de transparence, et en partie à la faible présence des sociétés chinoises dans les indices actions.

Les autorités chinoises reconnaissent qu’elles ont tout intérêt à ouvrir davantage le marché actions continental aux investisseurs étrangers. Elles ont déjà pris des mesures importantes en ce sens, avec le programme Stock Connect et la levée des quotas d’accès pour les investisseurs étrangers qualifiés. Cet accès élargi favorisera également une plus grande inclusion dans les indices actions.

Jusqu’à la fin de l’année, le marché actions chinois devrait bénéficier d’une amélioration des données macroéconomiques et de la réforme en cours du marché des capitaux. En outre, même après leur remontée récente, les actions de classe A s’échangent à des niveaux proches de leurs plus bas en termes de valorisation, par rapport aux actions américaines.

La durabilité devient de plus en plus importante pour l’opinion publique
comme pour un nombre grandissant de gouvernements.

Un épisode de volatilité à court terme est probable, soit à cause du gouvernement qui tentera de tempérer les ardeurs des investisseurs particuliers, soit à cause d’une résurgence du Covid-19 ou d’une escalade dans le conflit sino-américain. Concernant ce dernier, aucun apaisement n’est à prévoir, et surtout pas pendant la campagne électorale américaine, mais les conséquences du conflit sur le sentiment des investisseurs à l’égard de la Chine diminuent, le pays semblant être en mesure de gérer tout ce qui lui tombe dessus.

Le Covid-19 a renforcé les enjeux environnementaux

Si le leitmotiv «suivre l’argent» est toujours valide, alors «passer au vert» pourrait le devenir aussi. La durabilité devient de plus en plus importante pour l’opinion publique comme pour un nombre grandissant de gouvernements. Alors que la gouvernance occupe une place essentielle dans l’esprit des investisseurs depuis quelques années, il est à présent de plus en plus évident que l’impact environnemental des entreprises jouera un rôle encore plus grand sur leurs perspectives financières. Et le Covid-19 accélère les choses. En s’engageant à apporter leur soutien budgétaire, les gouvernements ont clairement fait savoir que leur priorité est de créer un monde plus durable.

Lorsqu’elle a présenté le plan de relance européen de 750 milliards d’euros, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a déclaré: «Si nous devons augmenter la dette que nos enfants devront assumer à l’avenir, la moindre des choses est que nous investissions dans leur avenir. Que nous nous attaquions au changement climatique et que nous réduisions la charge sur le climat, et certainement pas que nous l’alourdissions.» Cela paraît judicieux.

Au Canada, les grandes entreprises qui demandent un prêt de l’État en raison de la pandémie doivent publier un rapport annuel de divulgation de l’information liée au climat. Et tandis que l’administration américaine est à la traîne des autres pays développés en matière de durabilité, les républicains comme les démocrates souhaitent augmenter les dépenses d’infrastructure. En cas de victoire des démocrates aux élections de novembre, ces dépenses devraient être plus centrées sur l’environnement.

Les marchés émergents commencent également à faire des efforts. La Corée du Sud a récemment annoncé un «New Deal» écologique de 130 milliards de dollars destiné à améliorer la durabilité environnementale du pays. Mais la mise en œuvre complète et réussie de ces plans reste incertaine, même si la direction prise est claire.

La valorisation reviendra mais sous une autre forme

Les écarts entre les titres «value» et les titres «growth»  sont propices à un retour de la valorisation, mais cela ne suffit pas: un déclic est nécessaire. Il leur faut juste un catalyseur. Pour un retour durable de la valorisation, les perspectives macroéconomiques doivent s’améliorer.

La valorisation n’est plus synonyme
de retour à la moyenne.

C’est ce que nous a montré la brève réorientation vers les titres «value» au deuxième trimestre. Elle n’a duré que le temps d’une amélioration des perspectives relatives aux données macroéconomiques (et donc relatives aux valeurs cycliques). Mais le Covid-19 s’avérant difficile à endiguer, en particulier aux États-Unis, la valorisation sous-performe de nouveau. Elle a cependant effectué une remontée en Chine, où l’amélioration des données macroéconomiques sera également essentielle.

Mais si vous êtes acheteur, attention: toute hausse du marché basée sur l’idée d’un avenir meilleur devrait bénéficier aux titres «value», mais certains ne survivront pas. La notion de valorisation doit évoluer. Le concept de retour à la moyenne s’applique peut-être à certaines entreprises mais pas à de nombreuses autres.

Dans un monde d’innovation technologique où les services et la consommation de nos ressources mondiales augmentent, où le numérique a transformé le commerce de détail et l’information, où les processus de production concernent davantage le logiciel que le matériel, et où les pratiques durables sont essentielles, notre quête de valeur doit être envisagée de façon plus intelligente. Les entreprises qui ne suivent pas le rythme de l’innovation pourraient bien rester à la traîne et devenir des «value traps». La valorisation n’est plus synonyme de retour à la moyenne.

Chaque trimestre apporte son lot d’enseignements. L’un des plus précieux est que nous devons être prêts à aller de l’avant et à reconnaître que l’avenir peut (à maints égards) être très différent du passé. Tout ne reviendra pas à la normale, et nous devons prendre en compte de nouvelles forces, parmi lesquelles la Chine, la durabilité et une quête de valeur plus intelligente.

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