Beaucoup d’argent est investi sur les marchés financiers. Les dirigeants ont donc tout intérêt à ce que le bilan de leur entreprise soit le plus favorable possible. Un franc est un franc et la comptabilité est une discipline extrêmement aride. Il n’empêche que les entreprises ont une latitude non négligeable pour améliorer la présentation de leur situation économique dans les comptes annuels. Gonfler les recettes, abaisser les coûts d’amortissement, retarder des dépenses ou surévaluer les stocks en sont quelques exemples. Parfois les entreprises ne résistent pas à la tentation et dépassent les limites de ce qui est légalement admissible. C’est là qu’entrent en jeu les sociétés d’audit. Elles agissent en qualité d’auditeur indépendant qui examine les rapports financiers des entreprises pour en assurer l’exactitude et la légalité.
Les auditeurs jouent donc un rôle extrêmement important pour que le système financier et économique soit efficace. Ils sont les gardiens de la transparence et les garants de la confiance dans les indicateurs bilantaires. Mais même les auditeurs sont exposés à différentes tentations et ne sont pas à l’abri des erreurs. Comme ils connaissent très bien les entreprises en raison de leur activité d’audit, ils leur proposent aussi des prestations de conseil lucratives. Il en résulte cependant des conflits d’intérêts qui ont pour conséquence que les sociétés d’audit ne font plus preuve de la rigueur nécessaire pour surveiller et réviser les comptes annuels de leurs clients. Ainsi, nous avons assisté à plusieurs reprises à des défaillances spectaculaires de sociétés d’audit par le passé. L’heure est donc venue pour les autorités d’arrêter de prendre des gants avec les sociétés d’audit.
Le scandale Enron en 2001 a été l’un des cas les plus connus et les plus désastreux. Enron, un groupe énergétique américain, avait massivement manipulé ses bilans pendant des années pour dresser un portrait plus avantageux de l’entreprise. Arthur Andersen, la société d’audit responsable, avait omis de déceler ces manipulations et avait même participé activement à la destruction de documents compromettants. Ce scandale avait non seulement entraîné l’effondrement d’Enron, mais aussi signé la fin d’Arthur Andersen, l’une des cinq principales sociétés d’audit au monde à l’époque.
Le rôle des sociétés d’audit a également été critiqué lors du naufrage lourd de conséquences de Lehman Brothers dans le sillage de la crise financière en 2008. Des années durant, la société d’audit EY avait approuvé les rapports financiers de Lehman Brothers sans remarquer ni signaler les risques considérables. EY a essuyé de vives critiques, notamment pour avoir omis d’examiner scrupuleusement les transactions «Repo 105». Grâce à ces opérations, la banque d’investissement américaine a retiré des dettes de son bilan avant chaque fin de trimestre et ainsi abaissé artificiellement son taux d’endettement. Comme elle s’engageait parallèlement à racheter les dettes après la fin du trimestre, elle aurait normalement dû les comptabiliser en tant que financements. EY n’a toutefois jamais été condamnée en justice dans cette affaire. En 2013, EY a trouvé un accord avec les investisseurs et réglé la somme de 99 millions de dollars US. EY a par ailleurs conclu un arrangement avec l’État fédéral de New York en 2015. Cette affaire a toutefois mis à mal la confiance dans la société d’audit et la foi en son indépendance.
EY devrait en revanche s’en sortir à moins bon compte en raison de ses omissions en relation avec l’effondrement du prestataire de paiements allemand Wirecard en 2020. Pendant des années, Wirecard a procédé à des manipulations massives de ses bilans. Malgré des mises en garde et des signes de fraude grave répétés, EY a certifié les comptes de Wirecard pendant une dizaine d’années, sans identifier les falsifications. Les signaux d’alerte, en particulier concernant les prestations de paiement externalisées à des tiers, ont été nombreux, mais pour des raisons inexpliquées, l’auditeur ne les a pas examinés. Des volumes de transactions parfaitement identiques ont par exemple été relevés dans les livres de comptes de ces tierces parties en 2016 et 2017, or de tels signaux inquiétants n’ont pas entraîné de travaux d’audit supplémentaires chez EY. Tout comme les cocontractants inexistants ou les prétendus clients de premier plan qui ne connaissaient même pas Wirecard. EY n’a même pas identifié en tant que telles de grossières falsifications. La fin de partie pour Wirecard n’a été sifflée qu’après qu’un audit spécial réalisé par KPMG n’a pas permis d’apporter de preuves suffisantes de l’existence d’avoirs bancaires sur des comptes fiduciaires à hauteur de 1,9 milliard d’euros.
Le dernier scandale en date concerne la société d’audit PwC dont l’activité en Chine est menacée d’interdiction pendant six mois. On lui reproche des erreurs graves lors de l’audit du bilan de la deuxième société immobilière chinoise Evergrande qui s’est effondrée. L’autorité de surveillance chinoise des valeurs mobilières soupçonne Evergrande d’avoir massivement et frauduleusement gonflé son chiffre d’affaires sur une période de deux ans jusqu’en 2020. Il est question de 78 milliards de dollars inexistants. Jusqu’au début de l’année 2023, PwC a certifié les comptes d’Evergrande pendant 14 ans sans la moindre réserve. En menaçant l’entreprise d’une interdiction d’exercer, l’autorité chinoise entend réprimer plus durement les sociétés d’audit. Les autorités invitent en outre les sociétés publiques à cesser de collaborer avec PwC. Les conséquences pour PwC sont considérables et devraient se traduire par de fortes pertes de revenus et des licenciements.
Dès avril 2023, l’autorité de surveillance allemande de l’audit APAS avait infligé à la société d’audit EY une interdiction d’accepter de nouveaux mandats d’audit de sociétés d’intérêt public pendant deux ans et une amende de 0,5 million d’euros en raison de son rôle dans le scandale Wirecard. L’autorité chinoise devrait à présent aller beaucoup plus loin. Elle veut non seulement interdire toute nouvelle activité, mais aussi toute certification de compte pendant la durée du bannissement.
La Chine semble encline à durcir le ton à l’encontre des sociétés d’audit.
Il est grand temps que les autorités du monde entier luttent plus résolument contre les auditeurs coupables de manquements. Les scandales révélés ont levé le voile sur de nombreuses faiblesses dans les structures et les pratiques de l’audit. L’une des principales critiques concerne le manque d’indépendance des auditeurs. Une autre problématique est celle de la structure oligopolistique du marché mondial de l’audit. Les «Big Four» dominent le marché comme ils l’entendent, ce qui les rend négligents et peut les conduire à commettre des erreurs. Un exemple de plus que l’absence de concurrence est mauvaise pour l’économie.