L’inflation a accéléré en décembre en Russie à 9,5% en rythme annuel, a annoncé mercredi l’agence nationale Rosstat, malgré les efforts de la banque centrale pour la juguler en maintenant son taux directeur à un niveau record en 20 ans.
Cette mauvaise nouvelle intervient au moment où les difficultés s’accumulent après trois ans de conflit en Ukraine qui pèse sur l’économie.
Parmi les sujets d’inquiétude, les pénuries de main d’oeuvre persistantes, les prêts bancaires exorbitants, les risques croissants de faillites, ou encore une décélération de l’activité attendue cette année.
Malgré tout, le Kremlin semble déterminé à maintenir son offensive quoiqu’il en coûte pour obtenir «la victoire» en Ukraine, objectif martelé par Vladimir Poutine.
En novembre, l’inflation, notamment alimentée par l’impulsion budgétaire fédérale pour soutenir l’assaut chez le voisin ukrainien et ses conséquences, avait atteint 8,9%, déjà très au-dessus de l’objectif officiel des 4%.
En 2023, l’inflation s’était établie à 7,4% sur un an.
La hausse élevé des prix grignote le pouvoir d’achat des Russes. Fin 2024, l’explosion des prix du beurre (+36% sur un an selon Rosstat) a fait les gros titres de la presse russe, rappelant la panique provoquée en 2023 par la hausse des prix des oeufs.
L’inflation -- et les moyens pour la contrer -- alimente aussi les débats au sein de la classe politique et économique.
En décembre, le président russe Vladimir Poutine avait décrit la hausse des prix comme «un signal préoccupant», un rare aveu de la part du maître du Kremlin qui vante la résistance de l’économie nationale face aux lourdes sanctions occidentales.
Depuis le début de l’assaut en Ukraine il y a trois ans, la patronne de la Banque centrale de Russie (BCR) Elvira Nabioullina dit elle n’avoir qu’un objectif: contenir la hausse des prix pour protéger la majorité des Russes, soucieux de leur pouvoir d’achat, quitte à sacrifier de la croissance.
Le taux directeur de la BCR est depuis fin octobre à 21%, un record depuis 2003.
Grogne des patrons
Mais cette décision de lutter contre l’inflation avec une politique de taux élevés ne plaît plus du tout au patronat russe, qui l’a fait savoir publiquement, un fait rare en Russie.
Plusieurs grands entrepreneurs, dont la parole compte au Kremlin, comme celle de German Gref, le patron de la grande banque nationale Sberbank, ont publiquement dénoncé la politique monétaire de la BCR.
«L’économie ne peut pas survivre comme ça longtemps», avait cinglé début décembre M. Gref, tandis que le patron du conglomérat militaro-industriel Rostec, Sergueï Tchemezov, proche de Vladimir Poutine, a qualifié de «folie» le niveau des taux d’intérêts.
A leurs yeux, le coût des emprunts -- avec des taux qui oscillent entre 25 et 30% - est actuellement beaucoup trop élevé, et n’incite donc pas aux investissements. Un problème qui va, d’après eux, fortement ralentir l’économie nationale.
Leur grogne avait poussé la Banque centrale à maintenir en décembre son taux directeur à 21%, malgré une inflation toujours en hausse.
En Russie, l’inflation est notamment alimentée par l’explosion des dépenses militaires pour l’assaut en Ukraine, les effets des sanctions et des salaires en hausse, conséquence directe des pénuries de main-d’oeuvre sur le marché de l’emploi, les entreprises étant obligées de proposer des rémunérations attractives pour recruter.
Ces pénuries sont le résultat du départ sur le front ukrainien ou à l’étranger de centaines de milliers d’hommes depuis février 2022.
La pression inflationniste et les sanctions pèsent également sur le rouble. Et Washington et Londres ont annoncé la semaine dernière des restrictions supplémentaires visant massivement le secteur pétrolier russe, source de revenus vitaux pour Moscou.
Face à ces vents contraires, la Banque centrale de Russie anticipe pour 2025 une décélération prononcée de la croissance du PIB, prévue entre 0,5 et 1,5%, contre plus de 3,5% attendus pour 2024.
Dans ces conditions, «difficile de croire» à un reflux important de la hausse des prix cette année, d’après les analystes du marché russe de la banque autrichienne Raiffeisen: «Une baisse de l’inflation sera entravée par un ensemble de conséquences directes et indirectes des sanctions».