Le Crépuscule des héritiers

Présélection prix Turgot

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Denys Brunel, Editions Nouveau Monde.

Denys Brunel, ingénieur (Centrale Paris), Docteur en sciences, maître de conférences à Paris – Dauphine, ex-dirigeant de grands groupes (Perrier, Cofinoga, Nouvelles Galeries, etc.) et préside l’association SEST (santé au travail).

L'avis du Club de présélection du prix Turgot
Jean-Louis Chambon

Cet essai est d’abord le témoignage d’une vie de (haut) dirigeant de (grandes) entreprises. De cette carrière impressionnante, notamment au service d’entreprises familiales, et des coulisses de nos grandes entreprises, Denys Brunel tire, sans langue de bois, des enseignements qui vont bien au-delà des problématiques spécifiques à ce type d’entreprise (notamment la gouvernance et plus encore la délicate et prégnante question de la succession). Il ne s’agit de rien moins que de cet obsédant sujet de société, celui de l’égalité et de la justice sociale.

En effet comme le rappelle l’auteur, «…les entreprises françaises demeurent régies par un pouvoir transmis de manière héréditaire et exclusive, en somme, monarchique...». Aussi s’interroge-t-il «…alors que l’héritage a été au cœur de la société aristocratique, comment est-il possible qu’en république, l’idéal démocratique accepte que le mérite cède le pas, pour de très hautes fonctions, à la naissance ou au mariage?» Mais la France n’en est pas à une contradiction près, elle qui est pourtant connue pour son obsession de l’égalité. Un fantasme, selon Pierre de Rosen, qui la conduit vers l’égalitarisme que dénonçait si parfaitement Raymond Aron: «l’égalitarisme cette doctrine qui s’efforce  vainement de contraindre la nature biologique et sociale et qui ne parvient pas à l’égalité mais à la tyrannie.»

Ce sont ces contradictions que pointe l’auteur aux qu’elles s’ajoutent notre politique de redistribution centrée (par trop) sur les revenus, qui nous place en champion toutes catégories des prélèvements sociaux et du taux de dépenses publiques. Taxer exagérément les revenus handicape le travail, la réussite et ceux qui créent avec succès. L’acceptabilité à l’impôt devenue problématique, l’auteur considère que cette voie ne peut conduire qu’à l’échec. Aussi propose-t-il d’aller vers une solution de taxation forte des «gros héritages» et la détaxation simultanée de… 95% des héritages… avec la baisse des impôts qui découragent la réussite. Cela permettrait une meilleure égalité des chances, en plus efficace, mais aussi de régler les incertitudes croissantes qui pèsent sur l’entreprise familiale, car ce modèle interroge sur sa cohérence avec une vision moderne de la société.

En synthèse l’auteur considère que l’héritage dans notre pays est source de trois maux: il crée l’injustice (même si l’opinion n’en fait pas sa cible prioritaire), il fait courir le risque d’une gestion non optimale à la tête d’une grande entreprise familiale, et on écarte de facto des responsabilités toute une partie de la population.

Si l’auteur rejette un retour de l’ISF, et les propositions de Thomas Piketty trop confiscatoires (doux euphémisme), il préconise en revanche à «iso-prélèvements» de baisser l’impôt sur le revenu (difficile de faire la moue!), de dégager des ressources de la taxation des gros héritages en faveur des jeunes. Dans ce même esprit, sont suggérées des pistes d’améliorations touchant à la réserve héréditaire, l’exonération large d’une augmentation des donations caritatives et aux petits enfants ainsi qu’un pécule de 60'000 euros pour les jeunes à partir de 25 ans.

Demain sur ce chemin que préconise Denys Brunel ce serait la fin des héritiers mais l’émergence de l’héritage pour tous. Plus de justice sociale, c’est certainement un enjeu et un défi pour le monde de demain. Ces propositions très documentées, certes quelquefois disruptives, issues d’une réflexion de fond, restent frappées du sceau de l’expérience et du bon sens et évitent (c’est heureux) l’écueil du dogmatisme intellectuel et confiscatoire marxiste cher, entre autres, à Thomas Piketty.