Vers une plus grande divergence parmi les valeurs technologiques

Yves Hulmann

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Pour Richard Carlyle de Capital Group, les indicateurs de base du commerce mondial ne reflètent pas encore le boom récent des échanges numériques.

Les échanges commerciaux globaux se sont transformés en profondeur au cours des deux dernières décennies. L’émergence de géants de l’économie numérique, tels que Alphabet ou Amazon, illustre cette transformation. Pourtant, des parts importantes de l’économie numérique ne sont pas encore saisies par les indicateurs traditionnels du commerce international ou dans les chiffres du produit intérieur brut (PIB). Pour illustrer cette expansion, les échanges numériques transfrontaliers ont crû d’environ quarante fois depuis 2007, indique Capital Group dans une présentation. Richard Carlyle, spécialiste en investissement chez Capital Group, revient sur les implications de ces développements pour les investisseurs. 

En quoi se différencie le commerce numérique du commerce dit traditionnel? 

Pendant des décennies, les échanges commerciaux globaux étaient caractérisés avant tout par des échanges de biens matériels. Au siècle dernier, un multiple des volumes commerciaux échangés correspondait à celui du produit intérieur brut. Si une récession survenait, le commerce global diminuait. Et lors des phases d’expansion, le commerce global augmentait. Au début des années 2000, une large part du commerce global était attribuable au boom des échanges physiques de biens avec la Chine. Désormais, une part croissance des échanges commerciaux correspond à des échanges de données qui ont connu une très forte expansion au cours de ces dernières années.

Les échanges purement numériques au départ
finiront par se transformer en flux monétaires bien réels.
Comment peut-on mesurer le rapport entre l’expansion des échanges numériques et l’évolution des revenus? Si je rédige un tweet ou un post, cela ne génère pas encore en soi des revenus. 

Bien sûr, le post que vous écrivez sur Facebook ou une autre plateforme ne génère pas lui-même des revenus, même s’il fait le tour de la terre plusieurs fois. Dans un premier temps, un tweet ou un post n’a pas encore en soi de valeur commerciale. Il n’est pas encore mesuré dans les échanges monétaires. Dans un second temps, les gens qui lisent votre post vont certainement recevoir une publicité qui leur est adressée au coin de leur écran, et finalement cela va générer des revenus pour Facebook. Ces échanges purement numériques au départ finiront par se transformer en flux monétaires bien réels.

Comment un investisseur peut-il profiter de ces développements. A quels critères doit-il être attentif? 

Il y a de multiples façons d’investir dans les entreprises numériques. On peut bien sûr le faire en investissant dans des sociétés telles que Facebook, qui est au cœur de ces échanges de données, Amazon – qui en profite non seulement via la vente en ligne et la livraison de produits mais aussi grâce à son offre de services informatiques en nuage («cloud») – ou encore par le biais des sociétés qui fournissent la technologie nécessaire à l’économie numérique comme Intel. Celle-ci profite de la demande pour des puces informatiques («chips») toujours plus puissantes. En outre, les différentes spécialisations de ces sociétés se rejoignent parfois: ainsi, Intel propose ses propres services dans l’informatique en nuage.

Il y a aussi des perdants dans cette évolution…

Bien sûr, d’un autre côté, les investisseurs doivent être très attentifs à éviter les sociétés dont le modèle d’affaires risque d’être fondamentalement remis en question par l’essor de nouvelles technologies. Et cela dans des domaines parfois inattendus : par exemple, les compagnies d’assurance spécialisées dans l’automobile aux Etats-Unis vont certainement connaître d’importantes difficultés lorsque les gens préféreront recourir à une flotte de véhicules autonomes plutôt que de conduire eux-mêmes une voiture.

Le principal risque pour un investisseur dans les GAFA
serait que la croissance de leurs bénéfices ralentisse.
Vous êtes optimiste quant au potentiel de croissance supplémentaire des géants de la «tech». Ces titres ne sont-ils pas devenus trop chers – risque-t-on de voir éclater une nouvelle bulle technologique comme au début des années 2000?

Il y a au moins deux différences essentielles par rapport à cette période. D’une part, le niveau des profits des géants de la «tech» est actuellement beaucoup plus élevé qu’à l’époque du boom des sociétés «TMT» comme on les appelait à cette période. Autre différence : les numéros un dans chaque domaine respectif du numérique sont aujourd’hui beaucoup plus puissants qu’il y a vingt ans. Dans les moteurs de recherche, Google devance de très loin les numéros deux, trois ou quatre du secteur. Amazon est aussi très loin des autres grandes plateformes de e-commerce, sauf peut-être en Chine. Apple domine le marché de la téléphonie mobile haut de gamme. Le principal risque pour un investisseur dans les GAFA serait que la croissance de leurs bénéfices ralentisse. En comparaison de 2017, l’année 2018 est caractérisée par une divergence beaucoup plus grande des performances des valeurs technologiques. Il faut être attentif à cette divergence et il sera nécessaire d’être beaucoup plus sélectif au sein de ce secteur.

Les géants de la «tech», s’ils continuent de croître, ne risquent-ils pas de subir un revers sur le plan réglementaire aux Etats-Unis? Au début du vingtième siècle, les autorités américaines avaient imposé un démantèlement de groupes pétroliers alors jugés comme trop dominant.

C’est un risque qu’il faut prendre au sérieux. Il n’y a du reste pas besoin de remonter aussi loin: durant les années 1990, Microsoft avait dû payer une forte amende et a dû se plier aux injonctions du gouvernement lorsque son navigateur sur Internet Explorer avait été considéré comme trop dominant. Néanmoins, la puissance des géants du numérique actuels ne serait pas facile à remettre en question. Amazon a réalisé des économies d’échelle tellement importantes que cela lui procure un avantage compétitif très important. Facebook a des outils très puissants pour parvenir à mettre en valeur vos données d’une manière qui soit rentable commercialement.

Plus généralement, quelle est votre vision de l’économie mondiale actuellement? 

Je pense que l’économie mondiale se porte le mieux qu’elle ne l'a été au cours des dix dernières années. La croissance reste élevée sans être excessive et l’inflation demeure modeste. Les allègements fiscaux aux Etats-Unis donneront un coup de pouce supplémentaire aux entreprises. La reprise économique en Europe est sur la bonne voie même si la croissance est plus faible qu’ailleurs. Quant aux marchés émergents – souvent perçus comme une source d’inquiétude – il faut aussi tenir compte de développements positifs dans certains pays comme l’Inde qui croît beaucoup plus vite maintenant qu’il y a dix ans. Dans l’ensemble, c’est un environnement qui reste favorable pour les marchés des actions.