Vers la suprématie de l’euro?

Salima Barragan

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Confiant sur l’euro, Western Union BS le voit atteindre 1,25 contre le dollar en 2021. Entretien avec Beat Merkli (photo) et Guillaume Dejean.

En janvier de cette année, Western Union Business Solution anticipait une recrudescence de la volatilité des marchés de devises après huit années calmes. L’indice sur les devises qui avait touché son plancher historique en janvier, a ensuite rebondi en mars pour atteindre un pic plus revu depuis 2012. Pour janvier 2021, la société financière s’attend à une saison de publications des résultats décevante: «Les attentes sur les résultats des entreprises sont trop hautes. Or, une correction des marchés actions aura des répercussions sur les devises», estiment Beat Merkli, responsable pour la Suisse, et Guillaume Dejean, analyste de change senior. Entretien.

Depuis le début de cette année particulière, quelles furent les devises les plus volatiles?

Guillaume Dejean: La pandémie a mis en lumière les faiblesses préexistantes de certaines zones d’Amérique Latine. Le peso argentin et le real brésilien ont été particulièrement volatils car ces monnaies étaient déjà fragilisées avant la crise. De même, la livre turque ne cesse de baisser à des niveaux historiques. Au sein des marchés développés, le dollar australien lié aux matières premières et la couronne norvégienne attachée au pétrole ont également connu d’importantes fluctuations.

«Avec le plan de relance européen et les ententes entre les politiciens,
l’euro peut réellement devenir un concurrent sérieux face au dollar.»
Voyez-vous une de ces devises rebondir depuis son point de support?

GD: Pas mal de devises ont effacé l’ensemble de leurs pertes. Cependant, si un vaccin est disponible dans les trimestres à venir, les devises émergentes sont les candidates potentielles à un rebond depuis leurs niveaux actuels historiquement bas.

En début d’année, vous étiez déjà positif sur la paire euro / dollar. Vous attendez-vous à une poursuite de cette tendance haussière dans les mois à venir?

Beat Merkli: Oui, nous sommes confiants sur la poursuite du rebond. L’euro est encore peu valorisé et il pourrait atteindre 1,25 comme en 2018.

Le dollar pourrait-il perdre sa couronne après une décennie de domination?

BM: Oui, il pourrait perdre sa couronne au profit de l’euro. La domination du dollar émanait de l’incapacité des autres devises à rivaliser. Or, avec le plan de relance européen et les ententes entre les politiciens, l’euro peut réellement devenir un concurrent sérieux même s’il reste encore quelques points à confirmer dans les trimestres à venir, tels que la stabilité politique et la mise en place concrète du plan européen. A l’heure des élections en Allemagne, il faut aussi exclure toutes manifestations populistes liées à cette crise inédite.

Le marché des euro-obligations n’est pas bien encore intégré, les matières premières et environ la moitié du commerce mondial se règlent toujours avec le billet vert. Le chemin pour ravir la couronne au dollar sera long…

GD: Oui, il ne s’agit pas d’une bataille de quelques mois mais d’une rotation sur le long terme. La première étape implique un regain de confiance sur la capacité des dirigeants européens à s’entendre entre eux et à poursuivre leurs efforts en commun. Auquel cas, l’euro sera capable de rester un substitut crédible au dollar.

«Malgré le redressement spectaculaire
de l’euro, le franc suisse a peu frémi.»
Dans le scénario américain d’une chute du taux d’intérêt réel et du réveil de l’inflation qui entrainerait la dépréciation du billet vert, pourrait-il perdre son statut de valeur refuge?

GD: Avec la dégradation des fondamentaux du dollar qui était une valeur refuge, les investisseurs pourraient diversifier les risques des leurs portefeuilles au profit de l’euro. L’inflation reste un risque majeur à surveiller, par ailleurs suivi de très près par la Réserve Fédérale.

Quel est la place du Renminbi dans ce triangle de devises?

GD: Le Renminbi est peu utilisé car le marché chinois est encore très fermé sur l’extérieur mais Pékin planifie d’ouvrir ses marchés aux investisseurs internationaux. Il pourrait donc devenir le troisième acteur montant bien qu’il ait encore beaucoup de chemin à parcourir en termes de volumes d’échange.

Le franc suisse maintiendra-t-il son rôle d’actif refuge?

BM: Malgré le redressement spectaculaire de l’euro, le franc suisse a peu frémi. Il reste l’actif préféré des investisseurs européens pour contrebalancer les risques de portefeuille.  Cette tendance devrait perdurer, garantie par les interventions de la Banque nationale suisse.

Que conseilleriez-vous à un client avec un portefeuille en base franc suisse?

BM: Lorsque la volatilité était basse, l’on conseillait des stratégies de couverture de devises de 12 à 24 mois. Mais face à son regain, il est important d’avoir des stratégies flexibles à plus court terme avec des contrats forwards. Sans stratégie, on est complètement dépendant de la volatilité guidée par des facteurs non tangibles et non palpables, comme la découverte d’un vaccin. Il vaut donc mieux privilégier la diversification des devises et les maturités courtes pour se ressaisir et profiter des retournements de marché.

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