Une base réglementaire plus claire

Yves Hulmann

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Serge Pavoncello, président de l’ASG, salue l’accord conclu avec le Royaume-Uni qui offre aux gérants suisses un accès à ce marché. Les négociations avec l’UE apparaissent plus difficiles.

Le congrès annuel de l’Association Suisse des Gestionnaires de fortune (ASG) est l’occasion de faire le point sur les différents thèmes d’actualité en lien avec la branche. Entretien avec Serge Pavoncello, CEO de Wedge Associates et président du conseil de l’Association Suisse des Gestionnaires de fortune (ASG) depuis 2017.

Le Congrès Annuel de l’ASG de 2024 s’est tenu successivement à Zurich et à Genève cette semaine. Quels ont été les points forts et thèmes de l’édition de cette année?

Nous essayons effectivement chaque année à coller au plus près à l’actualité ou aux thèmes qui préoccupent les membres de notre branche. Comparé au congrès annuel de 2023 qui était largement consacré à la thématique de l’intelligence artificielle (IA) et de son impact sur l’activité de la gestion de fortune, les aspects liés à l’évolution de l’environnement macroéconomique et géopolitique sont davantage revenus au centre des préoccupations. Plusieurs présentations effectuées aussi bien à Zurich qu’à Genève ont abordé des thèmes en lien avec l’évolution géopolitique sous ses différentes formes ainsi que la dynamique risque dans un environnement changeant et évolutif.

«Les bases de données et les sites d’information que l’on utilise intègrent toujours davantage les possibilités issues de l’IA mais cela ne remplace pas le travail de conseil et d’accompagnement individualisés de la clientèle.»

Si l’on revient aux aspects en rapport avec la numérisation et l’IA, les nouvelles possibilités offertes par ces outils sont-elles une chance pour la branche – par exemple, pour simplifier certaines tâches administratives – ou pourraient-elles devenir à terme concurrentielles en se substituant au travail effectué par les gérants?

Comme souvent lorsque de tels développements apparaissent, il est utile de prendre un peu de recul. Très souvent, l’humanité a tendance à désigner chaque innovation avec des appellations spectaculaires et à présenter ces nouveautés comme si elles allaient tout changer de fond en comble – alors qu’il s’agit plutôt d’évolution. Dans notre domaine d’activité, l’arrivée des algorythmes et leur utilisation toujours plus importante au sein de différentes activités en lien avec la gestion de fortune il y a plus de dix ans a été présentée comme quelque chose qui allait changer fondamentalement la nature de notre métier. Cela n’a pas été le cas. Aujourd’hui, on annonce à nouveau une transformation totale en raison de l’IA. Certes, les bases de données et les sites d’information que l’on utilise intègrent toujours plus les possibilités issues de l’IA mais cela ne remplace pas le travail de conseil et d’accompagnement individualisés de la clientèle. En matière de décisions d’investissement, les outils issus de l’IA permettent d’aller chercher les informations et de les synthétiser de manière beaucoup plus efficace qu’auparavant mais les gérants doivent toujours effectuer des choix d’investissement.

Si l’on fait une comparaison avec la médecine, certains professionnels des soins se plaignent parfois du fait que les patients veulent eux-mêmes dire comment ils souhaitent se soigner après s’être renseigné sur Internet ou à l’aide des outils mis à disposition par l’IA. Assiste-t-on aussi à un phénomène de même type dans le domaine de la gestion de fortune et les clients veulent-ils toujours plus prendre leurs décisions par eux-mêmes?

Cela dépend vraiment du type de clients et cela varie aussi en fonction des générations. Maintenant, je pense qu’une partie de notre travail consiste aussi à confronter les différentes opinions qui existent en matière de placements. Si vous posez la même question à trois analystes, vous aurez trois opinions différentes.

S’agissant maintenant de la volonté de la clientèle d’influer par elle-même sur les choix de décision, les clientes et les clients de la nouvelle génération ne cherchent pas nécessairement à intervenir davantage dans les processus de décision. C’est même parfois le contraire – du moins d’après mon expérience.

Les questions liées à la réglementation et à ses changements occupent une bonne part du travail effectué au sein de votre association. Comment analysez-vous les enjeux actuels sur ce plan – la situation est-elle devenue plus claire sur le plan réglementaire qu’auparavant?

L’entrée en vigueur de réglementations telles que la loi sur les services financiers (LEFin) et la loi sur les établissements financiers (LEFin) a certes entraîné d’importants changements dans notre branche et a engendré des coûts importants. Néanmoins, je dirais que nous disposons maintenant d’un cadre général plus clair. 

Sur cette base, il a été possible d’élaborer de nouveaux projets d’accords avec d’autres autorités, notamment avec le Royaume-Uni, offrant aux gestionnaires suisses un accès au marché britannique. Pour l’UE, les discussions sont malheureusement plus difficiles car les négociations s’inscrivent dans un cadre plus global et politique.

Le débat sur la consolidation au sein du secteur revient à intervalles réguliers. Qu’en pensez-vous?

Les gens qui parlent le plus de consolidation sont souvent des acteurs qui y trouveraient un intérêt. A savoir, les consultants, les cabinets spécialisés dans les opérations de fusion-acquisition ou différentes plateformes qui proposent des services aux gestionnnaires de fortune. Or, dans la réalité, il ne se passe pas beaucoup plus de choses qu’auparavant. Certains gérants, souvent pour des questions d’âge, vendent leur société à un autre acteur. Cela se passait déjà auparavant.

Quant à l’argument des coûts liés à la réglementation, souvent évoqué pour annoncer une consolidation à venir dans le secteur, il entre certes en ligne de compte mais il n’est que rarement décisif. Aucun gérant de fortune indépendant ne va vendre sa société pour économiser quelques milliers de francs par an.

Dans l’ensemble, beaucoup de gens ont sous-estimé l’envie d’indépendance des gestionnaires de fortune indépendants. C’est aspect est également crucial pour les clients qui font appel à eux, car ils recherchent un service différent de celui offert par les établissements bancaires.

L’ASG déploie beaucoup d’efforts dans le domaine de la formation. Quelles sont vos priorités sur ce plan?

L’idée est de proposer une offre de formation la plus accessible possible dans divers de domaine. Cela concerne les aspects liés à la réglementation mais pas seulement. Qu’il s’agisse de fiscalité, de gestion des risques, de gestion de fortune, nos membres ont toujours besoin de se perfectionner. Nous leur proposons aussi des formations que nous organisons avec notre réseau des hautes écoles, nos experts et partenaires.

Nous nous basons sur une formation continue destinée à des indépendants – dont la qualification est reconnue – mais qui doivent pouvoir se former de façon flexible et en fonction de leurs besoins individuels et ciblés. Les gestionnaires de fortune doivent pouvoir disposer de compétences dans toutes sortes de domaines. Il s’agit de gens expérimentés qui ne sont pas à la recherche de certifications en premier lieu - leur juge est leur client. Les gestionnaires de fortune ont pour but d’améliorer leurs connaissances et compétences et ne sont pas contraints à une certification standardisée. Une différence par rapport à l’approche en matière de formation proposée par les banques, qui est principalement orientée vers un modèle de certification des personnes, des employés. 

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