L’évolution technologique pose la question de la place de l’humain dans la gestion de fortune

Yves Hulmann

3 minutes de lecture

Patrick Dorner, directeur de l’ASG, revient sur les principales thématiques qui ont été abordées dans le cadre du Congrès Annuel ASG 2023.

Alternant d’une année à l’autre entre Genève et Zurich, le Congrès Annuel ASG est le rendez-vous phare de la gestion de fortune en Suisse. Il s’est tenu vendredi uniquement en présentiel à Zurich. L’occasion de faire le point avec son directeur Patrick Dorner à propos de l’impact de l’évolution technologique sur le métier de la gestion de fortune, sur une possible consolidation entre acteurs dans la branche ainsi que sur l’avancée du processus d’autorisation auprès de la Finma.

Quels ont été les points forts du Congrès Annuel ASG 2023 et pourquoi avez-vous choisi de mettre l’accent cette année sur des thèmes comme la performance plutôt que la réglementation par exemple?

Depuis trois ans, nous consacrons une grande partie de nos efforts à traiter et résoudre les questions liées à la mise en œuvre de la réglementation. Le but du Congrès est précisément de mettre en avant d’autres thèmes. L’accent a été placé cette année sur le thème de la performance, avec une présentation effectuée par le professeur Erich Walter Farkas de l’Université de Zurich et de l’EPFZ qui était consacrée aux opportunités et limites de l’intelligence artificielle pour la gestion des portefeuilles.

A court terme, les membres de l’ASG ne se soucient-ils pas de questions plus pratiques comme l’évolution de certaines réglementations ou les processus d’autorisation encore en cours auprès de la Finma pour nombre de gérants de fortune?

Le reste de l’année, l’ASG consacre une grande partie de ses activités à des questions en lien avec la réglementation – nous organisons 60 webinaires par année répartis en trois langues auxquels ont pris part en tout quelque 13'000 participants. Nous traitons aussi d’autres aspects tels que la loi sur la protection des données ainsi que de toutes les questions d’actualité comme, par exemple, celles en lien avec l’application des sanctions. Depuis un an et demi, c’est un sujet qui a pris une nouvelle dimension suite aux sanctions appliquées envers la Russie. Dans ce domaine, la place financière suisse a été très performante et les critiques de l'étranger sont infondées.

«Les gestionnaires vont surtout se référer à l’IA pour disposer de plus d’informations, de plus d’outils d’aide à la décision.»

Dans l’ensemble, avec le cadre général qui a été mis en place, nous disposons désormais de plus de visibilité en matière de réglementation et c’est aussi pourquoi nous pouvons nous pencher sur d’autres aspects et nous consacrer au cœur de métier de notre profession, celui de gérer les avoirs de nos clients. Le Congrès annuel de l’ASG, est l’occasion pour nos membres de prendre du recul, de réfléchir comment leur activité va évoluer au cours des prochaines années, y compris sous l’effet de l’évolution technologique et de l’arrivée de l’IA qui affectera notre métier tout comme de nombreuses autres branches. L’évolution technologique pose aussi la question de savoir quelle est la place de l’humain dans la gestion de fortune.

Quelle sera la place de l’humain justement?

Le remplacement de l’humain par la machine pour effectuer diverses tâches sera à mon avis moins prononcé chez les gestionnaires de fortune que chez d’autres acteurs de la place financière. Un client choisit de s'adresser à un gestionnaire de fortune précisément parce qu’il recherche une relation personnelle basée sur la confiance et la durée. Une telle relation peut difficilement être remplacée par des robots.

L’IA est toujours plus utilisée dans divers domaines. Si une telle technologie prend en charge des tâches administratives répétitives et libère du temps pour faire d’autres choses, tout le monde le saluera. Qu’en est-il s’il s’agit d’utiliser l’IA pour prendre véritablement des décisions d’investissement de façon en partie autonome?

Dans notre domaine, je pense que les gestionnaires vont surtout s’y référer pour disposer de plus d’informations, de plus d’outils d’aide à la décision. C’est donc une avancée positive car le gestionnaire disposera d’outils de sélection et d’analyse performants. Il s’agit aussi d’outils qui permettront aux plus petits de rivaliser avec la puissance de calcul des grands acteurs. De tels outils apporteront une véritable plus-value pour les gestionnaires, j’en suis convaincu.

Un autre thème incontournable de ces dernières années a été la prise en compte des critères ESG dans la gestion des portefeuilles des clients. Où en est-on actuellement chez les petites sociétés de gestion?

La question de la durabilité se pose différemment chez les gestionnaires de fortune que dans des banques. Un gestionnaire de fortune n’est pas en premier lieu un producteur de produits financier. Son travail consiste à comprendre les besoins de son client et à mettre en œuvre la stratégie que celui-ci désire. Par rapport aux questions ESG, il s'agit donc pour le gestionnaire de savoir quels sont les désirs et priorités du client. Dans ce contexte le gestionnaire peut dans une certaine mesure être un guide. Il n’y a pas de solution toute faite qui convienne à tout le monde dans le métier de la gestion de fortune et le client compte précisément sur l'expertise et l’indépendance de son gestionnaire. Du côté de l’ASG, nous suivons de très près toutes les évolutions dans ce domaine afin de donner le meilleur support à nos membres.

«Les optimistes estimaient que le processus d’autorisation serait terminé début 2024 mais il semble plus réaliste de parler de fin 2024.»
En août dernier, l’ASG relevait que parmi 1534 sociétés de gestion recensées en début d’année, 888 avaient obtenu leur autorisation (+LIEN : https://www.allnews.ch/content/r%C3%A9glementation/le-point-de-lasg-sur-le-processus-dautorisation) de la part de la Finma. Quand ce processus sera-t-il achevé?

La plupart des observateurs de la place financière pensaient que le processus serait plus rapide. Les optimistes estimaient que le processus serait terminé début 2024 mais il semble plus réaliste de parler de fin 2024. Cette durée n'est pas un problème en soi puisque les acteurs en cours d'autorisation peuvent continuer à exercer leur activité. Même si les choses prennent un peu plus de temps, beaucoup d’acteurs de la branche estiment qu’ils bénéficieront ensuite d’un véritable label de qualité grâce à l’autorisation.

Un autre sujet récurrent est celui de la consolidation des acteurs au sein de la branche. Qu’en pensez-vous?

Les questions de consolidation ont surtout concerné les grands acteurs tels que les banques ou les gros gestionnaires d'actifs. Ceux-ci mènent des réflexions d'ordre stratégique et sont motivés par des arguments économiques tels que synergies positionnement, développement, etc.

Chez les gestionnaires de fortune situation est différente. Il s’agit souvent de structures créées par des professionnels disposant d’une longue expérience dans la branche et recherchant une certaine autonomie et indépendance. Ils ont acquis cette indépendance à un certain prix et ne sont pas prêts à la remettre en question dans le cadre d'une consolidation, même si celle-ci pourrait être économiquement avantageuse pour eux. On est clairement plus dans une logique de profession libérale.

C'est ainsi que la majorité des sociétés de gestion sont des micro-entreprises d'environ 3 ou 4 personnes. Ces petites équipes n’ont pas envie de fusionner, encore moins de se faire absorber ou même de rejoindre des plateformes dans lesquelles elles perdraient leur ADN.

A lire aussi...