Quand l’ESG surperforme vraiment

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

«Il existe un net surplus de performance de l’ESG sur les stratégies dont le sous-jacent est l’indice de Shiller», observe Carmine de Franco d’Ossiam.

Le CAPE ratio, ou ratio de Shiller du nom de son créateur, le prix Nobel d’économie Robert Shiller, est utilisé en analyse boursière pour déterminer les secteurs sous-valorisés par rapport à leur moyenne de long terme. Il a été conçu pour offrir une exposition aux grandes capitalisations boursières possédant un biais «value» relatif. A la croisée de l’innovation financière et de la finance durable, la société de gestion Ossiam, affiliée du groupe Natixis Investment Managers, créait en 2015 deux stratégies de rotation sectorielle sur une version normalisée sur 20 ans du Shiller Barclays CAPE® Sector Value, l’une sur les actions US et une seconde sur les actions européennes. L’ETF US est décliné en trois classes d’actions (USD, EUR et EUR-hedgée). Début 2018, Ossiam décidait d’associer la dynamique de Shiller aux critères ESG sur les actions américaines. Entretien avec Carmine de Franco, directeur de la recherche fondamentale chez Ossiam.

Pourquoi utiliser le ratio de Shiller en sous-jacent d’un ETF?

Pour identifier de manière systématique les secteurs sous-valorisés par rapport à leur moyenne de long terme. Le CAPE est ajusté aux cycles économiques. Il se calcule d’après les bénéfices moyens ajustés de l’inflation sur dix ans, pour intégrer la tendance qu’ont les marchés à retourner vers leur moyenne, et pour limiter l’impact des excès à court terme.

Pourquoi introduire une version ESG de cette stratégie?

Cette version correspond à une demande des investisseurs institutionnels, notamment des compagnies d’assurance, des fonds de pension et des gestionnaires de patrimoine. Cette version ESG est adaptée à notre stratégie US.

Une fois les règles mises en place, il n’y a aucune
intervention humaine lors du rebalancement mensuel.
Comment procédez-vous pour construire un portefeuille répondant à des normes ESG sur la base du ratio de Shiller?

Nous avons dû concevoir une approche ESG adaptée, en éliminant, des secteurs sélectionnés par l’indicateur CAPE, certaines activités (production et distribution d’armements controversés, exploitation du charbon et tabac) et toute entreprise dont l’activité est incompatible avec le Global Compact ou exclue par la Norges Bank. En outre, nous filtrons les entreprises pour optimiser l’empreinte carbone du portefeuille et la réduire de 40%. Pour ce faire, nous examinons les émissions totales des entreprises, leur intensité (émissions vis-à-vis du chiffre d’affaires), et leurs émissions potentielles (sous forme de réserves de combustibles fossiles). Si, par exemple (et ce n’est pas le cas à l’heure actuelle), le secteur de l’énergie était sélectionné par le CAPE, nous privilégierions les sociétés qui ont moins de réserves ou des réserves moins carbonées comme le gaz naturel et transitionnent vers les renouvelables. Notez qu’il n’est pas facile d’appliquer des filtres ESG sur le marché des actions US car cela amène à éliminer certains grands titres très performants mais controversés comme Amazon, Google ou Facebook.  

Cette approche est-elle entièrement systématique?

Oui, c’est ce qu’on appelle un ETF actif. Tant au niveau du calcul de l’indice de Shiller que des filtres ESG, une fois les règles mises en place, il n’y a aucune intervention humaine lors du rebalancement mensuel.  

Combien de positions sont-elles éliminées par ces filtres?

L’indice standard de Shiller crée un ensemble qui représente entre 150 et 200 valeurs réparties sur 4 secteurs. Les filtres ESG divisent cet ensemble environ par 2, soit autour de 70 positions. Mais le nombre de positions dépend bien évidemment des secteurs présélectionnés par le CAPE.

Observez-vous des différences de performance entre l’ETF standard et l’ETF ESG?

Des différences importantes. En 2020, la performance du S&P 500 s’est montée à 17,75%, celle de l’ETF Shiller à 19,27% et celle de l’ETF Shiller ESG à 25,85%. Soit une surperformance de près de 7% due à l’ajustement ESG entre les deux ETF ! Nous avons constaté ce surplus de performance sur toutes les années difficiles. Quand les marchés sont en hausse, la différence s’estompe mais dès que la situation se tend, l’ESG fait ses preuves.

Il est difficile d’appliquer des filtres ESG aux grandes actions
européennes dans une approche concentrée sectoriellement.
Quelle est l’allocation sectorielle actuelle?

L’allocation sectorielle du mois de Janvier comprend la santé, la tech, les services à la communication et la consommation de base. Donc deux secteurs défensifs et deux secteurs cycliques. Notez que dans le secteur de la santé, nous avons éliminé toutes les entreprises impliquées dans le scandale des opioïdes.

La rotation mensuelle des portefeuilles n’est-elle pas couteuse?

Non, car il n’y a pas de gros changement d’un mois à l’autre sauf si l’indice Shiller change l’un des secteurs. Notez que le ratio étant de long terme, il ne s’est jamais produit que nous ayons dû changer les 4 secteurs d’un coup. Même 2020 qui a été particulièrement volatil ne nous a pas contraint à plus d’une rotation de secteur à la fois. En fait, la métrique est peu volatile et le portefeuille est investi dans la durée.

Ossiam gère une stratégie Shiller sur l’Europe. Au vu de la réussite sur les actions US, songez-vous à y appliquer une approche ESG?

Un prototype est en cours mais il est difficile d’appliquer des filtres ESG aux grandes actions européennes dans une approche concentrée sectoriellement, car l’allocation peut être dominée souvent par les majors de l’énergie ou des utilities et il reste à trouver le bon compromis entre ESG véritable et performance acceptable. Nous évaluons la possibilité d’appliquer un ratio «brown to green» et donc de favoriser les entreprises qui vont vers la transition énergétique, avec quelques entreprises très avant-garde comme ENEL en Italie, Iberdrola en Espagne, Ørsted au Danemark ou EDF en France. Par contre une entreprise comme REW en Allemagne serait mal positionnée, en raison de ses centrales à charbon, même si ses choix sont conditionnés par son gouvernement et non entièrement de sa responsabilité.

Quid d’une stratégie asiatique?

Difficile, voire impossible. Car il n’existe pas assez de données de earnings et elles ne sont pas comparables d’un pays à l’autre. Les secteurs eux-mêmes ne sont pas analogues: il n’y a guère de points communs entre la tech chinoise et la tech brésilienne ! On pourrait envisager un ratio de Shiller sur le marché chinois mais, pour l’instant, nous manquons de données historiques.