Prudence de mise après le rallye de début d’année

Nicolette de Joncaire

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Baisse des taux, forte productivité générée par l’AI: les scénarios adoptés par le marché laissent Thomas Friedberger de Tikehau Capital un peu sceptique.

La Réserve fédérale américaine a, pour l’instant, laissé inchangé ses taux directeurs. Elle a maintenu l’objectif des taux des «fed funds» à 5,25%-5,50%. La Banque centrale européenne a choisi de baisser ses taux. Deux contextes, deux décisions divergentes: quel impact sur les marchés? L’analyse de Thomas Friedberger, directeur général et co-directeur des investissements chez Tikehau Capital.

La Fed n’a toujours pas changé ses taux directeurs. Qu’en pensez-vous?

La Fed se comporte en ligne avec ce que nous affirmons depuis plusieurs mois, Elle baissera vraisemblablement ses taux dans les mois qui viennent mais pas aux niveaux où le marché l’anticipait il y a quelques semaines. Il y d’excellentes raisons à cela: les Etats-Unis subissent des pressions inflationnistes structurelles difficiles à dominer, dues à la démondialisation, à la relocalisation de la production industrielle vers les pays développés et à la mutation du mix énergétique due au moindre accès au gaz russe. Les dépenses de capex sont et vont rester importantes pour financer cette transition et la mise en place d’une nouvelle infrastructure est génératrice de hausse des prix. En Chine une devise plus forte que dans les décennies passées contribue à renforcer les pressions inflationnistes. La Fed ne peut changer son objectif d’inflation de 2% sans se déjuger. Dans ce contexte ce ne sont pas forcément les taux courts qui sont trop élevés mais les taux longs qui semblent trop bas.

La Banque centrale européenne a, pour sa part, entamé la baisse. Pourquoi?

La Banque centrale européenne a choisi de baisser ses taux avant la Fed car la pression inflationniste est moindre en Europe même si l’interruption de l’accès au gaz russe force aussi l’Europe à une couteuse transition du mix énergétique. La BCE essaie aussi de relancer la croissance – problème qui ne se pose pas encore aux USA -, et baissera certainement encore son taux directeur de quelques points de base d’ici la fin de l’année. Là aussi ce sont probablement les taux longs qui sont trop bas.

«L’assèchement de la liquidité ne concerne pas encore les marchés cotés.»

Quel danger présentent des taux longs trop bas?

La crise de liquidité affecte surtout l’immobilier et les actifs plus risqués comme le venture capital. Par contre, l’assèchement de la liquidité ne concerne pas encore les marchés cotés. La trajectoire du déficit américain est inquiétante et si les taux remontaient les valorisations actuelles des marchés actions seraient jugées trop élevées. Tout va bien tant que les résultats des entreprises restent bons mais si leur croissance ne se montre pas à la hauteur, nous devrions assister à une correction de marché qui affecterait surtout les entreprises de croissance. Ce n’a pas été le cas pour l’instant car le marché croit fermement que l’intelligence artificielle va changer le paradigme et donc sauver les valorisations.

A ce propos, que pensez-vous des anticipations de hausses de productivité générées par l’IA?

L’IA engendrera sans aucun doute des hausses de productivité mais ce n’est pas pour tout de suite et sera précédé par une phase de dépenses d’investissement massives. Entre Google, Meta, Apple, Microsoft et NIVIDIA, nous parlons ici d’un montant d’investissement de l’ordre de 200 milliards de dollars pour cette année. L’allocation de capital n’étant pas toujours optimisée, nous risquons d’assister à une certaine destruction de valeur avant d’observer des gains de productivité. En bref, il est encore bien difficile d’identifier les gagnants.

Quels sont les signaux à observer?

Le principal ratio est le «return on capital employed» (ROCE). Il reflète la qualité de l’allocation de capital et des cash flows. Nous y prêtons la plus grande attention.

Qu’attendre après le rallye de début d’année?

Il faut être prudent. Les valorisations sont très élevées et le marché croit à deux scenarios qui me laissent parfois sceptique : les taux vont baisser et l’IA sauvera le monde.

Quel peut être l’Impact des élections européennes sur les marchés financiers (y compris la dissolution de la chambre des députés en France)?

Tout dépendra de la trajectoire budgétaire de la France après les élections. La politique va-t-elle modifier la stabilité des facteurs qui rendent la France attractive? L’attrait de l’Europe (celui de la France en particulier) comme terre d’investissement auprès des grands allocataires mondiaux va-t-il être compromis par les nouveaux équilibres politiques? Impossible de se prononcer encore.

La transition énergétique continue-t-elle à driver les marchés?

Oui, il a beaucoup d’opportunités dans les entreprises qui apportent des solutions au sein des systèmes existants en termes d’efficience énergétique des bâtiments, du transport, de l’industrie et de l’agriculture. Ce sont majoritairement des sociétés européennes. Elles sont sur des trajectoires de croissances importantes. Ce sont des sociétés de low tech (nous ne faisons pas de pari technologique) et elles ont un vrai impact positif sur la transition.

L’ESG semble avoir perdu son attractivité, qu’en est-il vraiment?

Je n’aime pas trop les modes. L’ESG reste au cœur de toutes nos décisions d’investissement, tout aussi documenté que la performance financière. Nous avons la conviction que l’extra-financier renforce la performance financière.

Sur quels actifs portent vos préférences en termes d’allocation?

Nous percevons de très belles opportunités sur le private equity autour de la transition énergétique, de la cybersécurité et dans les actions cotées autour du thème de la souveraineté européenne. Il est également intéressant d’apporter de la liquidité dans des segments du marché du crédit où elle fait défaut: le financement immobilier ou le financement d’acquisitions par exemple. Sur l’immobilier, on voit de nouveau des opportunités sur des actifs commerciaux très décotés un peu partout dans le monde. 

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