La sélection de valeurs gagne du terrain

Nicolette de Joncaire

4 minutes de lecture

«La crise a provoqué une dispersion au sein des marchés entre les sociétés en survie et les meilleures» explique Thomas Friedberger de Tikehau Capital.

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Tikehau Capital a été fondée en 2004 par Antoine Flamarion et Mathieu Chabran et est cotée depuis 2017 sur Euronext Paris. La société de gestion alternative Tikehau Investment Management agréée par l’Autorité des Marchés Financiers fonde son activité sur quatre piliers ayant tous un point commun: une vision de long terme par le biais d’une gestion de portefeuilles concentrés de conviction en investissant dans la structure de capital des sociétés. Ces 4 expertises sont les suivantes: le Private Equity, la Dette Privée, l’Immobilier, ainsi que les Capital Markets Strategies au travers de fonds UCITS à valeur liquidative quotidienne. Le groupe compte aujourd’hui plus de 530 collaborateurs répartis dans 11 pays dont 7 en Europe, 3 en Asie et 1 aux Etats-Unis. Grâce à une collecte nette de 1,1 milliard d’euros au premier semestre 2020, les encours du groupe s’élevaient fin juin à 25,7 milliards d’euros (en hausse de 9,8% sur un an) dont environ 80% dédiés au financement de l’économie réelle. Directeur général et co-directeur des investissements chez Tikehau Capital, Thomas Friedberger répond à nos questions.

En quoi Tikehau Investment Management se distingue-t-elle des autres sociétés de gestion?

De plusieurs manières. En premier lieu, nous opérons une gestion de long terme concentrée de conviction, basée sur notre propre recherche fondamentale qui intègre une approche ESG de bout en bout. Nous finançons principalement des entreprises sur le segment mid-market européen, où les valeurs d’entreprise vont de 50 millions à 1 milliard d’euros. Il faut ensuite noter que notre société est bien capitalisée avec 3,1 milliards d’euros de fonds propres. Nous sommes un des groupes d’investissement et de gestion d’actif coté au monde qui détient le ratio de fonds propres sur actifs gérés le plus élevé, ce qui est totalement assumé car nous investissons systématiquement dans les fonds que nous gérons coté gestion d’actifs. L’alignement d’intérêt sur le long terme est donc très fort avec nos clients. Alors que les secteurs bancaires et assurantiels sont soumis à des exigences en fonds propres très strictes, ce n’est pas le cas des sociétés de gestion. Cela pourrait être amené à évoluer graduellement à mesure que se poursuit la consolidation de la gestion d’actifs et que ses acteurs acquièrent une importance systémique. 

Tikehau assurera la gestion de Novo 2020, le fonds de place
de financement des entreprises françaises de taille intermédiaire.
Une réglementation plus exigeante ne risque-t-elle pas de rigidifier la gestion d’actifs?

Une réglementation adaptée n’a jamais été un obstacle au développement d’un secteur.

Les résultats du premier semestre de Tikehau Capital sont bons (y compris en termes de collecte). Pouvez-vous résumer les raisons pour lesquelles vous n’avez pas souffert des turbulences des marchés?

Sur le plan opérationnel, nous n’avons pas souffert du confinement et avons travaillé à distance dès le premier jour grâce à la réactivité de nos équipes en interne. Cette agilité nous a permis de continuer à communiquer avec nos clients et à développer nos activités de manière pérenne et en ligne avec les intérêts de nos investisseurs. Jusqu’alors, les différents lancements de stratégies en 2020 ont été menés à bien, notamment un fonds de situations spéciales ainsi que le marketing de notre fonds de Private Equity dédié à la transition énergétique. Nous nous sommes également montrés le plus présent possible auprès des différents gouvernements européens. Nous assurerons la gestion de Novo 2020, un fonds de place pour le financement des entreprises françaises de taille intermédiaire. De plus, nos fonds UCITS crédit et actions gérés avec un processus d’investissement discipliné se sont plutôt bien comportés durant la période compliquée amorcée en mars dernier.

Quels sont vos perspectives pour la deuxième partie de l’année?

La crise du COVID-19 a provoqué une dispersion au sein des marchés entre les sociétés en survie et les meilleures, c’est-à-dire celles qui détiennent des équipes de management de qualité, qui opèrent une bonne allocation du capital et justifient d’un bon positionnement de marché. Le poids de leaders au sein des indices augmente fortement. A titre d’exemple sur le marché US, les cinq plus grandes sociétés représentent plus de 20% de l’indice S&P500 et plus de 12% des profits.  Nous observons une situation similaire en Europe. Les grandes entreprises ont accès à des conditions de marché très favorables qui vont permettre de consolider leur avantage compétitif, avec notamment l’accès à de l’endettement peu cher pour racheter des concurrents. Les autres sociétés vont devoir consacrer une grande partie de leurs liquidités au remboursement de leur dette. Malgré les mesures accommodantes des banques centrales et des gouvernements, la crise reste très marquée et creusera, selon nous, les inégalités entre ces deux types de sociétés. De plus, l’augmentation des défauts (taux de défaut de l’ordre de 10% attendu aux Etats-Unis) risque d’accroitre encore ce phénomène. En raison de cette dispersion, l’investissement indiciel montre ses limites et la bonne sélection de valeurs gagne du terrain car la qualité des dossiers est primordiale. Nous prêterons attention aussi au thème de la relocalisation de la production industrielle. Si elle se matérialise, il faudra compenser des coûts du travail plus importants par une baisse du coût énergétique, qui va se trouver au cœur de la relance économique.

L’acquisition de Star America Infrastructure Partners:
une étape majeure de développement.
Tikehau vient de réaliser un important achat aux Etats-Unis. Est-il significatif d’un engagement à venir plus important dans ce pays?

Oui, les Etats-Unis représentent un axe de développement important pour Tikehau Capital car très en avance en matière de gestion alternative. Nous avons déjà des équipes en place à New-York et les avons étoffés en début d’année avec deux gérants high yield spécialisés sur le marché du crédit US. Plus récemment, nous avons finalisé l’acquisition de Star America Infrastructure Partners, une étape majeure dans le développement du groupe en Amérique du Nord. Cette société opère sur les partenariats private-public, une niche très porteuse. Compte tenu des énormes besoins en infrastructure du pays (y compris en énergies renouvelables), il est envisageable que le gouvernement y lance un New Deal version 2021. Ce sera l’un des secteurs de croissance des prochaines années. Nous avons également développé un fonds de dette privée secondaire.

Tikehau Capital a été récemment distingué par Sustainalytics. Pour quelles raisons?

En effet, nous avons obtenu en 2020 de la part de Sustainalytics le 2e rang mondial sur 246 gérants d’actifs et dépositaires, qui vient récompenser la démarche ESG présente chez Tikehau Capital. Les critères d’investissement environnementaux, sociaux et de gouvernance sont présents dans tout ce que nous faisons, de la décision d’investissement aux suivis des portefeuilles et cela dans toutes les classes d’actifs. Selon nous, il n’est pas possible de dissocier la rentabilité financière des critères extra financiers dans la mesure où, sur le long terme, les sociétés les moins solides sur les aspects ESG seront punies soit par des drawdowns violents, soit par des difficultés à être financées sur le long terme. Le meilleur moyen selon nous de juger la pérennité ESG d’un portefeuille consiste notamment à regarder sa performance financière. La crise du COVID-19 nous rappelle que la croissance des entreprises doit à présent être durable pour être profitable. De plus, nous sommes fiers d’avoir obtenu en 2019 la note A+ de la part des Nations Unis en ce qui concerne les principes en investissements responsables.

«Si la Suisse continue à croitre dans notre mix,
nous envisagerons d’y ouvrir un bureau.»
Comment procédez-vous?

Nous utilisons nos propres critères d’analyse et notre recherche en interne grâce à une équipe étoffée de plus de 15 analystes pour nos fonds UCITS. Cela nous permet de ne pas faire appel à des fournisseurs externes afin d’éviter notamment les comportements moutonniers et le greenwashing. Dans cette lignée, nous avons obtenu en 2019 le label LuxFLAG - label européen luxembourgeois qui dépend de la banque européenne d’investissement - pour l’ensemble de notre gamme de fonds UCITS mais aussi pour certains de nos fonds non-côtés. En tant qu’actionnaires dans le Private Equity ou dans le rôle de prêteur principal dans le Direct Lending, nous jouons un rôle actif pour aider et accompagner les entreprises à améliorer leurs comportements.

Tikehau est très présent à l’international mais pas en Suisse. Y avez-vous des projets?

Nous sommes présents en Suisse commercialement depuis le lancement de notre société en 2004 et certains de nos actionnaires y sont établis. Nous n’y avons effectivement pas encore d’antenne car nos bureaux à travers le monde ont notamment pour mission de sourcer des transactions locales en plus des activités de fund raising. Or les banques suisses sont très présentes dans le financement de l’économie locale. Toutefois, si la Suisse continue à croitre dans notre mix, nous envisagerons d’y ouvrir un bureau.