Les perspectives macroéconomiques étaient au coeur d’une réunion de l’Association Suisse des Amis des Grandes Ecoles (ASAGE), à Genève, jeudi soir. L’ASAGE permet aux Alumni basés en Suisse des meilleures écoles et universités internationales de partager dans une atmosphère conviviale des évènements originaux par l’excellence des intervenants, le prestige des lieux, l’originalité et la diversité des thématiques et l’interactivité entre membres. En marge de la manifestation, Angel Sanz, responsable des investissements et CIO de NS Partners, répond aux questions d’Allnews sur ses vues sur les marchés:
Les actions sont au plus haut. Comment construire son portefeuille aujourd’hui?
Le premier principe à respecter consiste à ne pas se battre contre la Fed (Don’t fight the Fed). Cet adage fait partie des plus connus du monde financier. Ce principe fonctionne bien, voire même très bien.
Sur le marché des actions, le plus grand marché au monde, les Etats-Unis, représenté par l’indice S&P 500, est cher en termes aussi bien absolus que relatifs. Avec un multiple des bénéfices 2024 de 20,5 fois, la valorisation est très élevée.
Dans ce contexte, nous avons décidé de privilégier l’indice S&P 500 Equal Weighted ou l’indice Mid-caps. La croissance des bénéfices est similaire à celle du S&P 500, mais la valorisation est 20% plus faible. Nous sommes donc investis dans les actions américaines, mais avec des titres moins chers.
«Nous préférons les obligations d’entreprises Investment Grade (IG), au bénéfice d’une notation BBB ou A».
Qu’en est-il des obligations?
Les obligations à haut rendement ont présenté une performance satisfaisante mais l’écart de rendement avec la dette souveraine est maintenant très basse si bien que nous sommes en train d’en sortir. Nous préférons les obligations d’entreprises Investment Grade (IG), au bénéfice d’une notation BBB ou A, avec une échéance entre trois et cinq ans.
Qu’attendez-vous des Bons du Trésor américain à 10 ans cette année, actuellement à 4,25%?
Il est possible que les obligations du Trésor à 10 ans permettent de gagner leur coupon et un modeste gain en capital. A long terme, avec les perspectives d’inflation et de croissance des Etats-Unis, le rendement devrait être compris entre 3,5% et 4%. Avec des obligations au bénéfice d’un rating de BBB ou A, le rendement pourrait grimper à 5%.
Quelle est la 3e classe d’actifs que vous privilégiez?
Nous aimons bien les hedge funds pour leurs vertus défensives. Les stratégies long/short apportent une grande valeur ajoutée compte tenu de la forte dispersion des titres. Nous privilégions les «multi-stratégies» défensives Ces dernières années, elles ont offert un rendement de 6% avec une volatilité de seulement 2%. Elles ont donc mieux fonctionné que le cash et les obligations IG. Compte tenu de leurs vertus défensives, leur allocation devrait représenter 5 à 10% du portefeuille.
Dans les actions, est-ce que vous craignez une forte baisse du S&P 500?
Je ne sais pas si l’indice S&P 500 va baisser, mais nous faisons le choix de détenir des titres de l’indice «Equal Weighted» avec une croissance similaire, soit de 10% par an, et une valorisation 20% plus basse.
Ne préférez-vous des marchés d’actions qui ont été négligés mais hors des Etats-Unis?
Cette possibilité existe, d’autant que nous sommes en Europe. Mais nous préférons les Etats-Unis parce que la gestion des entreprises est plus performante qu’ailleurs et que la valorisation des sociétés de l’indice S&P 500 Equal Weighted est raisonnable. Un autre marché nous paraît attractif, le marché suisse. Les deux pays dans lesquels ma confiance est la plus élevée sont les Etats-Unis et la Suisse.
Préférez-vous Roche, Nestlé et Novartis ou les autres sociétés suisses?
Les trois leaders suisses sont intéressantes par leurs caractéristiques défensives. Le marché suisse comprend d’autres valeurs également intéressantes, notamment dans l’industrie. Ce secteur profite de la faiblesse du franc suisse après la décision de la BNS de réduire ses taux directeurs.
«Nous aimons bien les hedge funds pour leurs vertus défensives.»
Après la décision de la BNS, est-ce que la faiblesse du franc sera durable?
On dit souvent que le franc suisse est fort par rapport à l’euro, mais son cours est correct si l’on considère l’écart d’inflation entre la Suisse et la zone euro. Dorénavant, je m’attends à une phase de stabilité du franc.
Je pense que la BNS a pris la décision de baisser ses taux directeurs le 21 mars et non pas plus tard parce que les réunions sont moins fréquentes que celles de la BCE.
Le moment est moins important que le fait selon lequel toutes les banques centrales vont baisser les taux d’intérêt d’environ 75 points de base. L’allocation d’actifs que nous avons choisie ne changerait pas s’il y avait non pas 3 mais 2 ou 4 baisses de taux. Le principe est le suivant: quand la Fed s’apprête à relever les taux d’intérêt, il faut être hors des actions et quand elle s’apprête à les baisser il faut être investi.
Votre scénario est-il celui du «no landing», donc de la poursuite de la croissance économique?
Oui. Nous sommes surpris par la capacité des Etats-Unis à poursuivre leur croissance à un rythme raisonnable malgré la nette hausse des taux d’intérêt. Si l’économie ralentit plus nettement, la Fed réduira ses taux plus rapidement. Je ne m’attends ni à un atterrissage brutal ni à un atterrissage en douceur. La croissance restera solide.
Est-ce que les actions vont souffrir d’un manque de liquidités du fait d’un bilan de la Fed très élevé et d’un déficit budgétaire représentant déjà 6% du PIB?
Jerome Powell a déclaré que la Fed procédait à un étude destinée à déterminer le moment de la baisse du bilan de la Fed. Il semble que la banque centrale soit prête à réduire le rythme de la baisse. Cela ne me préoccupe pas puisque cela signifie qu’elle contrôle le processus.
La question du déficit budgétaire me paraît plus compliquée. Je ne peux pas m’expliquer pourquoi les Etats-Unis présentent un taux de chômage de 4%, une croissance raisonnable et un déficit budgétaire de 6% du PIB. Si j’étais un étudiant de 19 ans et venais de suivre mon premier cours de macroéconomie, je conclurais qu’il faut diminuer à la fois les dépenses et les taux d’intérêt. Il faut vivre avec ce risque.
Est-ce que cela signifie que le futur président américain Joe Biden ou Donald Trump, devra mettre en oeuvre le même programme économique?
Je pense que peu importe le candidat qui sera élu, le déficit budgétaire sera le même. Les Démocrates continueraient à dépenser excessivement et les Républicains à ne pas augmenter les impôts. Aucun camp ne parle sérieusement d’une réduction du déficit budgétaire, ce que je ne comprends pas.
Qu’en déduire pour les actions?
Quand le président est démocrate, historiquement les actions se sont davantage appréciées que lors d’une présidence républicaine. En fait, c’est un peu un hasard car les entreprises américaines sont si bien gérées que l’influence du président sur l’économie est assez faible. Nvidia, Microsoft, Eli Lilly continueront de bien se développer peu importe le nom du président. Mais les entreprises de défense se développeront mieux avec Donald Trump et les sociétés de la transition énergétique avec Joe Biden.
Que pensez-vous de l’or?
Nous sommes investis dans l’or. Sa corrélation avec les actions est nulle, ce qui est favorable. Le métal jaune présente une corrélation négative avec les taux d’intérêt réels. Cela a bien fonctionné entre 2007 et 2022. Avec l’invasion de l’Ukraine, les règles du jeu ont changé. Les acteurs clés du marché de l’or ne sont pas les marchés financiers mais les banques centrales des pays émergents. En cas de risque de blocage des avoirs par les Etats-Unis, ces pays réduisent leur exposition en dollars au profit de l’or. Il est possible que la hausse se poursuive, mais il suffirait d’un arrêt du conflit en Ukraine pour que le métal jaune reparte à la baisse. Je refuse de faire un pari géopolitique.