Pourquoi la protection de la biodiversité constitue un enjeu économique

Salima Barragan

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69% des espèces ont disparu entre 1970 et 2018. Cette dégradation affecte la moitié du PIB mondial. Avec Jennifer Willetts de Franklin Templeton.

La biodiversité se détériore à une vitesse exponentielle. Près de 69% des espèces ont disparu durant le dernier demi-siècle, selon l’indice planète vivante du WWF. Non seulement cette dégradation irréversible appauvrit les écosystèmes terrestres et aquatiques, mais elle constitue également un enjeu économique. D’après une publication du Forum économique mondial, la moitié du PIB mondial (c’est-à-dire environ 50 milliards de dollars US), dépend directement du capital naturel et de ses services écosystémiques. Dans le cadre de la conférence Geneva Forum for Sustainable Investment (GFSI), Jennifer Willetts, Head of Sustainability Data and Research chez Franklin Templeton, apporte un éclairage sur les investissements respectueux de la biodiversité.

Pour quelles raisons, la biodiversité est-elle devenue un enjeu financier depuis la Conférence de Montréal sur la biodiversité en 2022 (COP15)?

Nous nous attendons à une surveillance réglementaire plus intense, en raison du nouveau cadre mondial pour la biodiversité (GBF) adopté lors de la COP15 ainsi que de la publication de la Taskforce for Nature-Related Financial Disclosure (TNFD) à paraître dans le courant de ce mois. En outre, nous constatons que nos clients s’intéressent de plus en plus à notre approche de la biodiversité, en particulier en Europe. Traiter cette question avec toute l’attention qu’elle requiert nous aide non seulement à gérer les risques, mais peut également nous permettre d’identifier des opportunités d’investissement majeures.

L’empreinte sur la biodiversité reste difficile à mesurer. Comment l’intégrez-vous à vos investissements?

L’évaluation de l’impact sur la biodiversité est très différente de la mesure de notre impact sur le climat. La comptabilité carbone fait encore face à ses propres défis, mais de manière simplifiée, nous pouvons utiliser une mesure pour passer des émissions de l’entreprise aux émissions financées, puis à l’alignement sur l’Accord de Paris et sur les politiques mondiale et régionale.

En revanche, la biodiversité est multidimensionnelle. Elle est spécifique à un lieu et dépend du contexte socio-écologique, ce qui fait de sa mesure de l’impact un exercice extrêmement complexe.

Nous avons récemment constaté une augmentation de l’utilisation de méthodes d’évaluation de l’empreinte écologique reposant sur des paramètres tels que l’abondance moyenne des espèces (MSA) ou la fraction potentiellement disparue (PDF). En termes simples, ces méthodes utilisent une approche d’analyse du cycle de vie: elles prennent les émissions et la consommation de ressources d’une entreprise, les convertissent en pressions environnementales, puis en perte potentielle de biodiversité.

Nous pouvons considérer ces mesures d’empreinte comme des outils qui nous orientent vers les points chauds, mais elles ne nous disent pas où se situent les impacts, sur quelles espèces ou quels services écosystémiques ni sur la rareté ou la valeur de ces derniers. Les espèces et les services écosystémiques ne sont pas fongibles.

Je conseillerais donc aux investisseurs de faire preuve de prudence et de ne pas trop se fier à ces mesures d’empreinte pour comprendre leur impact et prendre des décisions en matière d’investissement.

Concrètement, comment s’assurer que les investissements sont respectueux de la biodiversité?

Pour comprendre l’impact réel et les dépendances des investissements sur la nature, il convient d’adopter une approche multidimensionnelle.

Une abondance de données existe, dont la plupart sont en libre accès. Par exemple, l’intégrité et la dépendance des services écosystémiques et IBAT pour la localisation des espèces protégées et autres zones sensibles en matière de biodiversité, pour n’en citer que deux. C’est la manière de rassembler efficacement ces données à grande échelle qui demeure le plus grand défi. L’utilisation de données géospatiales, la superposition de données sur les espèces menacées ou les zones sensibles sur le plan de la biodiversité avec des données sur l’emplacement des actifs font l’objet d’une attention croissante et prometteuse. L’accent est mis ici sur le «L» du cadre LEAP de la TNFD, à savoir la localisation de notre interface avec la nature. Une attention sur les secteurs pour lesquels cette question est cruciale constitue un bon point de départ.

Existe-t-il des réglementations ou un cadre de travail sur la protection de la biodiversité?

L’élaboration d’un cadre reconnu pour la diffusion d’informations sur la biodiversité est toujours en cours, de sorte que la transparence et la cohérence restent un défi. Cela signifie que peu d’entreprises ont fixé des objectifs quantifiables, limités dans le temps et axés sur les résultats.

Néanmoins, nous nous attendons à ce que le renforcement de la réglementation et les orientations à venir de la TNFD améliorent la situation, mais nous devons rester conscients qu’il s’agit d’un cadre  peu susceptible de fixer des paramètres normatifs compte tenu de la complexité de la question.

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