Où il est question de l’impact des investisseurs

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

On parle beaucoup de finance d’impact mais qu’en est-il de l’impact de la finance? Conversation avec Dominique Habegger et Melchior de Muralt de PPT.

Un investisseur doit-il se contenter de choisir parmi les «bons élèves» ou peut-il avoir une influence décisive sur les entreprises qu’il sélectionne et, de par là même, sur le monde de demain? Engagé depuis toujours dans une approche profondément durable, de Pury Pictet Turrettini & Cie (PPT) a choisi la seconde voie. Sa stratégie d'investissement Buy & Care est fondée sur un engagement direct avec les entreprises pour améliorer leur profil de durabilité. C’est une gestion active à trois dimensions: choix des titres, exercice des droits de vote et engagement pour un impact. Pour valider son approche PPT vient d’ouvrir un reporting online tout à fait unique en son genre car «il ne suffit plus de dire que l’on fait de l’engagement; il faut le montrer». Entretien avec Dominique Habegger, responsable des Fonds Cadmos et Melchior de Muralt, Associé-gérant.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, quelques mots sur votre fonds d’actions suisses présélectionné aux Swiss Sustainable Funds Awards.

Le Cadmos Swiss Engagement Fund, conseillé par Alexandre Stucki d’AS Investment, montre une nette surperformance à son indice de référence sur les cinq dernières années et détient cinq étoiles sur Morningstar. Il a également été présélectionné aux Swiss Sustainable Funds Awards deux années consécutives et aux PRI Awards en 2019. Il est disponible en version de droit luxembourgeois depuis six ans et le sera désormais comme fonds de droit suisse à l’intention des investisseurs institutionnels et des fondations suisses afin de les munir de l’outil fiscal approprié. Inscrit dans notre stratégie d'investissement Buy & Care, il a assuré un dialogue continu avec 100% des entreprises en portefeuille – même les plus difficiles - et, depuis son lancement, 44 entreprises ont mis en œuvre des recommandations tangibles émanant de PPT. 

«Le best-in-class ne fonctionne bien
que lorsqu’il existe des alternatives dans un secteur.»
Pas d’exclusion ni de «best-in-class»?

Cadmos exclut le tabac et l’armement mais ces activités ne sont plus cotées en bourse en Suisse. Quant au best-in-class, il ne fonctionne bien que lorsqu’il existe des alternatives dans un secteur. Or, en Suisse, il n’y pas suffisamment de sociétés avec des capitalisations et profils similaires dans un secteur donné pour mettre en œuvre un vrai best in-class crédible. Nous préférons investir dans des entreprises qui s’engagent et que nous amenons à s’améliorer même si elles ne sont pas nécessairement «best-in class» au départ. L’important est ce qui va se passer dans cinq ou dix ans, pas ce qui s’est passé il y a trois ans ou hier. Acheter des titres d’Unilever plutôt que de Nestlé n’amène rien. Conduire les entreprises à modifier leur comportement avec un engagement actionnarial véritable est un vrai progrès. 

Y-a-t-il un sens à offrir un fonds actif aux caisses de pension suisses?

C’est vrai, les fonds de pension sont très orientés vers la gestion passive mais elle a ses limites tant financièrement que du point de vue de la durabilité. La gestion passive investit à moindre frais mais aveuglement dans des paniers de sociétés prédéfinis. Cela peut faire sens mais quand tout le monde fait la même chose, les opportunités d’arbitrage s'ouvrent aux autres types de gestion. Alexandre Stucki a démontré qu’il est possible de gagner au moins 1% supplémentaire par rapport aux titres du SMI/SPI.

Ce qui nous amène donc à votre stratégie Buy & Care. Comment la définissez-vous?

Précisons tout d’abord qu’elle s’applique à tous les fonds Cadmos et se déroule sur trois grandes lignes: une gestion active du portefeuille, une approche active de l’actionnariat et un engagement actif envers un impact mesurable. Nous ouvrons ainsi les sociétés à l’intégration de la durabilité et des Objectifs de Développement Durable des Nations-Unies.

«Il ne suffit pas de prétendre à un engagement; il faut le prouver.»
Vous venez d’ouvrir un reporting online extrêmement détaillé de votre démarche et de ses résultats. Pourquoi?

Parce qu’il ne suffit pas de prétendre à un engagement; il faut le prouver. Et parce que les gros rapports papier verbeux sont illisibles et que la navigation en ligne offre davantage de souplesse et de profondeur. Ce que nous cherchons à atteindre est un niveau de transparence inégalé.

Quel type d’information mettez-vous à disposition?

Pour chacun de nos fonds, tous les documents qui existent chez nous depuis 2006. Au niveau synthétique comme au niveau détaillé. Au niveau synthétique, nous montrons, par exemple, le pourcentage d’entreprises qui ont suivi nos recommandations – nous visions 50% et sommes parvenus à 73% - mais aussi, pour chaque entreprise investie, le détail de nos interventions. Pour chacun des sous-jacents, nous expliquons pourquoi nous avons investi, quels sont les enjeux et les thèmes choisis, quels ont été (ou sont) les sujets de dialogue. Nous exposons aussi comment nous avons voté à chaque assemblée et pour quelles raisons. En 2019, nous avons voté 730 fois dont pour 5,6%, contre les propositions de l’entreprise.

Pouvez-vous donner quelques exemples de recommandations qui ont porté fruit?

Dans le cas de Geberit, nos recommandations ont porté sur le code de conduite des employés et sur les risques de corruption. Elles ont aussi porté sur une demande d’audit de leurs chaines de fournisseurs et une amélioration des audits de santé et sécurité. Nous avons contribué à convaincre Swiss Life de signer les PRI et le Global Compact.

«BKW joue définitivement la carte de la transition énergétique
mais il y a un très grand écart entre son savoir-faire et son faire-savoir.»
Des choix de titres inattendus?

Probablement. BKW est mal notée par les agences ESG à cause de son héritage nucléaire. Mais elle investit l’essentiel dans l’hydroélectricité, l’éolien et l’efficience énergétique et lève du capital grâce aux green bonds. Elle joue définitivement la carte de la transition énergétique mais il y a un très grand écart entre son savoir-faire et son faire-savoir.

Et si vous n’arrivez à rien?

Nous sortons la société du portefeuille, principalement si le profil de risque n’est plus en adéquation avec la valorisation de l’entreprise.

Tout ceci doit demander un travail considérable.

Nathalie Kappeler ou Alexandre Stucki sont présents à tous les meetings d’engagement et nous faisons aussi appel à une société de conseil experte en durabilité BHP - Brugger and Partners, leader du domaine à Zurich. Un vrai travail mais pas démesuré … avec un peu d’expérience.

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