L'insignifiante hausse des taux

Yves Hulmann

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Pour Jeffrey Sherman, spécialiste des marchés obligataires, une hausse des taux n’est pas synonyme de pertes pour les investisseurs.

Spécialiste reconnu des marchés obligataires, l’Américain Jeffrey Sherman, directeur adjoint des investissements chez DoubleLine, a été nommé «Institutional Investor of the Year in 2016» par Risk Magazine. En Suisse, deux fonds gérés par la société, le DoubleLine Short Duration Bond Fund et le DoubleLine Shiller Enhanced CAPE, sont disponibles en format UCITS. Ils sont proposés en collaboration avec la Banque Bonhôte et Bordier & Cie. Lors d’un passage en Suisse, Jeffrey Sherman, membre du comité exécutif de DoubleLine et spécialiste des marchés obligataires, explique comment il est possible pour les investisseurs de naviguer durant une phase de hausse des taux sans subir de pertes.

DoubleLine prévoyait, dans son scénario de base, que les taux des bons du Trésor américains à 10 ans remontent à quelque 6% d’ici à trois ans environ. Qu’est-ce qui pourrait provoquer une telle remontée des taux?

Plutôt que d’essayer de prévoir quand les taux franchiront tel ou tel seuil, l’important est de garder à l’esprit les facteurs fondamentaux qui vont soutenir le mouvement de hausse des taux ces prochaines années. L’ampleur du déficit public aux Etats-Unis va se creuser compte tenu des baisses d’impôts annoncées. Un autre facteur, encore plus important, est le vieillissement démographique qui va accroître les dépenses de santé et réduire l’offre de main d’œuvre disponible aux Etats-Unis. Si le déficit augmente, il faudra émettre davantage de bons du Trésor. De même, les entreprises, qui ont beaucoup emprunté à faibles coûts à la sortie de la crise financière, devront peu à peu renouveler les obligations qui arriveront à échéance. Les coûts de l’emprunt augmenteront donc aussi pour «corporate America».

Comment un investisseur en obligations peut-il se préparer à une phase de hausse des taux? Ne peut-il que perdre de l’argent?

Il ne faut pas considérer une phase de hausse des taux nécessairement comme une catastrophe! Tout dépend du rythme de la hausse des taux. Bien sûr, si les taux des bons du Trésor à dix ans passaient de près de 2,9% à 4% dans un intervalle très court, il n’y a rien que vous puissiez faire. Vous perdrez alors de l’argent. En revanche, si ces mêmes taux augmentent au rythme de 10 points de base chaque trimestre, par exemple, il est possible de mettre en place des stratégies adaptées à cette évolution. Souvent, les investisseurs ne considèrent que l’aspect du prix des obligations – en baisse lorsque les taux remontent –, mais il faut aussi tenir compte des futurs revenus qui sont générés par les nouvelles obligations. Prenons l’exemple des taux des emprunts du gouvernement à deux ans aux Etats-Unis qui ont augmenté d’environ 100 points de base depuis septembre 2017: en réinvestissant tout le cash que vous recevez tout au long de cette période, l’argent qui est à nouveau placé vous rapportera également davantage. Le flux de revenus efface ainsi une partie les pertes subies au niveau des prix. La difficulté est que l’évolution des taux est rarement linéaire.

«Les investisseurs ne considèrent
que l’aspect du prix des obligations.»
Dans un article que vous avez publié, vous citez une étude qui a analysé la réaction des marchés obligataires au cours de 18 épisodes de hausse des taux, dans une proportion de plus de 100 points de base, observés depuis 1976. Parmi ces 18 épisodes, le rendement total pour un investisseur obligataire a été positif dans huit cas. Que faut-il attendre cette fois?

Tout dépend de savoir si le mouvement de hausse des taux sera très rapide, ou au contraire graduel. Les attentes en matière d’inflation constituent ici le facteur clé. Il faudra voir comment les marchés parviendront à digérer ces informations.

La hausse de l’inflation est un facteur bien anticipé par les marchés. Qu’en est-il des risques géopolitiques, moins prévisibles?

A contre-courant de l’opinion dominante, je pense que le risque géopolitique est plus faible maintenant qu’il y a un an par exemple. Il suffit de penser à la phase de confrontation entre les présidents américain et nord-coréen l’été dernier.

Il a suffi toutefois d’une récente déclaration de Donald Trump, celle sur les nouvelles taxes sur les importations d’acier, pour que l’on assiste à de nouveaux pics de volatilité la semaine dernière.

Oui, mais il faut replacer une telle accélération de la volatilité dans une perspective de plus long terme. En 2017, on a pu observer à la fois une faible volatilité sur les marchés, une faible volatilité des bénéfices des entreprises ainsi que des données économiques en général. Tout le monde est devenu très complaisant dans cet environnement! En 2018, la volatilité est remontée à des niveaux plus proches des moyennes de long terme. Un indice VIX situé entre 15 et 20 points est davantage la norme que l’exception d’un point de vue historique.

«Les évaluations apparaîtront moins spectaculaires pour les actions
si vous prenez en compte la baisse des taux d’imposition des entreprises.»
Un autre sujet qui fait régulièrement débat est le niveau de la dette aux Etats-Unis. Est-ce un facteur d’inquiétude pour vous?

Lorsque les deux professeurs Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff ont publié une célèbre étude à ce sujet au début de la décennie, l’idée était que si le niveau de la dette de l’Etat par rapport au PIB dépassait un niveau de 80 à 90%, il y aurait alors de sérieux problèmes. Or, on est à plus de 100% et le système continue de fonctionner. Même si nous nous inquiétons du niveau de la dette aux Etats-Unis, il faut admettre qu’il est en réalité extrêmement difficile de pouvoir définir à partir de quel niveau cela devient réellement un problème. Tout ce que l’on peut dire, c’est qu’avec une dette qui atteindrait 200% du PIB, il serait plus difficile pour le gouvernement d’assurer le service de la dette. Il n’y a toutefois pas une règle magique ou une règle académique simple qui vaut dans ce domaine.

S’agissant des marchés des actions, que pensez-vous des niveaux d’évaluation actuels?

Bien sûr, les niveaux d’évaluation actuels sont passablement élevés. Toutefois, cela dépend aussi de ce que vous placez au numérateur (prix) et au dénominateur (bénéfices). Si vous prenez en compte la baisse prévue des taux d’imposition des entreprises aux Etats-Unis, qui boostera les profits des sociétés, les multiples P/E vont automatiquement diminuer. Les évaluations apparaîtront alors moins spectaculaires pour les actions. De mon point de vue, une remontée rapide des taux des emprunts d’Etat à dix ans, entre 3,5 et 4%, est un risque plus important que les niveaux d’évaluation observés actuellement pour les actions. Et jusqu’ici, les bénéfices des entreprises continuent d’évoluer de manière favorable, ce qui soutiendra les marchés des actions.