Les risques macro demeurent

Yves Hulmann

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Pour Alexei Jourovski, il est crucial de réduire le temps de latence entre le moment où les choses se passent et où elles apparaissent dans les statistiques.

La gestion des risques est au cœur de l’approche d’investissement d’Unigestion. Une gestion des risques qui intègre à la fois des aspects quantitatifs, avec l’appui d’un outil d’analyse interne appelé Nowcaster, mais aussi qualitatifs, en tenant compte notamment des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), comme l’explique Alexei Jourovski, responsable des actions («Head of Equities») et membre du comité exécutif d'Unigestion. Il fait le point sur l’évolution des marchés depuis le début de l’année.

Quelle est votre analyse au sujet du rally boursier observé au cours des quatre premiers mois de cette année – avez-vous été surpris par sa durée?

Quand on analyse l’évolution des marchés, il faut toujours considérer un ensemble d’indicateurs – c’est un peu comme quand un médecin doit établir un diagnostic, il doit aussi toujours prendre en considération une multitude d’éléments. On peut le faire, d’une part, en observant des critères historiques, en analysant toutes sortes de données fondamentales comme l’évolution des bénéfices, les niveaux de valorisation, etc. L’inconvénient d’une analyse basée sur les données historiques est que celles-ci reflètent des données du passé, remontant aux six ou douze derniers mois, voire davantage parfois. C’est un peu comme conduire en regardant le rétroviseur plutôt que la route devant soi. L’autre possibilité est d’utiliser des outils qui intègrent des données plus récentes, qui reflètent mieux la réalité de la situation économique réelle. En intégrant tous ces éléments, le rally des marchés au cours du premier trimestre me paraît un peu surfait. L’économie européenne croît toujours faiblement. Et si les Etats-Unis font un peu mieux, on ne peut parler non plus d’une situation euphorique.

«On sort d’une période où tout a été facile et on entre dans une période plus difficile.»
Le rally des marchés depuis le début de l’année n’est-il pas à attribuer avant tout à l’arrêt, ou du moins à la pause, du processus de resserrement de la politique monétaire aux Etats-Unis?

Il vaut la peine de replacer la situation actuelle des marchés dans le contexte des cinq dernières années. Entre 2014 et 2017, on peut dire que les marchés ont tiré parti d’un environnement exceptionnel qui était caractérisé par un stimulus monétaire sans précédent - l’argent ne coûtait pratiquement rien – tandis que l’économie affichait de solides taux de croissance des deux côtés de l’Atlantique. Techniquement, cette situation se reflétait par un ratio de Sharpe optimal, proche de 1, reflétant à la fois une performance élevée dans le contexte d’une volatilité au plus bas.

Et quelle est la situation maintenant?

L’environnement est clairement devenu plus risqué. Un retour à un stimulus monétaire de même ampleur qu’entre 2014 et 2017 est peu probable. En même temps, les facteurs de risques sont plus élevés – notamment en raison d’un gouvernement américain peu prévisible, en particulier au regard de la guerre tarifaire avec la Chine. Et, plus généralement, les valorisations sont moins attrayantes qu’au milieu de la décennie. En résumé, on sort d’une période où tout a été facile et on entre dans une période plus difficile. Les risques macro demeurent et beaucoup d’éléments d’incertitude observés en 2018 perdureront aussi au cours de 2019.

Beaucoup pointent du doigt les valorisations toujours élevées dans le domaine des valeurs technologiques – est-ce un risque à surveiller en particulier?

Après une décennie de hausse quasi continue dans ce domaine, le risque de déception est logiquement plus important. A ce sujet, je pense toutefois que la classification entre ce qui relève des valeurs technologiques et ce qui ne l’est pas est devenu plus difficile que par le passé. Si l’on prend l’exemple de quelques valeurs phares de la tech, que faut-il penser d’Amazon – est-ce société technologique ou un géant du commerce de détail? Netflix est-elle une valeur technologique ou un groupe de médias? Microsoft est-il un groupe de technologie ou plutôt assimilable au secteur des «utilities», avec des activités générant des flux de revenus récurrents sur la base de licences? On pourrait citer de nombreux autres exemples similaires. Cela signifie qu’il est nécessaire d’analyser les facteurs de risque spécifiques à chaque société indépendamment de leur classification sectorielle.

«Notre approche ESG n’est pas binaire,
basée sur l’inclusion ou l’exclusion. Elle est évolutive.»
La prise en compte des facteurs ESG peut-elle aussi contribuer à réduire les risques se rapportant aux sociétés?

Les critères ESG s’inscrivent aux côtés de différents facteurs de risque tels que l’analyse sectorielle, les niveaux de valorisation, etc. La prise en compte des critères ESG, en particulier de l’aspect gouvernance, contribue à éviter des risques spécifiques liés à certaines sociétés. Lorsque la gouvernance de certaines sociétés n’est pas à la hauteur, c’est, au final, aussi la qualité des résultats qui va en souffrir. Ici, il n’y a pas besoin d’aller chercher des entreprises des pays émergents – il suffit de penser aux difficultés rencontrées en mars par un établissement comme Danske Bank par exemple. La prise en compte systématique des critères ESG permet de détecter des risques de réputation, dans un premier temps, qui peuvent ensuite se traduire par une sous-performance du cours de l’action dans un second temps.

Recourrez-vous à des services d’analyse externes pour évaluer les sociétés d’après les critères ESG?

Bien que nous souscrivions à plusieurs services d’analyse ESG externes, nous attribuons notre propre note Unigestion pour chaque société. Outre le fait d’exclure d’emblée certains secteurs – comme l’armement par exemple –, on exclut aussi certaines activités ou entreprises qui ne satisfont pas à notre grille d’analyse des critères ESG. On ne le fait pas pour bénéficier d’une forme de sentiment «feel good» vis-à-vis des positions dans notre portefeuille mais avant tout pour assurer la performance à long terme de celui-ci. Maintenant, notre approche ESG n’est pas binaire, basée sur l’inclusion ou l’exclusion. Elle est évolutive. Par exemple, le géant du commerce de détail Wal-Mart, souvent critiqué par le passé pour des problèmes de corruption ou de mauvaises conditions accordées à ses employés, s’est beaucoup amélioré. On tient compte aussi de l’évolution d’une entreprise du point de vue des critères ESG.

«On veille à obtenir beaucoup de données captées quasiment en temps réel.»
Si l’on revient à votre outil d’analyse appelé Nowcaster, quels sont les indicateurs qu’il prend en compte?

Sans entrer dans des détails trop techniques, le principe général est d’avoir le moins de temps de latence entre le moment où les choses se passent et celui où elles apparaissent dans les statistiques. On veille à obtenir beaucoup de données obtenues quasiment en temps réel qui, considérées de manière isolée ne signifient peut-être pas grand-chose, mais qui le deviennent lorsqu’on les met en relation.

De quel genre de données s’agit-il?

Par exemple, le chiffre d’affaires des émetteurs de cartes de crédit fournit des indications rapides et importantes sur les futures tendances en matière de consommation. Il en va de même des contrats d’assurances auto pour l’évolution de la demande de véhicules. S’y ajoute aussi certaines données rendues possibles grâce à l’analyse des données en masse («big data»). Par exemple, certains outils informatiques analysent de manière automatisée le sentiment qui se dégage à la lecture de la publication des rapports trimestriels des entreprises en mettant en relation le nombre de mots à connotation positive ou négative utilisés. Certes, le robot peut parfois se tromper sur le sens de certaines tournures mais lorsqu’il prend en compte des milliers d’articles ou de rapports, on peut voir si le sentiment des entreprises ou des investisseurs tend à s’améliorer ou à se détériorer. Et même lorsqu’il y a une absence de tendance claire, c’est aussi une information. Cela peut signifier une situation de forte incertitude – qu’il vaut mieux éviter en général. Ainsi, ces outils d’analyse ne permettent pas de prévenir l’avenir mais ils contribuent à réduire le temps de latence.

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