Les pharmas figurent parmi les entreprises qui profiteront le plus de l’IA

Yves Hulmann

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Pour Stefan Blum, gestionnaire chez Bellevue AM, l’intelligence artificielle contribuera à réduire les coûts énormes nécessaires pour développer des traitements.

Bellevue Asset Management propose une gamme de plusieurs fonds, organisée sous forme de modules, en lien avec la thématique des sciences de la vie. Comment les innovations technologiques, notamment celles en lien avec l’essor de l’intelligence artificielle (IA), modifient-elles les perspectives pour le secteur des techniques médicales et des sciences de la vie? Le point sur ces questions avec Stefan Blum, gestionnaire de portefeuille chez Bellevue Asset Management.

Lorsque l’on évoque les perspectives pour le secteur des technologies médicales («medtech»), ou plus généralement pour les sciences de la vie, trois aspects sont généralement évoqués en tant que facteurs déterminants: le vieillissement de la population, l’arrivée sur le marché de nouveaux traitements innovants et la pression sur les prix de la part des instutions publiques ou des caisses maladie. Comment intégrez-vous ces aspects lorsque vous sélectionnez des actions d’entreprises actives dans le domaine des sciences de la vie?

Nous devons bien sûr tenir compte de l’ensemble de ces facteurs. Une particularité dans le secteur des medtech est que, contrairement à plein d’autres branches d’activité, la question n’est pas tant de se battre afin de réussir à vendre des produits mais plutôt pour parvenir à les produire. C’est un défi important pour beaucoup de sociétés medtech et des sciences de la vie de trouver suffisamment de capacités de production. C’est pourquoi il est nécessaire d’avoir une approche qui tienne compte des intérêts de toutes les parties prenantes. Il faut bien sûr obtenir de bons résultats lors des tests cliniques, respectivement démontrer que les nouveaux traitements sont plus efficaces ou apportent un meilleur confort à l’usage que les précédents, mais il est aussi nécessaire d’entrer en négociation avec les futurs payeurs du traitement, qu’il s’agisse de clients privés ou de l’Etat si c’est ce dernier qui remboursera le coût des traitements. Bref, il faut tenir compte très tôt des besoins et des priorités de toutes les parties impliquées. On ne peut pas simplement amener un nouveau produit sur le marché, montrer qu’il est plus efficace et s’attendre à ce que les usagers ou les cliniques les adoptent aussitôt. Il faut en outre tenir compte des décisions des instances de régulation.

«Il faut mettre en balance le coût d’un appareil ou du traitement et les coûts pour la société dans son ensemble.»

Et dans quelles sens celles-ci vont-elles?

Tendanciellement, les autorités de régulation vont toujours privilégier la prudence d’abord. Au-delà des seuls aspects liés à la sécurité des nouveaux traitements ou appareils, les instances de régulation tiennent aussi compte des bénéfices d’ensemble que ceux-ci apportent pour les patients ou la société.

Par exemple, la réduction du nombre de jours passés à l’hôpital dans le cadre d’un traitement?

C’est un aspect qui est effectivement toujours plus souvent pris en compte. Toutefois, en tant qu’investisseur, il est nécessaire de bien distinguer entre ce qui est pertinent pour la société dans son ensemble, d’un côté, et ce qui l’est pour celui qui paie le traitement, de l’autre. Par exemple, si un nouveau traitement coûte deux fois plus cher que le précédent et qu’il permet de réduire significativement la durée d’hospitalisation, cela sera peut-être intéressant pour la société dans son ensemble – car le patient séjourne moins longtemps à l’hôpital et parce qu’il peut retourner plus vite au travail – mais il faudra encore que l’acheteur, la personne traitée ou sa caisse-maladie par exemple, soit d’accord de payer plus cher pour ce traitement. Cette question se pose par exemple dans le domaine de la cardiologie: une opération qui nécessite une intervention au cœur peu invasive coûtera approximativement trois fois plus que l’approche traditionnelle mais ses coûts d’ensemble seront inférieurs de 20% à une opération traditionnelle. Il faut donc mettre en balance le coût d’un appareil ou du traitement, d’un côté, et les coûts pour la société dans son ensemble, de l’autre.

Quels sont les principaux secteurs ou domaines thérapeutiques qui offrent le potentiel le plus prometteur dans le domaine des techniques médicales?

Les thérapies qui offrent le meilleur potentiel pour de futurs « blockbuster » dans le domaine thérapeutique sont notamment les capteurs qui permettent un contrôle continu du glucose. S’y ajoutent les domaines de la robotique chirurgicale pour les tissus mous ou encore le domaine appelé Pulsed Field Ablation qui recourt à des impulsions électriques. Maintenant, même s’il s’agit de thèmes que nous jugeons particulièrement porteurs, cela ne signifie pas que nous allons sélectionner uniquement des entreprises spécialisées exactement dans ces domaines. Notre approche d’investissement est bottom-up et nous sélectionnons des entreprises sur la base de l’ensemble de leur profil et des niveaux de valorisations affichés par leur titre. Environ 90% de notre portefeuille est constitué de grandes capitalisations. Il s’agit donc d’entreprises qui sont souvent actives dans un grand nombre de domaines thérapeutiques différents.

N'auriez-vous pas intérêt à accroître la part des placements dans des sociétés plus petites et plus spécialisées mais qui sont actives dans des domaines à plus forte croissance?

Notre approche d’investissement consiste à proposer un portefeuille de titres plus défensifs. En restant concentré avant tout sur les grandes capitalisations, cela permet à un fonds tel que celui dédié aux techniques médicales et aux services de mieux résister en cas de turbulences sur les marchés. En outre, même si nous sommes concentrés sur les grandes capitalisations, notre fonds à l’avantage de détenir parmi ses principales positions des titres de sociétés telles que Intuitive Surgical et Boston Scientific qui croissent rapidement. La première a vu son chiffre d’affaires augmenter de 14% l’an dernier, la seconde de 16%. Il s’agit donc de titres défensifs mais qui affichent néanmoins une forte croissance.

«Notre fonds à l’avantage de détenir parmi ses principales positions des titres de sociétés comme Intuitive Surgical et Boston Scientific qui croissent rapidement.»

Le caractère défensif de notre fonds est à mon avis un atout dans le contexte actuel. Au cours des deux dernières années, beaucoup d’investisseurs ont fait beaucoup d’argent en investissant des secteurs comme le luxe ou la tech. Maintenant, certains investisseurs commencent à redevenir plus enclins à regarder quel est le potentiel offert par les entreprises actives dans la santé, et c’est positif pour nous.

Est-ce parce que certains investisseurs redoutent une récession ou du moins un ralentissement de l’économie?

Il est toujours difficile d’anticiper comment évoluera la conjoncture au cours des prochains mois et ce n’est pas mon domaine de spécialisation. Néanmoins, en ce qui concerne notre domaine d’activité, un environnement de croissance plus faible ne serait pas défavorable. Les gens qui en ont besoin n’arrêtent pas d’aller chez le médecin uniquement parce que la croissance économique est un peu plus faible. En outre, des taux d’intérêt plus bas – tels qu’on les attend pour la seconde moitié de l’année – profiteraient aussi aux titres qui ont un peu plus risqué au sein de notre portefeuille. Les modèles de calcul des futurs cash-flow profitent de taux d’intérêt plus bas.

Hormis un fonds dédié aux techniques médicales, Bellevue Asset Management propose désormais aussi un fonds consacré à l’intelligence artificielle (IA) dans les sciences de la vie. Est-ce pour répondre aux attentes des investisseurs qui souhaitent investir dans des sociétés à plus forte croissance mais qui présentent aussi un profil plus risqué?

Non, au contraire. Notre fonds axé sur l’usage de l’IA pour le secteur de la santé est même plus défensif que celui consacré aux medtechs. Cela peut paraître contre-intuitif mais c'est le cas car les entreprises pharmaceutiques figurent parmi les secteurs qui profiteront le plus des applications rendues possibles par l’intelligence artificielle. C’est le cas notamment en raison des coûts énormes qui sont nécessaires pour développer des médicaments. Développer un médicament coûte souvent entre 1 et 4 milliards et nécessite entre 10 et 15 ans. De plus, le taux d’échec s’élève entre 80 et 90%, dont 40% durant les tests de phase III. Si, grâce aux possibilités de l’IA, vous parvenez à raccourcir ce délai de deux ans et à réduire le taux d’échec aux environs de 60%, cela représente d’énormes économies et d’importants gains en efficience. 

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