Les Etats-Unis profitent d’un incroyable afflux de fonds des investisseurs internationaux. Les indices boursiers et le dollar en ont largement profité en 2024. Mais un changement de tendance est-il possible? Est-ce que les actions européennes et chinoises en profiteront-elles en 2025? Michel Saugné, qui vient d’être nommé CIO de LFDE, répond aux questions d’Allnews:
Quelles seront vos missions et vos objectifs en tant que directeur des investissements (CIO) chez LFDE?
LFDE dispose de l’une des plus grandes équipes de gestion de la place de Paris. Elle est dotée d’une cinquantaine d’experts reconnus dans des domaines aussi variés que la croissance, la value, les small et mid caps, l’Europe, l’Asie avec notamment le Japon et les Etats-Unis. En tant que CIO, mon rôle est de m’assurer que cette équipe qui forme 15 pôles d’expertise soit dans les meilleures conditions possibles pour générer de la performance et collecter des encours.
Nous couvrons toutes les classes d'actifs, avec un biais significatif dans les actions, tout en étant très présents dans le crédit. Nous disposons aussi d’une activité d’allocation de fonds diversifiés en lignes directes, à laquelle nous croyons beaucoup dans le cadre du retour de rendements normalisés.
«Nous entrons dans une période de faible visibilité et de possibles turbulences».
J’ai deux objectifs. Tout d’abord, favoriser le partage et la génération d’idées afin de faire émerger des convictions d’investissement grâce aux échanges et aux débats. Le deuxième objectif consiste à responsabiliser et engager chacun. Enfin, j’alimente la gestion avec une infrastructure, humaine et technique, qui doit être toujours au sommet, pour générer de la performance au service de nos clients.
Est-ce que la performance des actions peut à nouveau dépasser 10% en 2025?
Les prévisions de fin d’année pointent systématiquement vers ce chiffre magique de 10%. Tant pour la performance que pour la croissance des bénéfices. Cependant, l’analyse des deux dernières années révèle que nous atteignons une forme de paroxysme, qui consiste à penser que tout investissement américain crée de la valeur et que le reste pénalise l’investisseur.
Selon nous, ce paroxysme est allé trop loin, en termes de positionnement, de concentration des paris, de force du momentum et de performance relative. La vision manichéenne selon laquelle l’investissement serait américain ou ne serait pas me paraît excessive. C’est d’autant plus vrai que les attentes sur le marché américain sont très fortes. Le niveau de marges du S&P est élevé et pourtant le marché anticipe une nouvelle hausse des marges, aussi bien dans la Tech que dans tous les autres secteurs, à l’exception de l’immobilier. Le consensus paraît extrême: 2025 peut ressembler à 2024, qui elle-même ressemblait à 2023, soit une performance de plus de 20%; mais la question de la diversification du portefeuille me paraît opportune.
Quelle diversification recherchez-vous?
Elle peut s’orienter vers l’Europe, qui comprend nombre de titres relativement mal valorisés, ou vers le reste du monde. En Chine par exemple où des champions mondiaux sont très faiblement valorisés.
N’existe-t-il pas de bonnes raisons pour investir aux Etats-Unis, sous l’effet de la baisse des taux, des impôts et de la déréglementation, par exemple dans la finance?
Les deux bonnes questions à se poser sont les suivantes: Quelle information positive le marché n’a-t-il pas encore vu venir aux Etats-Unis? Et quel sera l’acheteur marginal final aux Etats-Unis? Même les investisseurs coréens sont surpondérés en actions américaines. Il est important de faire attention à l’effet de base et aux informations déjà intégrées dans les cours. Les points que vous mentionnez sont déjà intégrés par le marché dans ce que l’on appelle le «Trump Trade».
Vous attendez-vous à une correction de l’optimisme extrême aux Etats-Unis et du pessimisme extrême à l’égard de l’Europe?
Nous entrons dans une période de faible visibilité et de possibles turbulences, celle de la mise en place du nouveau gouvernement américain, de la nouvelle Commission européenne, des élections en Allemagne et du plan de relance chinois.
Aux Etats-Unis, le degré de désinhibition de la nouvelle Administration interroge. Quand cette outrance dérangera-t-elle les marchés, en particulier les investisseurs internationaux aux Etats-Unis?
2025 pourrait être une année deux temps. Tout d’abord une grande volatilité, puis un marché qui repartirait au bénéfice d’une plus grande visibilité sur les interrogations actuelles.
Si l’Europe est une région délaissée par les grands acteurs internationaux, il me semble qu’on ignore un de ses atouts: ses fortes capacités pour gérer les problèmes lorsqu’elle a le dos au mur et qu’elle doit sortir d’une crise. Nous pouvons ainsi imaginer un sursaut d’une Europe qui, face aux Etats-Unis et à la Chine, mettrait en place une forme de relance efficace et bénéficierait d’un possible stimulus de la consommation domestique chinoise.
«Nous pouvons ainsi imaginer un sursaut d’une Europe qui, face aux Etats-Unis et à la Chine, mettrait en place une forme de relance efficace».
Les investisseurs sont rassurés par le «Fed put» et croient maintenant en un Trump Put, soit une garantie de hausse, tant le nouveau président entend mesurer ses résultats à l’aune des indices boursiers. Que pensez-vous de cette perception?
Les anticipations sur les taux traduisent un mouvement de montagnes russes depuis deux ans. Elles ont d’abord réagi à la capacité de résorber l’inflation, un combat qui n’est pas encore gagné. Depuis l’été dernier, elles se sont projetées vers un Trump Trade et un programme perçu comme inflationniste. Aujourd’hui, le marché s’attend à deux baisses de taux de la Fed en 2025, ce qui serait raisonnable. Mais tout dépendra de l’emploi aux Etats-Unis. Les investisseurs ont sous-estimé la bonne santé des ménages américains et leurs capacités à continuer d’investir, en particulier en bourse. Les Américains ont conservé leur emploi, donc leur maison, ce qui a évité une contraction de l’immobilier. L’argent injecté durant le covid et le mandat Biden, qui a conduit à un déficit public record (7 à 8% du PIB), a accentué une situation déjà favorable.
La question porte, selon moi, plutôt sur la prolongation possible de cette situation. Nous constatons que même lors de la bulle de 2000, l’investisseur américain n’a jamais, été autant investi en bourse. L’exceptionnalisme américain va-t-il se normaliser? Assistera-t-on à une légère hausse du chômage ou à la poursuite d’un dynamisme stimulé à l’extrême? A mon avis, tant l’économie que la bourse sont par nature cycliques. Si tout le monde est surpondéré en bourse et sur-confiant sur l’économie, la configuration sera idéale pour que le scénario prévu ne se réalise pas. Nous sommes dans une forme d’exubérance.
La première surprise de l’année vient de la hausse des taux longs américains. Passeront-ils au-dessus de 5% à 10 ans?
Le cap des 5% peut être atteint, mais s’il l’était, l’effet serait majeur pour le marché.
La récente hausse des rendements obligataires ne semble pas avoir trop impacté les indices boursiers, à part l’indice Russell 2000. A 5%, nous entrerions sans doute dans une correction boursière généralisée.
La poursuite de la possible hausse des taux dépendra de l’emploi américain. J’observe qu’une part significative de la bonne tenue de l’emploi américain provient des créations d’emplois publiques, qui sont à leur plus haut.
Aux Etats-Unis, plusieurs éléments s’accumulent. Ils maintiennent l’édifice mais ne constituent pas gages de solidité à long terme. Un dégonflement des bulles créées par les récents stimulus est possible.
En cas de correction du marché américain, les actions du reste du monde seraient-elles épargnées?
Un découplage se fait rarement en faveur du reste du monde. Néanmoins, la décote de ce dernier, par exemple de l’Europe, est si prononcée par rapport aux fondamentaux qu’une correction de 20% des deux côtés de l’Atlantique amènerait les valeurs européennes à un PER de 10 fois. Le point d’entrée serait très attractif. Les grandes sociétés européennes sont totalement mondialisées. Il n’y a pas de raisons qu’elles soient valorisées de façon trop différente de leurs consoeurs américaines.
L’incertitude politique française n’a-t-il pas pénalisé des groupes globaux mais français comme LVMH, Schneider ou Air Liquide?
L’action Schneider n’a pas baissé. LVMH a, elle, souffert de facteurs chinois et non pas français. La sous-performance du CAC 40 est autant liée à l’instabilité politique qu’au fort ralentissement chinois. Dans le cas de LVMH, la moindre croissance de la consommation chinoise combinée à une politique d’augmentation des prix des produits vendus excessive pouvait difficilement se passer autrement. Sur 5 ans, le CAC 40 évolue de façon similaire aux autres indices européens.
Je ne tairai pas l’incertitude politique, mais, selon moi, les «bruits» politiques n’ont d’effets qu'à court terme et sont assez vite résorbés.
Vous soulignez la cyclicité des marchés. Comment s’en protéger en 2025?
La diversification est le mot clé. Je suis convaincu des phases de volatilité qui nous attendent. Il sera pertinent de diversifier ses risques d’un point de vue géographique, thématique et en termes de taille de capitalisations. Nous ne resterons pas éternellement à des décotes aussi élevées. La réalité économique s’imposera tôt ou tard.
Où par exemple?
La Chine contient un grand nombre de sociétés avec un rendement de free cash-flow supérieur à 10%, une croissance significative du bénéfice, une capitalisation boursière supérieure à 1 milliard de dollars et qui sont délaissées des investisseurs.
Comparez BYD à Tesla: Elon Musk est peut-être un génie, qui a toutefois tendance à se perdre en politique, mais l’écart de valorisation -PER de 15 fois pour BYD et à plus de 100 fois pour Tesla- ne me paraît pas justifié: e chiffre d’affaires est équivalent et tous deux vendent le même nombre de véhicules électriques. De plus, BYD maîtrise sa chaîne de production puisqu’il produit ses propres batteries.
Les surprises peuvent être positives en Chine, mais comment y investir? Avec un ETF sur l’indice MSCI Monde?
Nous recherchons des histoires particulières susceptibles de créer de la valeur. Le momentum, qui s’est exacerbé, crée des opportunités. Nous en avons vu l’an dernier et nous continuerons d’en saisir en 2025, principalement en Europe et en Asie sur des secteurs intéressants. En 2024, je citerai par exemple RaySearch Laboratories en Suède, qui a doublé l’an dernier, Asics au Japon, qui a quasiment triplé, ou encore Rocket Lab dans le secteur spatial, qui a quintuplé.
Tencent a été placé sur une liste noire aux Etats-Unis. Comment éviter ce type de risque en Chine?
La géopolitique est par définition imprévisible. Tencent est le symbole de rapports de force et de possibles mesures d’intimidation. Il y a peu de raisons que cette société soit maintenue sur une liste noire pour des activités militaires, alors que les principaux clients de la chinoise CATL, également sur cette liste, sont américains, le premier d’entre eux étant Tesla. A moyen terme, les Américains pourront-ils se priver de CATL, qui détient une part de marché mondiale de 40% dans les batteries électriques?
A court terme, il leur sera difficile de se priver de ce producteur chinois. La réalité économique révèle que plusieurs acteurs incontournables le resteront à court terme.
Comment présenter une bonne diversification?
Il est nécessaire d’être à la fois diversifié et ne pas exclure une performance qui serait identique en 2025 à celle de l’année dernière. Je maintiendrais une exposition sur le momentum, parce qu’il est compliqué de retourner un momentum aussi puissant et bien ancré. Il est donc pertinent de conserver en partie les gagnants et d’orienter le portefeuille vers les valeurs les plus délaissées dans le reste du monde, avec une approche diversifiée y compris en termes de style.
L’investissement Value, qui a très bien fonctionné depuis trois ans (en Europe +24%, contre 1% sur la Croissance), mais reste sous-investi par les acteurs financiers, doit, selon mois, retrouver ses lettres de noblesse.
«Même lors de la bulle de 2000, l’investisseur américain n’a jamais, été autant investi en bourse.»
J’ajouterais les small & mid caps européennes, un foyer de création de richesses significatif. Ces sociétés se traitent aujourd’hui avec une décote alors qu’historiquement elles profitent d’une prime. Autre élément de diversification, les actions chinoises, parce qu’une relance domestique vigoureuse se prépare, pour éviter d’entrer dans un cycle de japonisation.
D’une manière générale, je crois en un sursaut de l’Europe et je pense qu’il est impératif pour la Chine de se relancer. La diversification me paraît nécessaire.
Dans le crédit, en raison des écarts de spread, les opportunités se situent surtout en Europe, moins aux Etats-Unis.
Dans les matières premières, il faut distinguer les marchés locaux, comme le gaz naturel, des marchés globaux, comme l’or. Si la Chine relance, les Commodities industrielles en profiteront ainsi que les actions européennes, qui ont les sociétés les plus ouvertes au monde.
Qu’éviteriez-vous?
Les placements sans base fondamentale. A ce sujet, la hausse des cryptomonnaies interroge. Une forme d’institutionnalisation est en cours aux Etats-Unis. Donald Trump et Elon Musk les soutiennent. Mais il n’y a pas de réalité économique qui soutient les cryptomonnaies, qui restent des véhicules d’investissement extrêmement spéculatifs.
Le ratio de Sharpe à 3 ans du Bitcoin est de 0,45. Il est très inférieur à celui du S&P 500 (0,64). Le bitcoin peut être pour certains un actif de diversification mais il est plutôt un symptôme de bulle. Un peu comme ce que j’appelle le «private excess». Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de prix sur les actifs privés que la volatilité est nulle. Tout est cyclique.
S’il y a une monnaie totalement sous-évaluée, est-ce le yen?
Oui, le yen est totalement sous-évalué. C’est le moment de se rendre au Japon, surtout si l’on est Suisse.
Le Japon est le seul pays qui relève actuellement ses taux d’intérêt. L’Empire du soleil levant a réussi sa mue. Ce qui n’a pas fonctionné avec l’Abenomics est en train de réussir, à savoir forcer les entreprises japonaises à s’intéresser à leur rentabilité, et ainsi à augmenter les rachats d’actions et les fusions. Le marché japonais est enfin redevenu attractif, avec des sociétés dont la rentabilité augmente. C’est aussi une forme de «proxy» de l’Asie. Le risque est celui du débouclage du carry trade, comme on l’a vu l’été dernier.
Et le franc suisse?
Depuis la création de l’euro, la monnaie unique a perdu 45% par rapport au franc suisse. Le franc suisse est l’autre «or», l’autre valeur refuge. Comme le dollar qui n’en finit pas de se renchérir en dépit des souhaits de Donald Trump.
Quel sera l’impact des droits de douane?
Il n’est pas inintéressant d’observer que les marchés des devises ont largement anticipé les nouveaux droits de douane. Le peso mexicain a chuté de 25% depuis avril par rapport au dollar. 25% des droits de douane ont donc été déjà neutralisés. La question est de savoir si la Chine laissera dévisser le yuan. Pékin s’en est abstenu jusqu’ici, le yuan a très peu baissé par rapport au dollar à l’inverse des monnaies de la plupart des autres partenaires commerciaux américains. On sait que des négociations se préparent. C’est pourquoi il faut être prudent, s’attendre à de la volatilité et éviter les investissements les plus évidents. L’histoire ne fait pas que se répéter.
Disclaimers: Ces informations, données et opinions de LFDE sont fournies uniquement à titre d’information et, de ce fait, ne constituent ni une offre d’achat ou de vente d’un titre ni un conseil en investissement ni une analyse financière. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.