Les caractéristiques défensives des obligations asiatiques

Emmanuel Garessus

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Le besoin de mieux comprendre le fonctionnement de l’Asie augmente, ainsi que de considérer cette région comme une classe d’actifs autonome. Avec Omar Slim de PineBridge.

PineBridge est un gérant d’actifs issu de l’ex AIG Investments, vendu en 2010 à Pacific Century Group, un groupe financier très présent dans l’assurance sous la marque de FWD. Avec 168 milliards de dollars sous gestion à la fin mars, PineBridge est un leader de la gestion active dont la présence est plus forte en Asie (99 milliards) qu’ailleurs, par exemple en Europe (24 milliards dans la région EMEA). 

Dans l’asset management, ses stratégies portent essentiellement sur les obligations, mais aussi sur les marchés d’actions et d’autres classes d’actifs. Dans les obligations Investment Grade (IG), Penbridge présente une performance supérieure aux indices et aux concurrents. Omar Slim, responsable des obligations IG asiatiques, répond aux questions d’Allnews:

Est-ce que les investisseurs occidentaux s’intéressent fortement aux obligations asiatiques? 

L’intérêt des investisseurs occidentaux, notamment allemands et suisses, se concentre clairement sur les obligations en dollars. Les moteurs de cet intérêt grandissant depuis environ cinq ans sont la taille de ce marché (1,3 trillion de dollars), le rôle croissant de l’Asie sur l’économie mondiale et ses structures ainsi que sur le rythme de sa croissance économique. 

Ce marché est aussi parvenu à présenter des caractéristiques défensives. Ces dix dernières années, le rendement ajusté du risque dépasse d’autres marchés. Ce marché ne remplacera pas celui des obligations d’entreprises américaines, plus large et liquide, mais, comme nous l’expliquons aux investisseurs européens, il existe une place pour les obligations d’entreprises asiatiques (IG et parfois HY) dans l’allocation du portefeuille.

Et qu’en est-il pour les obligations IG asiatiques?

L’intérêt des investisseurs internationaux continue de croître pour cette classe d’actifs. Les discussions sont nombreuses, notamment avec des acteurs allemands, sur la meilleure façon d’allouer les fonds dans cette région. Le besoin de mieux comprendre le fonctionnement de l’Asie et ses développements est évident, comme la volonté de comprendre cette région comme une classe d’actifs autonome.

«La volatilité des obligations IG asiatiques est inférieure à celle des marchés similaires ces dernières 7 à 9 ans».

Quelle est la volatilité des obligations IG asiatiques en dollars?

La volatilité des obligations IG asiatiques est inférieure à celle des marchés similaires ces dernières 7 à 9 ans, sur toutes les périodes envisagées. Le moteur de cette évolution est à chercher dans les fondamentaux particulièrement résilients du segment IG, notamment de la part des entreprises de très grande qualité. Il existe une dispersion de la qualité, mais la moyenne de rating est de A. Elle est donc plus élevée que sur bien d’autres marchés IG. L’offre est plus étroite qu’ailleurs, ce qui engendre un effet de rareté. De façon plus importante, l’intérêt est significatif de profiter d’une région à forte croissance, y compris en termes de richesses, et d’un biais domestique puisque les investisseurs asiatiques préfèrent acheter des noms asiatiques. 

Cette année, la performance de ce segment (index Bonds IG Asia) s’élève à 1,8% (au 25 juin). Nous sommes parvenus à faire mieux que l’indice. Pendant ce temps, le rendement de l’indice US IG est stable.

Compte tenu de la taille de la Chine dans la région et dans l’indice, comment procédez-vous dans votre stratégie?

La Chine est effectivement un acteur majeur dans la région et dans le monde. Sa pondération atteint entre 30 et 40% selon l’indice, ou 22% si l’on inclut le Japon et l’Australie. Notre approche est active et non indicielle. Nous sommes prudents à l’égard de la Chine depuis quelque temps et avons évité la volatilité liée à la crise de l’immobilier. Mais nous n’appartenons pas au camp des investisseurs qui jugent la Chine non investissable. Nous sommes toutefois sélectifs si bien que, pour nous, la Chine est créatrice d’Alpha.

Pour avoir une exposition obligataire à l’Asie en réduisant le risque, est-ce qu’une approche intelligente consisterait  se concentrer sur les obligations de Singapour, un pays solide et stable qui illustre aussi la croissance de la région?

Tout dépend de l’exposition désirée par l’investisseur.  Les besoins et les profils de risques diffèrent d’un investisseur à l’autre. Singapour a l’avantage de solide fondamentaux qui se reflètent dans son rating de AAA. Mais ce jugement est déjà intégré dans les cours et dans un rendement très serré. Si je reviens à la Chine, je dirais que même si nous avons des interrogations sur ce pays, qui s’expriment par notre sous-pondération, notre opinion provient aussi de la faiblesse du rendement. 

Nos recommandations consistent à puiser dans les meilleures idées de notre travail de recherche et à éviter d’investir uniquement sur la base de données telles que le spread de crédit parce qu’elles sont déjà inscrites dans les cours.

Quelles sont vos meilleures idées de placement actuellement?

Nous sommes par exemple exposés aux compagnies d’assurances coréennes, qui se comportent bien, ainsi qu’à des sociétés financières japonaises, même si le Japon est considéré comme un marché développé et non émergent. Il apparaît qu’en Asie la séparation est parfois assez floue. Le Japon est un grand émetteur d’obligations asiatiques. Nous apprécions aussi certains groupes australiens du commerce de détail et à des groupes indonésiens quasi souverains. 

A l’inverse, nous évitons les segments de marché sensibles aux politiques économiques chinoises, comme les promoteurs immobiliers chinois, les titres de gouvernements locaux chinois, ainsi que les sociétés financières indiennes.

«Nous n’appartenons pas au camp des investisseurs qui jugent la Chine non investissable».

Que l’investisseur peut-il espérer comme rendement avec les obligations IG asiatiques?

L’investisseur peut espérer une volatilité relativement faible et un portage significatif. De plus, nous sommes fiers de nos efforts permettant d’éviter les baisses. Nous surperformons aussi bien durant les hausses que les baisses. Le portage de notre fonds s’élève à 5,8%. Et nous essayons de créer un alpha compris entre 50 et 100 points de base par an. Mais, naturellement, nous ne pouvons garantir un rendement.

Il semble que l’Inde devienne un marché attractif non seulement pour les actions mais aussi pour les obligations. Qu’en pensez-vous?

Nous sommes peu engagés sur le marché obligataire indien en monnaie locales. A mon avis, le principal défi pour l’investisseur est celui de l’accès, en raison des nombreuses réglementations. Les autorités ont pris des mesures pour y remédier. L’intérêt est nettement plus marqué pour les actions indiennes que pour les obligations. Le narratif économique est favorable à l’Inde, mais le segment obligataire en dollars a déjà intégré de nombreux éléments positifs. La valorisation est relativement généreuse actuellement.

Quelles banques centrales asiatiques pourraient prochainement baisser leurs taux d’intérêt? 

Plusieurs banques centrales ont l’intention de réduire leurs taux d’intérêt. La Banque de Corée pourrait être la première d’entre elles. La plupart d’entre elles craignent de passer à l’acte avant la Fed en raison des effets possibles sur la monnaie.

Quelles sont vos prévisions d’inflation en Asie?

Les pressions inflationnistes sont assez faibles sur la plupart des grands pays asiatiques. C’est la raison pour laquelle les banques centrales devraient réduire leurs taux.

Est-ce que vous préférez les titres à rating plus élevé que l’indice?

Nou effectuons nos choix sur la base de notre analyse des spreads de crédit individuels. Nous préférons considérer les situations individuelles en fonction de notre recherche plutôt que d’appliquer une décision de façon sectorielle. 

Notre exposition est bien diversifiée, de BBB à A. La valorisation des débiteurs BBB est assez généreuse si bien que nous avons réduit leur exposition, mais notre gestion du risque est idiosyncratique.

Comment intégrez-vous le Japon?

Le mode de négoce est propre au Japon. Sa base d’investisseurs est plutôt abondante. Les investisseurs sont aussi bien locaux qu’internationaux. Un grand nombre d’émetteurs sont des financiers, y compris des banques et des assurances. Le mode de trading est différent, ce qui nous permet de profiter d’un élément de diversification supplémentaire.

Préférez-vous parler d’obligations asiatiques plutôt qu’émergentes?

Le concept de marchés émergents mérite d’être nuancé. Différents marchés émergents ont des caractéristiques très différentes des autres. Certains gérants globaux préfèrent adopter une approche plus granulaire. Nous saluons cette évolution parce que c’est une classe d’actifs suffisament grande pour être autonome.

Les financiers adorent les acronymes tels que les BRICS ou les 7 magnifiques. Quel sera le prochain?

L’acronyme existe déjà, avec APAC IG ou Asia IG. Les grands asset managers vont plus loin que les acronymes et considèrent leur allocation d’une façon approfondie. Nous voyons bien qu’ils comprennent que la gestion est différente en Asie qu’en Amérique latine.

La géopolitique joue un rôle croissance dans l’asset management. Comment l’intégrez-vous dans une région asiatique qui contient des alliés des Etats-Unis, comme le Japon, aussi bien que des alliés de la Chine et de la Russie?

L’impact le plus direct de la géopolitique sur nos investisseurs se situe dans la façon d’intégrer les conséquences du protectionnisme et des sanctions économiques, surtout sous l’angle des relations sino-américaines. Nous l’intégrons dans le sens où certains secteurs sont plus sensibles au commerce et aux sanctions que d’autres. Nous essayons d’aller au-delà des «bruits» des médias pour analyser les réalités. Les échanges entre les Etats-Unis et les Etats-Unis demeurent conidérables, même s’ils déclinent. 

La géopolitique influence toutefois davantage les actions que les obligations et en particulier les obligations IG.

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