Les avantages des fonds illiquides

Salima Barragan

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Lors de crises, la liquidité peut contribuer à la vente précipitée d’actifs estime Jacques Chillemi d’Hermance Capital Partners.

Si les fonds de Private Equity ont subi les effets de la crise sanitaire comme les autres classes d’actifs, les ajustements de leurs prix se sont étalés du premier au deuxième trimestre. L’illiquidité de ces véhicules a permis d’éviter de brutales décotes généralisées, parfois indépendamment de la bonne santé des sociétés sous-jacentes. Par ailleurs, alors qu’en temps normal, l’illiquidité est une contrainte pour les investisseurs qui ne peuvent disposer de leurs fonds rapidement, elle peut s’avérer providentielle dans certaines situations de stress, permettant aux sociétés de disposer d’un coussin de sécurité pour traverser la crise. Entretien avec Jacques Chillemi, co-fondateur d’Hermance Capital Partners.

Jusqu’à présent, les fonds de Private Equity ont bien résisté à la crise. Pour quelles raisons?

Les fonds de Private Equity ne disposent pas d’une recette miracle pour traverser la crise! Ils bénéficient toutefois d’un cadre favorable à sa gestion. A commencer par la dimension illiquide mentionnée précédemment et le temps à disposition pour passer la tempête. Vient s’ajouter l’alignement d’intérêts des équipes investies dans les projets et impliquées quotidiennement dans leur gestion opérationnelle. Enfin les valorisations trimestrielles et non quotidiennes permettent également d’avoir du recul sur une situation que les marchés publics ne prennent pas. 

«A la différence de 2008, cette crise
n’a pas donné lieux à une course aux transactions secondaires.»
Comment mettez-vous en perspective cette crise avec celle de 2008?

Les effets de la crise du coronavirus, pour laquelle l’issue reste incertaine, laissent entrevoir des conséquences sanitaires, économiques et sociales importantes. Sur les marchés, le choc a été brutal et plus rapide que lors de la crise de 2008 avec une baisse de plus de 20% en moins d’un mois contre presque un an en 2008. Ce choc reste toutefois plus mesuré en ampleur. Par ailleurs, l’origine de ces deux crises est fondamentalement différente. Pour rappel, la crise de 2008 est une crise financière née d’un excès d’endettement qui a provoqué l’effondrement du système financier et une paralysie de l’économie. La titrisation d’hypothèques immobilières et les problèmes d’agences de notation ont été à la source du chaos. La pandémie du COVID-19 est une crise sanitaire qui a mis un frein brutal à l’offre et la demande et provoqué la chute immédiate des marchés. Cette chute a notamment été alimentée par une recherche de liquidité des investisseurs. Fin 2019, les fondamentaux économiques étaient nettement plus solides avec une croissance de l’économie favorable et des niveaux de chômage au plus bas. De plus, les leçons apprises du passé ont permis aux gouvernements et banques centrales d’agir rapidement et de façon massive pour soutenir l’économie. Enfin, notons qu’à la différence de 2008, cette crise n’a pas donné lieux à une course aux transactions secondaires et que les investisseurs ont maintenu leur confiance dans la classe d’actif. 

Pourquoi toujours plus d’entreprises choisissent-elles de rester en mains privées et retardent leur entrée en bourse, voire y renoncent complètement?

Au-delà des nombreuses contraintes réglementaires liées à une introduction en bourse et des exigences des actionnaires, les marchés privés ont atteint une maturité permettant aux sociétés de repousser leurs levées de fonds sur les marchés listés et de conserver un contrôle total des activités. Le volume de transactions entre acteurs privés est également en constante croissance. Enfin, si avant les années 2000 la tendance était clairement en faveur des sociétés listées, le Sarbanes Oxley Act de 2002 a changé la donne pour les sociétés considérant une cotation, se traduisant par une durée de vie moyenne des sociétés avant cotation de 18 ans contre 11 ans par le passé. Pour illustrer cette tendance, il y a aujourd’hui environ 50% de moins de sociétés cotées qu’à la fin des années 90.

Quelles différences voyez-vous dans la gouvernance des sociétés cotées et la gouvernance des sociétés en mains privées?

L’approche de l’univers du Private Equity se distingue par une création de valeur sur le long terme alors que les sociétés listées sont souvent sous la pression des actionnaires et ont tendance à favoriser les dividendes à court terme sur le développement des activités. L’alignement des intérêts des équipes aux commandes des sociétés en mains privées est un élément fondamental. Ces dernières disposent non seulement de plus de flexibilité pour ajuster les stratégies avec réactivité mais aussi d’un intérêt personnel à la performance. Enfin l’alignement des investisseurs des fonds sur la durée offre un support aux managements pour mener leur business plan à bien.

«L’industrie continue de croître,
soutenue par l’appétit et les liquidités des investisseurs.»
Comment les sociétés privées se négocient-elle actuellement?

Comme pour de nombreuses industries, le Private Equity ne fait pas exception aux valorisations élevées et les entreprises de taille importante affichent des multiples de 10x EBITDA ou plus. A l’inverse, certaines petites et moyennes capitalisations peuvent encore se négocier avec des décotes et multiples aux alentours de 5-8x EBITDA. Au-delà de leur taille, ces entreprises sont également à un stade moins avancé de leur développement et disposent encore d’un potentiel de création de valeur. Cela passe néanmoins par des transformations opérationnelles et stratégiques ou des restructurations qui peuvent justifier cette décote à l’acquisition.

Quel est l’impact de cette crise sur la levée de capitaux dans l’industrie?

Malgré la hausse des valorisations, l’industrie continue de croître, soutenue par l’appétit et les liquidités des investisseurs. Cependant, la crise a mis un coup d’arrêt à la cadence effrénée pré-COVID-19. Pendant les deux premiers trimestres de l’année, la plupart des investisseurs ont repoussé leurs décisions d’investissement pour avoir plus de visibilité et dans l’espoir d’un retour à la normale des marchés listés. Par ailleurs, la chute généralisée des bourses avait de facto augmenté la part du privé dans les portefeuilles, parfois au-dessus des limites fixées par certains institutionnels. Les levées de fonds ont donc été challengées. De nombreux fonds ont dû allonger leur période de levée pour atteindre leurs objectifs ou revoir les cibles à la baisse. Pour l’avenir, l’industrie conservera son attractivité, d’autant plus que des opportunités de crise vont apparaître.

Quels sont vos projets dans le pipeline?

Nous tentons de conserver une approche diversifiée tant sur les plans sectoriels que géographiques. Néanmoins, nous mettons l’accent sur des investissements dans des sociétés de tailles petite et moyenne offrant des multiples d’acquisition inférieurs au reste du marché ainsi qu’un potentiel de création de valeur. Tout en restant fidèles à notre ADN d’investissement, nous orientons notre sélection vers des industries contre-cycliques et en phase avec l’évolution de notre société incluant notamment les dimensions durables et technologiques. La digitalisation de notre société devient un aspect critique dans la plupart des industries et le secteur de la technologie offre un potentiel de croissance important sur lequel nous comptons nous positionner.

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