Les avantages d’être un pur gérant d’actifs

Yves Hulmann

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Pour André Rüegg, le directeur de Bellevue Group, le potentiel de progression supplémentaire de la société est élevé outre-Rhin.

L’exercice 2020 a été celui d’importants changements pour Bellevue Group. Le groupe basé à Küsnacht, qui s’est transformé en pur gestionnaire d’actifs suite à la vente de sa banque privée Bank am Bellevue, finalisée en avril 2020, a vu sa masse sous gestion dépasser les 12 milliards de francs (+13%). Si les afflux nets d’argent ont reculé à 377 millions de francs, contre 422 millions un an plus tôt, les stratégies liées au domaine de la santé ont en revanche vu affluer pour la première fois un montant supérieur à 1 milliard de francs. Au final, le bénéfice net a bondi à 22,3 millions de francs (+59%). En ne tenant compte que des activités poursuivies, le bénéfice s’est établi à 23 millions, soit une hausse de 18%. Le point avec André Rüegg, CEO de Bellevue Group.

Suite à la vente de la banque privée Bank am Bellevue, Bellevue Group est désormais un pur gérant d’actifs. Quels sont les avantages et les inconvénients de cette nouvelle situation? 

Les deux entités – de banque privée et de gestion d’actifs -, fonctionnaient déjà de manière très distincte, même si elles faisaient partie d’un même groupe. Dans le domaine de la gestion de fortune, il est aujourd’hui difficile d’être rentable si l’on ne dispose pas d’une taille critique suffisante. Compte tenu de la pression sur les marges, la situation deviendra encore plus difficile. Etre enregistré en tant que banque mobilise du capital et des ressources et l’on est aussi soumis à une grande complexité sur le plan de la réglementation. 

«Emotionnellement, il a été difficile de se séparer de Bank am Bellevue
mais, stratégiquement, cela a été le bon choix.»

Dans la gestion d’actifs, la situation est différente: Bellevue Group peut fonctionner avec une structure moins complexe. Par exemple, notre holding ne nécessite plus que deux ou trois employés – avant, il en fallait près de dix. Rétrospectivement, je pense que le fait de nous concentrer sur la seule gestion d’actifs a été une bonne décision. Emotionnellement, il a été difficile de se séparer de Bank am Bellevue mais, stratégiquement, cela a été le bon choix.

Les relations avec les clients d’autres banques en sont-elles aussi simplifiées?

Pour Bellevue Group, il est maintenant plus facile de dire que nous sommes uniquement un gérant d’actifs et non pas une banque. Car même si les deux entités fonctionnaient déjà de manière entièrement séparée, il y a toujours des gens qui peuvent penser qu’il existe des conflits d’intérêt potentiels, même lorsque ce n’est pas le cas réellement.

Vous avez évoqué un début d’année 2021 sur les chapeaux de roues. Est-ce en comparaison du premier trimestre 2020 qui avait été difficile ou par rapport à l’ensemble de l’an dernier?

Le mois de mars 2020 avait été pour le moins chahuté sur les marchés. D’actifs situés à 10,6 milliards de francs à fin 2019, ceux-ci sont d’abord tombés à 8,63 milliards en mars 2020, pour remonter ensuite à plus de 12 milliards en décembre dernier. Pour un gérant d’actifs comme Bellevue Group, ce qui compte toutefois est la moyenne des montants gérés sur l’année. C’est sur cette moyenne que l’on gagne de l’argent – non pas sur les chiffres au 31 décembre. Durant l’année 2020, cette moyenne a été d’environ 10,8 milliards. Le même raisonnement s’applique pour l’année en cours : nos actifs sous gestion atteignent environ 13,5 milliards de francs actuellement, ce qui est une belle progression, mais il faut aussi compter avec de potentiels revers sur les marchés en cours d’année.

«Des corrections de l’ordre de 10, 20 ou 25%
sont tout à fait dans l’ordre du possible.»
Qu’est-ce qui vous incite à la prudence concernant les marchés?

Dans beaucoup de secteurs, en particulier en ce qui concerne les valeurs technologiques aux Etats-Unis, on peut parler de situation de surchauffe sur les marchés. Il est difficile d’imaginer que les marchés vont continuer de progresser comme cela sans que l’on n’assiste à une correction. Certes, les banques centrales poursuivent leurs politiques monétaires généreuses. Des corrections de l’ordre de 10, 20 ou 25% sont tout à fait dans l’ordre du possible. Après de telles éventuelles corrections, je suis néanmoins confiant que les marchés parviendront à rebondir rapidement – justement parce que les liquidités restent disponibles en abondance.

Votre domaine d’activité principal «Healthcare» a vu affluer pour la première fois un montant supérieur à un milliard de francs. Que recherchent les investisseurs qui placent de l’argent dans des fonds liés à la santé: sont-ils séduits par les caractéristiques défensives de ce secteur ou par son potentiel d’innovation?

Il est bien sûr toujours difficile de connaître quelles sont les motivations des investisseurs. Du côté des clients privés, certains investissent dans la santé car ils trouvent la thématique intéressante. Du côté des institutionnels, la situation est plus complexe car une caisse de pension ou une assurance doit tenir compte de l’allocation d’actifs dans son ensemble, sur la base de critères à la fois régionaux, sectoriels et par classes d’actifs. Les institutionnels ne placent jamais tout leur argent dans un seul thème. Néanmoins, on constate que beaucoup d’investisseurs professionnels réalisent que la santé est une thématique passionnante. Le thème de la santé numérique, par exemple, ouvre des perspectives entièrement nouvelles aux investisseurs.

N’y a-t-il pas eu trop d’argent qui a afflué autour des thèmes liés à la santé au cours de ces derniers mois?

Bien sûr, beaucoup de gens ont tendance à regarder dans le miroir lorsqu’ils choisissent d’investir. Les secteurs de la technologie et de la santé ont fait partie des gagnants de ces derniers mois et cela continue à attirer des investisseurs. Tôt ou tard, une rotation sectorielle surviendra. Malgré tout, je pense que la crise récente liée à la pandémie a contribué à une prise de conscience au sujet de l’importance du secteur de la santé.

«Si l’on pouvait acquérir 5 ou 6 milliards de francs
dans d’autres domaines que la santé, ça serait évidemment super.»
Cherchez-vous à davantage diversifier vos thématiques de placements?

Actuellement, environ 75% de nos actifs sont consacrés au secteur de la santé et 25% se rapportent à d’autres domaines comme le private equity, les placements alternatifs, etc. Si je pouvais faire un rêve et changer les choses d’un seul coup, je préférerais ramener la part du secteur de la santé à 50%. Si l’on pouvait acquérir 5 ou 6 milliards de francs dans d’autres domaines, ça serait évidemment super.

Un thème incontournable de ces dernières années est celui de la durabilité. Comment intégrez-vous cette dimension dans votre activité de gestion?

Bellevue Group n’est pas un pionnier de l’investissement durable et ne cherche pas à se profiler comme un spécialiste de ce domaine. Notre approche consiste plutôt à intégrer les critères ESG dans l’ensemble de nos produits. Nous excluons d’emblée les entreprises actives dans certains domaines. En revanche, nous ne cherchons pas à investir uniquement dans les sociétés qui se voient attribuer les notations ESG les plus élevées. Ça serait même parfois contreproductif.

Pourquoi?

Prenez l’exemple de Moderna: cette société n’avait pas obtenu les meilleurs ratings ESG nécessaires jusqu’ici. Cela non pas parce que ses activités n’étaient pas durables mais parce que Moderna n’avait pas encore pu fournir les données requises par les agences. Faudrait-il pour autant l’exclure de notre univers d’investissement? Non. Nous ne basons pas nos décisions d’investissement seulement sur les notations attribuées par les agences, nous regardons de plus près ce qu’il y a dans la société.

«S’agissant de l’Allemagne, nous pensons que notre potentiel
de croissance est loin d’être épuisé sur ce marché.»
Quelle est votre approche en matière d’acquisitions?

Compte tenu de notre politique de distribution de dividendes actuelle, nous avons une marge de manœuvre limitée pour procéder à des acquisitions. Notre priorité n’est pas d’acheter des sociétés complètes mais plutôt d’acquérir des équipes de professionnels dans certains domaines.

Sur le plan régional, environ 50% de vos actifs sous gestion proviennent de l’Europe continentale, comparé à 30% pour la Suisse et à 15% pour le Royaume-Uni. Sur quels marchés Bellevue Group est le plus actif en Europe continentale?

L’Allemagne, principalement, qui représente les deux tiers des 50% qui relèvent de l’Europe continentale. S’y ajoute aussi une bonne base de clients en Autriche, au Luxembourg, en Espagne et en Italie, notamment. S’agissant de l’Allemagne, nous pensons que notre potentiel de croissance est loin d’être épuisé sur ce marché – sur le long terme, il serait possible de porter les actifs jusqu’à un total de 10 milliards de francs outre-Rhin.

Qu’en est-il du marché français?

Bien sûr, il s’agit aussi d’un marché qui présente un grand potentiel mais il est difficile de s’y implanter de l’extérieur. Les clients français privilégient souvent les produits proposés par leurs propres sociétés de gestion. La clientèle âgée reste aussi d’abord francophone. Pour toutes ces raisons, je ne crois pas qu’il soit facile d’acquérir des clients en France sans y être présent physiquement. Pour gagner des clients en France, il faudrait disposer d’une infrastructure sur place – depuis l’étranger, ça serait difficile.

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